L'Aisne avec DSK

04 mai 2010

Le fantôme de la burqa.

Bonjour à toutes et à tous.


J'apprécie beaucoup Robert Badinter. C'est pour moi une grande figure de la gauche, une conscience morale, une référence politique. Sur la burqa, il vient de s'exprimer, en faveur d'une loi d'interdiction. Et là je ne ne suis pas d'accord avec lui. Il y a cependant un point, qui n'est pas rien, sur lequel il y a, entre tous les républicains de ce pays, consensus : il est évidemment inadmissible qu'une femme soit forcée de porter ce vêtement et il convient de punir sévèrement ceux qui l'emprisonnent sous ce tissu.

Mais le problème est ailleurs, et la divergence aussi : que fait-on avec les femmes, et il y en a, qui choisissent de le revêtir librement la burqa ? Badinter apporte une réponse que je soumets à la discussion, précisément parce que je la trouve très discutable :

" La fraternité, c'est d'abord dans le visage de l'autre que je la découvre. Si vous vous adressez à un fantôme, comment voulez-vous avoir avec lui un rapport de fraternité ou de sociabilité ?"

Je crois que tout le problème réside dans cette argument que je ne partage pas. D'abord la fraternité n'est pas pour moi, essentiellement, un visage, mais des paroles et des actes : paroles de paix, actes de solidarité par exemple. Un visage ne me dit rien, c'est le plus souvent une face anonyme comparable à bien d'autres faces anonymes. Ce n'est que dans le dialogue, les gestes, les actions que la relation humaine devient fraternelle.

D'autre part, une femme qui porte librement un burqa ou un niqab (peu importe le mot, la longueur, la forme ou la densité du tissu) n'est pas un fantôme, c'est une personne qui existe mais qui choisit de ne pas se montrer. En a-t-elle en République le droit ? Pour moi oui. En quoi cela peut-il fondamentalement gêner autrui ? Je ne le vois pas, je ne le comprends pas. Il n'y a que les actes d'hostilité qui dérangent, les attaques physiques ou verbales. Hormis cela, nul ne devrait se sentir inquiet ou inquiété à cause des vêtements d'autrui. Si j'ai envie de me déguiser en pompe à essence, en quoi suis-je un danger public, une menace pour la société, une atteinte à la démocratie, une négation des droits de l'homme ? Chacun doit s'habiller comme il l'entend, à la seule condition que ce soit librement.

Enfin, est-il vrai que la burqa perturbe la sociabilité ? De quelle sociabilité Badinter parle-t-il ? Je ne me sens aucunement obligé de lier des contacts, des relations sociales avec n'importe quel citoyen. La fraternité n'est pas l'amitié. Si une femme en burqa contrevient à mes convictions, je ne la fréquente pas, je ne lui parle pas, mais je ne lui impose pas non plus ma façon de voir en l'invitant à renoncer à son vêtement.

En vérité, derrière cette affaire de burqa, je sens monter l'intolérance, le rejet de la différence. Car aujourd'hui, dans une société tellement libérée qu'il n'y a plus guère de transgression possible, qu'est-ce qui reste étrange, mystérieux, énigmatique, provocateur et dérangeant ? Se balader sous une burqa. D'autant que la société contemporaine va exactement dans le sens inverse, en dénudant depuis une quarantaine d'années le corps de la femme (personne ne reproche d'ailleurs à cette orientation de contredire la fraternité et la sociabilité).

Une femme en burqa, c'est en effet un fantôme, une créature surnaturelle qu'on ne comprend pas parce que notre société s'est éloignée de la religion et qu'elle ignore à peu près tout de l'Islam. Mais cette différence, aussi troublante soit-elle, doit être respectée. Sinon, demain, ce seront d'autres différences auxquelles on s'attaquera. Même si ma préférence personnelle va à la contemplation d'un corps féminin nu, je peux comprendre que certaines femmes puissent vouloir intégralement le dissimuler au regard d'autrui, dans une sorte de pudeur fondamentale et quelque part ahurissante.

