Froid, moi ? Jamais !
Bonsoir à toutes et à tous,
Les commentaires ce matin à la radio sur la hausse du prix du gaz avaient une tonalité quasi apocalyptique. Au-delà de la légitime récrimination du "tout augmente", c'était presque la défaite de la civilisation devant le froid qui était évoquée. La statistique d'un Français sur dix renonçant à se chauffer normalement pour économiser était particulièrement impressionnante. Au total, ce serait six millions de personnes qui s'imposeraient cette réduction. Quelques réflexions me sont alors venues à l'esprit, tant la situation me semble inédite, tant les réactions sont peu banales :
1- Ce qu'il est convenu d'appeler "l'épisode neigeux" a frappé les esprits. Il n'est pas étranger à ce sentiment d'un froid polaire, d'une nouvelle ère glaciaire qui s'abat sur nous. C'est d'autant plus troublant que la science nous ressasse un autre danger, tout à fait opposé, contradictoire : celui du "réchauffement climatique". La banquise est censée fondre, avec l'image des ours blancs sur des blocs de glace à la dérive, mais le temps nous fait comprendre l'inverse !
2- Cette redécouverte du froid est douloureuse parce cet élément naturel est le moins aimé de tous les éléments naturels : il n'apporte strictement rien à l'humanité (sauf le préjugé qui laisse croire qu'il tue les microbes), il est entièrement stérile. La pluie est dévastatrice mais contribue à la vie, le vent est violent mais il pousse les nuages mauvais, le feu ravage mais il éclaire et chauffe, la neige emmerde mais elle est belle à voir. Seul le froid fait souffrir sans aucune compensation, sans rien de positif. Etonnez-vous qu'on ne l'aime pas !
3- La pauvreté se définit tout entier dans ces paroles de la chanson de Coluche pour les Restaurants du Coeur : "Aujourd'hui on n'a plus le droit d'avoir faim ou d'avoir froid". La faim et le froid, voilà les deux jambes de la pauvreté. En France, la faim a été à peu près terrassée ; il reste le froid, auquel il est bien difficile d'échapper, même quand on est aisé. Avoir froid, c'est le mal qui nous rapproche le plus, actuellement, de la situation de pauvreté. Voilà pourquoi on le redoute.
4- Il y a tout un inconscient collectif à l'oeuvre derrière tout ça, un rappel de civilisation : c'est en maîtrisant le feu, c'est en sachant reproduire la chaleur que les sociétés se sont humanisées. Avant, les êtres humains se collaient les uns aux autres pour capter la chaleur des corps dans l'obscurité des cavernes, ou bien repliés dans des peaux de bête. La chaleur a tout changé, elle a réconforté, illuminé et même cuit les aliments : c'était le début de la culture, les hommes cessaient d'être des animaux quand la chaleur était dégagée par l'énergie combustible reproductible à volonté, par simple technique. Confusément aujourd'hui, nous ressentons l'avancée du froid comme un recul de civilisation, une défaite de l'humanité, nous ne le supportons pas.
5- Ce phénomène de crainte, parfois d'anxiété, toujours d'obsession par rapport au froid ne pouvait qu'advenir dans le monde contemporain, où pour la première fois la "chaleur ambiante" (drôle d'expression, très révélatrice) s'est installée partout, maisons, magasins, bureaux, ascenseurs, services publics, etc. Il n'y a pas si longtemps, dans bien des intérieurs domestiques, toutes les pièces n'étaient pas chauffées, la chaleur en occupait une ou deux, là où l'on en avait besoin, là où l'on résidait le plus souvent, le reste étant livré au froid, auquel on résistait avec bouillottes, couvertures et grosses laines.
Le confort a chassé tout ça, on regarde désormais le thermostat comme la montre. Avec le déplacement en automobile, le contact de l'homme au froid se réduit à très peu de choses, très peu de temps. Nous nous en sommes déshabitués. Dans les réunions publiques que j'organise, je sais que la température est un critère important, qui peut créer des mécontentements. En général, les gens n'ont pas assez chaud, se plaignent du froid. D'ailleurs, ils utilisent volontiers l'euphémisme qui permet de mieux affronter la réalité, le "il ne fait pas chaud" à la place du "il fait froid".
"Froid, moi ? Jamais !" : vous vous souvenez de cette publicité de chez Damart, qui a eu son heure de gloire et qui a persisté. Nous pouvons la reprendre à notre compte et dire que le froid ne nous atteindra pas, mais sous forme de souhait, d'espoir, de revendication. "Plus jamais ça", disait-on après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale."Plus jamais le froid", voilà ce qui monte de l'opinion et se répand dans tout le corps social. La nouvelle ascèse, c'est celle-là : résister au froid.
Bonne soirée,
couvrez-vous.
