One man show.

Bonjour à toutes et à tous.

Je ne sors pas, je n'ai pas d'activités mondaines. Pas de théâtre, pas de spectacle, très peu de cinéma. Je suis souvent à l'extérieur, mais pas pour ça. Pourtant, hier soir, pour la deuxième fois en quinze jours, je suis allé au Splendid. Mais que ne ferait-on pas pour voir et entendre Jacques Vergès !

Normal qu'on le retrouve sur scène, passé 80 ans (quelle performance, une heure trente de textes !) : le célèbre et sulfureux avocat s'est construit un personnage à la fois de tragédie et de comédie. Pas de narcissisme cependant : il est devant nous sans se mettre en avant, sans évoquer par exemple ses procès les plus retentissants (Barbie pour ne citer que lui). Sa prestation est au service d'une idée, la seule de sa vie, mais quelle idée ! La défense de rupture.

Le décor est minimal : un bureau, un fauteuil, des livres au sol, c'est intimiste, on se croirait chez lui. Vergès bouge peu, et lentement, se contentant de contourner son bureau. Et ça prend ! on est captivé, on ne s'ennuie pas, on en redemanderait presque. Il ouvre sur les procès d'Antigone et Jeanne d'Arc, et c'est une suite ininterrompue de réflexions personnelles et de références culturelles de toute sorte. Magnifique.

Vergès le dit et le répète : il est le défenseur d'une tradition très ancienne, immémoriale, qui consiste à prendre parti pour l'accusé, quel qu'il soit, quel que soit son crime, à comprendre pourquoi, à expliquer que n'importe qui, vous ou moi, rencontrant les mêmes circonstances, aurait peut-être commis lui aussi ce crime. La technique, la tactique, c'est la "rupture" : ne pas chercher à convaincre les juges mais au contraire montrer que deux logiques s'opposent, s'affrontent, celle de la société, celle de l'accusé, et qu'il faut en appeler à l'opinion pour que la seconde finisse par l'emporter.

Ce qui a provoqué scandale chez Vergès, c'est que sa capacité d'empathie pour le criminel semble parfois aller jusqu'à une certaine fascination pour lui, comme si la société, changeante dans ses moeurs et lois, et sa Justice chargée de la protéger devenaient les véritables coupables. Mais il ne faut pas bouder son plaisir : Vergès est une authentique personnalité, un individu original comme il en existe peu dans notre société puritaine, conformiste, aseptisée.

Quand l'heure et demi se termine, Jacques Vergès ne salue pas, ne remercie pas, n'offre aucun signe de complicité au public. Il reste debout, immobile, le visage figé, sans émotion, sans sourire. Il est trop grand, trop triomphant, il n'a pas besoin de ça, se rabaisser, s'incliner, qui est bon pour le commun des mortels, pas pour lui. Et puis, ce n'est pas un comédien, c'est un témoin. Pas de rappel non plus. Le rideau se ferme sur son silence et son indifférence. Il nous aura donné, toute une soirée, sa vérité, c'est bien suffisant.


Bon après-midi.