L'Aisne avec DSK

03 juin 2009

Un fond de merde.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je veux revenir ce soir sur l'incident, exceptionnel, qui a touché ce blog hier et avant-hier soir, et qui m'a conduit tout aussi exceptionnellement à supprimer de nombreux commentaires, ce dont j'ai horreur, goûtant très peu à la censure. Je n'en n'aurais peut-être pas reparlé si je n'avais écouté, ce matin, en prenant mon café dans un bistro, ce propos (au "café du commerce", contrairement à ce qu'on croit, on apprend plein de choses intéressantes) : y'en a marre, on nous bassine à la télé depuis deux jours avec cette histoire d'avion; des morts, y'en a tous les jours, et personne n'en parle ! Voilà à peu près ce qu'a dit le quidam, devant une assistance qui n'a pas réagi. Je réagis maintenant, sur ce blog :

Il ne faut jamais sous-estimer la connerie. Les intelligents, c'est à dire une grande partie de la population, ont mieux à faire qu'à la combattre, du coup ils n'en disent rien et la laissent donc proliférer. C'est un grand tort. Il faudrait apprendre à lutter contre la bêtise. Car cette garce ne plie pas facilement à vos arguments, elle résiste, elle séduit même, entraîne parfois le grand nombre dans son sillage.

D'où vient la faute, et notre faiblesse ? De ce que nous croyons que la société est totalement transparente et les individus entièrement rationnels, probes, volontaires. L'idéologie démocratique, le présupposé d'une bonne conscience citoyenne contribuent à cette illusion. Pourtant, Freud nous a appris qu'à l'intérieur de l'homme, tout n'était pas joli joli. Il a appelé ça l'inconscient. Pareil pour la société : il y a une zone obscure, un fond de merde qui remonte de temps en temps et qui pollue tout.

Sollers, il y a quelques années, avait parlé dans Le Monde de "la France moisie". C'est à peu près ça. Il faut un événement catalyseur pour que la boue remue. Il y a eu le 11 septembre et son infâme rumeur. Plus près de nous, il y a eu la libération d'Ingrid Bétrancourt et les odieux soupçons qui ont suivi. La France, plus qu'un autre pays de niveau comparable, semble atteinte par ce mal, semble agitée par cette merde ? Pourquoi ? Peut-être, mais je ne le souhaite vraiment pas, parce que nous sommes une vieille civilisation sans avenir, une grande nation devenue petite. Notre opinion publique, plusieurs symptômes l'attestent, est profondément malade.

228 personnes sont mortes dans la plus grande tragédie aérienne qu'ait connue la compagnie Air-France, on en parle énormément. Et alors ? Ça me semble normal, je ne vois pas où est l'outrance. Et puis, personne n'est obligé de regardé sa télé, pour ceux qui se sentent à ce point gênés. On ne parle pas des autres morts à travers le monde ? Et alors ? Est-ce une raison pour ne pas parler non plus des disparus de l'Airbus 447 ? Drôle de raisonnement que celui du tout ou rien : puisqu'on n'évoque pas toutes les victimes, il faudrait n'en évoquer aucune ! Quant à faire la liste de toutes les morts cruelles et injustes de par le monde chaque jour, ça me semble impossible !

Qu'est-ce qui peut générer une réaction aussi stupide ? Je vous propose une réponse : le désir de transgression. L'être humain, au fin fond de sa merde, a besoin de provoquer, de transgresser, pour se sentir exister. Aujourd'hui, qu'est-ce qui est transgressif ? Pendant longtemps, c'était le sexe. A l'époque du porno partout, c'est fini. Transgresser la morale n'est pas non plus efficient, dans notre société largement permissive. Qu'est-ce qui reste ? La mort ! C'est le dernier tabou, l'ultime interdit, l'espoir des vicieux et des pervers. Ils savent que notre société accepte tout et qu'on se moque de tout, y compris des choses les plus sacrées, sauf ... de la mort.

Alors, ils satisfont leur désir de transgression (aller au-delà de ce qui est permis) et de perversion (étymologiquement, le pervers est celui qui retourne une situation à son profit) en contestant qu'on puisse évoquer longtemps dans les médias le drame aérien et la mémoire des victimes, en semant le doute, le trouble sur la réalité de l'événement. La merde s'en prend à la mort. Elle trouve sur le Net, et incidemment sur mon blog, de quoi épancher sa pulsion morbide et anonyme.

Quand Charlie-Hebdo, ce matin, titre "228 disparus ... 228 abstentionnistes de plus aux européennes !", je n'ai absolument pas la même réaction. Ce journal a fait profession, et il a raison, de se moquer de tout, ça ne me choque donc pas. Et puis, Charlie ne transgresse rien, il s'amuse, met en rapport deux événements et joue de ce rapprochement. Il ne se prend nullement au sérieux, n'attente à la dignité de personne quand il nous propose ce titre. Mais quand j'entends dans un bistro ou que je lis sur un blog des propos qui, sous l'ironie, se montrent fort sérieux, là je ne ris plus du tout ... et je supprime. Comme disait fort exactement Desproges, et la formule est devenue quasiment canonique : on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. Pas avec des merdeux, par exemple.


Bonne soirée.

4 Comments:

  • Le merdeux avec qui on ne peut pas rire,
    c'est vous.

    By Anonymous Anonyme, at 12:53 AM  

  • Certes mais Charlie Hebdo a légérement tort car sur les 228, la plupart étaient brésiliens et par conséquent ne votent pas à l'élection euro'..

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 5:46 PM  

  • A l'anonyme :

    Je suis en tout cas plutôt fier de ne pas rire avec vous (voir la citation de Desproges). Je vous laisse rire avec vos tristes semblables.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:46 PM  

  • A Elève en 2nde :

    C'est bien la preuve que Charlie pratique l'humour, sans se soucier de la véracité de son propos.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:47 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home