Les belles âmes.

Bonjour à toutes et à tous.

Cinq grands artistes français, notoirement de gauche, viennent d'envoyer un courrier à Martine Aubry, rendu public par la presse. Comme beaucoup, j'apprécie chacune de ces personnalités. C'est pourquoi je suis révulsé, scandalisé même par cette lettre, moi qui évite pourtant le pathos de l'indignation. De quoi s'agit-il ? D'une critique de la position du PS sur la loi "Création et Internet".

Si ce n'était que cela, ce ne serait rien : on peut ne pas être d'accord avec les positions du PS, même quand on est de gauche, même quand on est socialiste. C'est, en République, la liberté de penser et de s'exprimer. Moi-même, je ne suis pas toujours en phase avec mon Parti, mais j'en partage les grandes lignes et je me soumets par discipline à ses décisions collectives. Sur le "piratage" illégal, ma religion n'est pas faite, je ne connais pas très bien ce dossier, mais je fais confiance à mes camarades.

Le problème est donc ailleurs : dans les mots, le style, les "arguments" employés dans ce courrier par ces cinq éminentes personnalités. La violence est inouïe, les attaques tournent au procès, le Parti socialiste est déligitimé, quasiment nié dans son identité. Ce n'est pas un reproche, une critique ou une contestation, c'est une mise à mort. Jugez-en par quelques extraits :

"Vous venez de tourner le dos à cette histoire commune [ "le refus d'un ordre purement marchand", "la protection du faible contre le fort" ] "

"Vous êtes désormais, par l'effet d'une étrange ironie de l'histoire, les avocats du capitalisme débridé contre les droits des artistes à l'heure du numérique."

"En faisant échec au vote de cette loi à l'Assemblée, vous nous avez adressé un message de rupture."

"Vous avez perdu notre soutien [...], vous avez également perdu votre âme."

"Quant à nous, nous restons de gauche, comme ça, quand vous le redeviendrez, vous saurez où nous trouver."

C'est signé Pierre Arditi, Juliette Gréco, Maxime le Forestier, Bernard Murat, Michel Piccoli. Et c'est inacceptable. Ca me fait penser à la campagne de 2002, où s'était déchaîné contre Jospin un anti-socialisme violent, pervers, qui faisait croire que le PS était devenu un Parti de droite, que nous menions au gouvernement une politique de droite. Ca revient, ça continue, sous une autre forme, mais dans la même logique, celle de l'arrogance anti-socialiste.

Balasko avait réouvert les hostilités il y a deux ans, en lançant injustement : "Y sont où, les socialistes ?" Personne alors, et c'est bien dommage, n'avait osé répliquer que les socialistes sont là où Balasko n'est pas, dans leurs permanences d'élus et dans les assemblées de leurs collectivités locales.

Un socialiste ne devrait jamais laisser sans réponse les insultes à l'égard de son parti. Car ce courrier, qui se drape dans les grands principes, qui assène un ton péremptoire, est un tissu d'insultes. Voilà ma réponse, en plusieurs points :

1- Toutes les formations politiques de gauche et d'extrême gauche sont contre la loi "Création et Internet". Pourquoi les belles âmes s'en prennent-elles qu'au seul PS ? Pourquoi cette unanimité ne les fait-elle pas réfléchir ?

2- La loi est voulue par Nicolas Sarkozy et son parti. Pourquoi les belles âmes, qui donnent des leçons de gauche à la gauche, soutiennent-elles une proposition de droite et un homme les plus à droite que ce camp nous ait donné depuis longtemps ?

3- Une position d'un parti, aussi contestée ou contestable soit-elle, suffit-elle à condamner l'ensemble de ce parti ?

4- Pourquoi des associations et personnalités, aussi belles âmes que ces cinq belles âmes, refusent-elles cette loi ? Je ne citerai que le commentaire paru dans le mensuel de la Ligue de l'enseignement, numéro de mai, p. 13 : "Tout cela fait regretter à la Ligue de l'enseignement le projet de licence globale pour lequel elle a bataillé et qui avait comme mérite de prendre en compte les évolutions de la société sur le téléchargement mais surtout la juste rémunération de la création [...] Nous voilà donc dotés d'une "usine à gaz" qui ne va rien résoudre et ce sont les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs qui seront les grands perdants."

5- Si j'avais la virulence et la cruauté des belles âmes, je soupçonnerais celles-ci de cacher derrière la proclamation des grands principes la défense de petits intérêts. Mais je ne suis pas une belle âme.


Bonne journée.