Réduire la femme portant burqa à un fantôme, la comparer à un déguisement de carnaval ou bien l'assimiler au port de la cagoule chez les malfrats, c'est rabaisser et en quelque sorte défigurer une différence qui nous révulse, qui semble porter atteinte à notre modernité, qui renvoie à des cauchemars de fanatisme. Cessons donc de croire aux fantômes, repoussons ces fantasmes qui viennent nous hanter, n'ayons pas peur d'une bizarrerie, d'une étrangeté, d'une façon d'être, d'un mode de vie, d'une conception de l'existence que nous avons le droit de critiquer mais pas d'interdire sur la voie publique.

Je répète, pour éviter tout malentendu sincère ou malveillant, que ma tolérance à l'égard de la burqa ne vaut que si et seulement celle-ci est librement portée. Car c'est dans cette hypothèse que Badinter se situe et que je conteste son point de vue.

Une dernière remarque, pour être tout à fait clair : quand je discute avec un type qui dissimule son regard derrière des lunettes noires dans lesquelles mon visage se reflète, je ne le supporte pas, j'ai l'impression de discuter avec moi-même. Le jour où je croiserai une burqa (ce qui n'arrivera peut-être jamais tellement la rencontre est rare), je serai probablement, comme tout le monde, mal à l'aise. Mais nos sentiments doivent-ils devenir force de loi ? Je pense que non. Tout le problème de la burqa est là.


Bonne journée.

26 Comments:

  • J'avais rdv avec Leskiw à 17h dans son bureau à l'Aisne Nouvelle. Finallement, il était absent et à visiblement oublié. J'ai été ensuite reçu par le directeur car normalement un autre journaliste devait s'occuper de moi, c'est que Leskiw m'avait dit que ça serait lui ou un autre. Le directeur n'a pas vraiment été aimable, très froid, peu accueillant..

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 5:25 PM  

  • Face au crétinisme communautariste, c'est pourtant souvent la loi qui libère et la liberté qui opprime.

    By Anonymous anonyme, at 5:29 PM  

  • C'est la loi qui libère et la liberté qui opprime en l'espèce.

    By Anonymous quidam, at 5:33 PM  

  • Bien sûr, cette polémique au sujet de la burqa est disproportionnée et entraîne des débats parfois malsains. J'ai un point de désaccord avec vous lorsque vous déclarez:"un visage ne me dit rien". Pour moi, un visage, même inexpressif, peut dire beaucoup: on peut y lire des sentiments, voire des traits de caractère ( on a la gueule qu'on mérite, dit-on!) Et puis, pour dédramatiser, si une femme est laide, elle a raison de se cacher, mais dans le cas contraire, quel dommage!

    By Anonymous Lormont, at 5:46 PM  

  • Finalement, ce n'était pas Eric Leskiw qui m'attendait, ils ont tous les cheveux longs lol, j'ai eu mon interview tout à l'heure, j'ai même parlé de vous en disant que vous étiez un de mes mentors au niveau local. A paraitre la semaine prochaine.

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 6:13 PM  

  • Arthur,

    Puisque je suis, dis-tu, ton mentor, voilà deux nouveaux conseils pour ta jeune carrière politique :

    1- Ne jamais dire du mal d'un journaliste parce que tu as plus besoin d'eux qu'eux n'ont besoin de toi. Surtout quand il s'agit du directeur de L'Aisne Nouvelle ! J'en ai connu plus d'un qui s'est ainsi bêtement brûlé les ailes.

    2- J'apprécie beaucoup que tu parles de moi, mais ce n'est pas nécessairement bon pour toi. Les envieux de droite vont t'en vouloir et les envieux de gauche vont m'en vouloir !

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:26 PM  

  • A 5.29 et 5.33 :

    - Il n'y a rien de crétin en République de vivre en communauté, pourvu qu'on demeure citoyen.

