Le vrai Bayrou.

Bonjour à toutes et à tous.

Je n'ai pas pu voir le débat télévisé d'hier soir avec les candidats aux européennes, mais on m'en a beaucoup parlé et on m'a raconté. Ce n'était pas triste ! Ou bien alors très triste, affligeant même. Je crois cependant que ce débat, l'unique avec autant de candidats, fera date, à cause de ce dont tout le monde parle aujourd'hui : l'altercation entre Bayrou et Cohn-Bendit. Je ne sais pas si la démocratie en est sortie grandie, mais je ne veux pas non plus pincer la bouche : la démocratie, c'est l'affrontement politique, pas une conversation de salon. Toujours est-il que nous avons appris quelque chose que je savais déjà depuis longtemps, depuis le début : le vrai visage politique de François Bayrou.

J'aurais pourtant beaucoup de raisons de m'accorder avec lui et son MoDem. En tant que social-démocrate, j'ai tout de même quelques convergences : le réalisme économique, l'élan européen, le refus des extrêmes. Et puis, l'anti-sarkozysme nous rapproche. Enfin, dans de nombreux pays, la social-démocratie n'hésite pas à faire alliance avec le centre pour mettre en échec les conservateurs. Comment se fait-il alors que je n'ai jamais adhéré au projet de Bayrou (et ce qui s'est passé hier m'a confirmé dans ce refus) ? Plusieurs raisons :

Je crois illusoire une conversion de la droite au centre gauche en quelques années seulement. Je pense qu'il ne suffit pas d'être anti pour offrir une perspective politique crédible. J'estime que le poids de l'histoire, les pesanteurs sociologiques et la logique de nos institutions rendent impossible l'existence d'un centre autonome, à mi-chemin entre la droite et de la gauche. Mais s'il n'y avait que ces reproches-là à l'égard de Bayrou et du MoDem, ce ne serait pas grand chose. Il y a pire, et c'est pour moi le plus grave :

Qu'est-ce qui fait le succès de Bayrou ? Son populisme distingué à usage des classes moyennes, sa protestation convenable. Bayrou, c'est Besancenot sans la révolution et le communisme. Il y a aussi en lui du Péguy, du Bernanos, un peu de Gaulle, un zeste de Mendès. Bref, c'est tout et n'importe quoi, un béarnais qui tient une auberge espagnole, qui plaît parce que chacun s'y reconnaît, y trouve quelque chose à manger. En ce sens, Bayrou est très moderne. Un homme de gauche peut y goûter des idées de droite, un homme de droite s'y encanailler avec des idées de gauche.

Bayrou, c'est aussi, c'est surtout la critique des médias, de la classe politique, de la droite, de la gauche, bref le rejet de ce qu'un autre populiste, d'un bord très différent celui-là, appelle "l'establishment". Et ça, à droite et à gauche, ça plaît énormément. La chasse aux journalistes est un sport national, inconcevable dans les autres démocraties. Pour toutes ces raisons, pour cette démagogie soft, gentillette, je n'aime pas Bayrou, alors que j'aurais quelques motifs à l'aimer. Le débat d'hier soir n'a fait que confirmer mes réticences. Car ce n'est pas un accident, un "dérapage", c'est un aveu de la vraie nature politique du bayrouisme, en trois actes :

1- Bayrou s'attaque aux instituts de sondage, dénonce quasiment un complot, prétend avoir des preuves mais n'en livre aucune, joue les mystérieux, fait celui qui sait mais se tait. Ce n'est pas de la politique, c'est du sous-entendu, des allusions, à la limite des menaces. Et tous ses ronds de jambes pour quoi ? Parce que Bayrou s'est fait distancer par Europe-Ecologie dans un sondage ! Il a suffi de si peu pour vexer le béarnais, lui faire prendre la mouche, se lancer dans une invraisemblable vindicte.

2- L'incident aurait pu en rester là, Bayrou se contenter de son registre habituel, son crin crin démago et populo pour bobos déboussolés. Non, tout a commencé là. Pour riposter, Bayrou a accusé Cohn-Bendit d'être le complice de Sarkozy ... parce que l'ancien leader de Mai 68 est allé dîner à l'Elysée. On constate combien les arguments volent hauts ! C'est risible. C'est même quelque peu stalinien. Autrefois, quand un homme prenait un verre avec une femme qui n'était pas la sienne, on le soupçonnait de coucher avec. Bayrou a un peu le même raisonnement avec les repas entre politiques. S'il disait vrai, c'est toute la classe politique qui se trouverait compromise, et lui, Bayrou, le premier !

3- Jusque là, Bayrou avait été bas et stupide. A partir de là, il devient odieux. Car Cohn-Bendit n'est pas homme à se laisser moucher par un centriste susceptible. Il a répondu à peu près ceci à l'adresse du béarnais : "Mon pote, c'est pas comme ça que tu deviendras président de la République". C'était assez bien vu, Bayrou n'étant manifestement pas, hier soir, à la hauteur de la fonction qu'il brigue. Le centriste est alors parti en vrille, une deuxième vexation en 24 heures lui étant insupportable. Il a donc fait très fort dans ce stalinisme qui semble sa seconde nature : il est allé chercher une page dans un bouquin de Cohn-Bendit paru il y a plus de 30 ans pour l'accuser de pédophilie. L'extrait est bien sûr tiré de son contexte, de l'époque et de ce qu'en a dit par la suite Dany. En la circonstance, je ne vois qu'un qualificatif pour désigner ce qu'a fait Bayrou : dégueulasse ! Mais ne vous y trompez pas : ce démocrate-chrétien, je le répète, a trahi sa vraie nature, un moralisateur qui fait feu de tout bois.

Amis sociaux-démocrates, vous qui êtes parfois tentés de voter pour le gentil Bayrou, laissez tomber : dimanche, votez pour les authentiques sociaux-démocrates, votez pour les listes socialistes. Et n'oubliez pas que les Verts sont nos partenaires, que nous devons défendre quand ils sont injustement attaqués, alors que le MoDem n'a qu'un objectif : nous manger la laine sur le dos.


Bonne soirée.