Le pied gauche.

Bonsoir à toutes et à tous.


Jacques Julliard est depuis quarante ans un intellectuel de référence pour la gauche réformiste. A ce titre, j'ai été très surpris par ses "Vingt thèses pour repartir du pied gauche" publiées dans Libération le 18 janvier ( http://www.liberation.fr/politiques/0109614214-vingt-theses-pour-repartir-du-pied-gauche ). Les sept premières se livrent à une très classique critique du capitalisme dans laquelle chacun peut se reconnaître, de Bayrou à Besancenot, avec cette conclusion : "Nous vivons un véritable réensauvagement des rapports sociaux" (thèse 7).

Dans les thèses 8 à 16, c'est cette fois à une surprenante critique de la gauche que se livre Julliard. Que l'extrême gauche soit visée, c'est normal de la part d'un penseur réformiste. Mais le reste y passe aussi ! Le rapprochement avec les centristes (que les rocardiens, dont était Julliard, ont prôné en leur temps) est refusé, l'écologie n'est pas reconnue comme une politique possible et, plus surprenant encore, la "deuxième gauche", dont Julliard a été l'un des principaux inspirateurs, est considérée comme "une voie désormais dépassée" (thèse 9) !

J'ai gardé pour la bonne bouche le coup de patte que Julliard envoie à DSK : "La gauche ne saurait être représentée, lors de l'élection présidentielle, par un représentant de l'establishment financier" (thèse 16). L'éditorialiste modéré du Nouvel Observateur ne nous avait pas habitués à ce genre de langage ! Virerait-il au gauchisme avec le temps ? La dénonciation de "l'establishment" appartient à un autre registre politique que le sien.

Un homme de gauche est à la tête d'une institution financière internationale. Et alors ? Le saint des saints devrait-il être réservé aux idéologues du libéralisme ? Je ne le crois pas. La finance, les monnaies, leurs flux internationaux font partie du réel. La gauche doit être là où est le réel, sans exclusive, pour peser sur lui, le transformer. Alors pourquoi pas DSK !

Je suis passé de l'étonnement à la stupéfaction en lisant la fin du texte de Julliard, les thèses 17 à 20, chargées de proposer des solutions. Il est question d'une "social-démocratie de combat". La formule est excellente mais vide de sens quand on lit qu'il s'agirait d'un "grand rassemblement populaire" allant "du centrisme à l'extrême gauche", autant dire n'importe quoi, l'union de ceux qui ne veulent pas s'unir (thèse 17) !

De plus, ce "rassemblement" politique improbable et même surréaliste aurait pour "facteur déclenchant" la "constitution d'un bloc syndical" autour de la CGT et de la CFDT, un peu à la mode des années 70, quand le Programme commun de la gauche attirait à lui les grandes centres syndicales et les réseaux associatifs puissants. Du coup, il y a eu amalgame, soupçon de politisation puis de subordination au pouvoir après la victoire de la gauche, qui n'est pas pour rien dans l'actuelle désyndicalisation. C'est d'autant plus stupéfiant que Julliard s'est fait autrefois le défenseur de la Charte d'Amiens, qui autonomise le mouvement ouvrier à l'égard de ses organisations politiques.

Stupéfiante enfin l'ébauche de programme : la nationalisation partielle des banques et le retour à la planification industrielle ! Quand je parlais de Programme commun ... Nous assistons à un étrange revival. Jacques Julliard nous demande de "repartir du pied gauche" ? Moi je trouve plutôt qu'il s'est levé du pied gauche avant de rédiger ces "vingt thèses" surannées et très mal inspirées.


Bonne soirée.