    - La liberté n'opprime jamais, même en l'espèce, sauf à suivre une dialectique tordue et perverse. La liberté ne se divise pas, elle est toujours bonne à prendre.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:31 PM  

  • Lormont,

    On n'a évidemment pas la gueule qu'on mérite. Moi par exemple, ne trouvez-vous pas que mon visage devrait être plus en harmonie avec mon esprit ? Et puis, on ne peut pas établir un délit d'absence de faciès. Curieux qu'on accorde tant d'importance à l'apparence physique.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:34 PM  

  • Et en mentor politique de droite, j'ai dit Alexis Grandin, et au national Baroin et Copé. J'espère que XB m'en voudra pas trop..

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 7:55 PM  

  • Bravo Arthur, tu redeviens très politique : tu sais distinguer, tu élargis tes références, c'est bien. Mais Bertrand t'en voudra pour Copé. Le reste le fera sourire. Car la politique, hélas, exige de se soumettre pour réussir. De ce point de vue, je suis un parfait contre-exemple.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:05 PM  

  • Faut-il interdire de porter une rolex, et à quel poignet ?
    Toutes ces lubies liberticides !

    By Anonymous lorgnette, at 8:11 PM  

  • Vous avez une longue vue dans la réflexion.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:13 PM  

  • Et vous ne pensez pas que ce qui se passe en Belgique ce n'est pas un peu du crétinisme communautariste: la partition de la Belgique.

    By Anonymous quidam, at 8:48 PM  

  • Là, je reconnais que vous avez raison, avec tout le respect que nous devons à nos amis belges.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:23 PM  

  • Je suis content aujourd'hui, j'ai eu l'agréable surprise de voir ce message dans ma boite mail facebook :

    Freddy Grzeziczak 5 mai, à 13:51
    Félicitation Arthur pour ton blog que je lis maintenant régulièrement. Amicalement.

    ça me fait très plaisir.

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 1:54 PM  

  • Freddy lit aussi mon blog régulièrement, na ! Mais qui ne lit pas "L'Aisne avec DSK" ? Si je vous donnais des noms, vous n'en reviendriez pas. Quand on commence, on ne peut plus s'en passer.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 2:00 PM  

  • Si on autorise la burqa,
    on doit autoriser les naturistes à se promener ainsi dans l'espace public.

    Personne ne les force à se promener nu,
    s'ils choisissent librement de se dévetir,
    chacun doit s'habiller comme il l'entend à la seule condition que ce soit librement.

    Pourquoi forcer des gens qui ne veulent pas l'être à s'habiller, uniquement parce que nous l'avons décidé au mépris de leur désir et de leur volonté de se promener nu.

    Ne pas accepter leur nudité,
    c'est rejeter la différence,
    nous avons le droit de critiquer ces pratiques mais aucunement de les interdire.
    Arrêtons de parquer nudistes et naturistes dans des ghettos.

    Laissons leur vivre leur différence en étant pleinement acteurs de l'espace public.

    Le jour où je croiserai un naturiste en pleine rue,
    le jour où certains se présenteront nus au conseil municipal ou dans son assistance,
    je serais surement mal à l'aise,
    mais devons nous laisser nos sentiments devenir force de loi ?

    By Anonymous Anonyme, at 2:25 PM  

  • Votre argument ne tient pas une seconde puisque la législation punit l'attentat à la pudeur et l'exhibitionnisme. Votre exemple, mal choisi, se retourne contre vous.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:13 PM  

  • Vous avez raison tout cela se retourne contre moi,
    il semblerait donc que la nation n'autorise pas n'importe quel tenue
    et n'ai pas peur de légiférer quand elle le décide.

    C'est la loi qui définit l'impudeur et ce qui ne l'est pas,
    c'est la loi qui définit l'exhibitionnisme et ce qui n'en est pas.

    By Anonymous Anonyme, at 7:19 PM  

  • 1- La nudité n'est pas une tenue mais une absence de tenue.

    2- La législation en vigueur suffit pour ce qui est permis et défendu en matière de tenue. L'uniforme nazi est interdit parce qu'il incite à la haine raciale. La burqa n'incite à rien du tout qui soit fondamentalement condamnable.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:30 PM  

  • Ce n'est pas la Burqa en elle même qui fait peur. Ce n'est qu'un vêtement. Ce qui dérange c'est ce qui se trouve derrière elle, c'est l'Autre. l'Islam fait peur, parce qu'il est confondu à l'islamisme ( qui pourtant sont radicalement différents si l'on refuse les préjugés de bistrot et si on se plonge dans l'histoire de l'Islam). on y voit un danger pour la nation, l'Islam fait penser aux attentats, à l'absence de liberté des femmes. Bref, à travers cette polémique, on juge une culture religieuse, donc on juge quelque chose qui relève du domaine privé, en l'assimilant à un danger pour la France.

    Qu'il n'y ait pas de jeunes filles voilées dans les établissements publics, c'est conpréhensible, au nom de la laïcité.

    Que l'on interdise la Burqa, pour aller faire son marché et promener ses enfants dans un parc, c'est une entrave à la liberté : à la fois d'expression mais aussi à la liberté de culte.

    Ce qui fait peur, c'est l'étranger, ce sont les cultures différentes de la culture occidentale.

    Je ne vois dans cette polémique, que l'ombre de ce qu'on appelle le racisme : le siècle dernier, la figure du Juif faisait peur, aujourd'hui, c'est la figure du musulman. et je ne vois dans cette France qui vote les lois, que l'ombre d'une société qui accepte le racisme et toutes autres formes de discrimination.

    By Anonymous Anonyme, at 8:17 PM  

  • Il est nécessaire de revenir au Coran (très bonne lecture !) pour mieux comprendre ce qu'est l'Islam et pour mieux comprendre ce qui incite le port du voile :

    Seulement deux Sourates font référence au port du voile :

    Sourate XXXIII, verset 59 "Prophète, Dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leur mantes : sûr moyen d'être reconnues et d'échapper à toute offense
    - Dieu est Tout indulgence, Miséricordieux."

    On fait trop souvent l'erreur de penser que le port du voile est une obligation du Coran. Or, ce verset dit que le port de la mante distingue la femme libre de la femme de "rang inférieur".
    On a trop souvent donner au Coran des interprétations fausses qui correspondent à des fantasmes.

    Selon un autre verset ( pour être précis : Sourate XXIV, verset 31), on remarque que le Coran ne fait qu'inciter les femmes à la pudeur, et non pas au port du voile. Ce qui est différent.

    il est également intéressant de rappeler que le port du voile est antérieur à la révélation de Mahomet (qui a lieu en 611 aux environs de la Mecque). Le voile intégral était géographiquement très présent à cette époque en Iran. Par conséquent, le voile préexiste à l'Islam.

    By Anonymous Anonyme, at 8:41 PM  

  • A 8.17 :

    J'applaudis à vos propos, dans lesquels je me reconnais entièrement.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:46 PM  

  • A 8.41 :

    J'avoue n'avoir jamais lu le Coran. Mais c'est un tort. Je signale au passage, sur l'Islam, le dernier numéro spécial de "Philosophie magazine", très éclairant sur le sujet.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:48 PM  

  • pour compléter sur l'Islam :

    - "Les fondations de l'Islam. Entre écriture et histoire" d'Alfred Louis de Prémare.

    - "Mahomet" de Rodinson.

    - dans la revue "l'Histoire": revue n°30 datant de 2006 : "L'Islam et le Coran, un livre, une religion, des empires".


    Cette revue fait de manière remarquable le tour de la question, allant de la révélation de Mahomet à l'Islam dans le monde contemporain.

    By Anonymous Anonyme, at 9:04 PM  

  • Je ne sais pas si vous connaissez les travaux de Bruno Etienne, qui ne sont pas mal non plus.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:33 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home