Les commentaires ce matin à la radio sur la hausse du prix du gaz avaient une tonalité quasi apocalyptique. Au-delà de la légitime récrimination du "tout augmente", c'était presque la défaite de la civilisation devant le froid qui était évoquée. La statistique d'un Français sur dix renonçant à se chauffer normalement pour économiser était particulièrement impressionnante. Au total, ce serait six millions de personnes qui s'imposeraient cette réduction. Quelques réflexions me sont alors venues à l'esprit, tant la situation me semble inédite, tant les réactions sont peu banales :
1- Ce qu'il est convenu d'appeler "l'épisode neigeux" a frappé les esprits. Il n'est pas étranger à ce sentiment d'un froid polaire, d'une nouvelle ère glaciaire qui s'abat sur nous. C'est d'autant plus troublant que la science nous ressasse un autre danger, tout à fait opposé, contradictoire : celui du "réchauffement climatique". La banquise est censée fondre, avec l'image des ours blancs sur des blocs de glace à la dérive, mais le temps nous fait comprendre l'inverse !
2- Cette redécouverte du froid est douloureuse parce cet élément naturel est le moins aimé de tous les éléments naturels : il n'apporte strictement rien à l'humanité (sauf le préjugé qui laisse croire qu'il tue les microbes), il est entièrement stérile. La pluie est dévastatrice mais contribue à la vie, le vent est violent mais il pousse les nuages mauvais, le feu ravage mais il éclaire et chauffe, la neige emmerde mais elle est belle à voir. Seul le froid fait souffrir sans aucune compensation, sans rien de positif. Etonnez-vous qu'on ne l'aime pas !
3- La pauvreté se définit tout entier dans ces paroles de la chanson de Coluche pour les Restaurants du Coeur : "Aujourd'hui on n'a plus le droit d'avoir faim ou d'avoir froid". La faim et le froid, voilà les deux jambes de la pauvreté. En France, la faim a été à peu près terrassée ; il reste le froid, auquel il est bien difficile d'échapper, même quand on est aisé. Avoir froid, c'est le mal qui nous rapproche le plus, actuellement, de la situation de pauvreté. Voilà pourquoi on le redoute.
4- Il y a tout un inconscient collectif à l'oeuvre derrière tout ça, un rappel de civilisation : c'est en maîtrisant le feu, c'est en sachant reproduire la chaleur que les sociétés se sont humanisées. Avant, les êtres humains se collaient les uns aux autres pour capter la chaleur des corps dans l'obscurité des cavernes, ou bien repliés dans des peaux de bête. La chaleur a tout changé, elle a réconforté, illuminé et même cuit les aliments : c'était le début de la culture, les hommes cessaient d'être des animaux quand la chaleur était dégagée par l'énergie combustible reproductible à volonté, par simple technique. Confusément aujourd'hui, nous ressentons l'avancée du froid comme un recul de civilisation, une défaite de l'humanité, nous ne le supportons pas.
5- Ce phénomène de crainte, parfois d'anxiété, toujours d'obsession par rapport au froid ne pouvait qu'advenir dans le monde contemporain, où pour la première fois la "chaleur ambiante" (drôle d'expression, très révélatrice) s'est installée partout, maisons, magasins, bureaux, ascenseurs, services publics, etc. Il n'y a pas si longtemps, dans bien des intérieurs domestiques, toutes les pièces n'étaient pas chauffées, la chaleur en occupait une ou deux, là où l'on en avait besoin, là où l'on résidait le plus souvent, le reste étant livré au froid, auquel on résistait avec bouillottes, couvertures et grosses laines.
Le confort a chassé tout ça, on regarde désormais le thermostat comme la montre. Avec le déplacement en automobile, le contact de l'homme au froid se réduit à très peu de choses, très peu de temps. Nous nous en sommes déshabitués. Dans les réunions publiques que j'organise, je sais que la température est un critère important, qui peut créer des mécontentements. En général, les gens n'ont pas assez chaud, se plaignent du froid. D'ailleurs, ils utilisent volontiers l'euphémisme qui permet de mieux affronter la réalité, le "il ne fait pas chaud" à la place du "il fait froid".
"Froid, moi ? Jamais !" : vous vous souvenez de cette publicité de chez Damart, qui a eu son heure de gloire et qui a persisté. Nous pouvons la reprendre à notre compte et dire que le froid ne nous atteindra pas, mais sous forme de souhait, d'espoir, de revendication. "Plus jamais ça", disait-on après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale."Plus jamais le froid", voilà ce qui monte de l'opinion et se répand dans tout le corps social. La nouvelle ascèse, c'est celle-là : résister au froid.
Bonne soirée,
couvrez-vous.
2 Comments:
Vue sous un autre angle, cette énième augmentation avec celles de l'électricité et des autres sources d'énergie attire l'attention sur la spéculation qui exploite le moindre éternuement d'un émir pour justifier l'envol des cours. Un gouvernement ne peut,seul, combattre cette peste moderne mais serait en mesure, par le biais de la fiscalité, d'alléger quelque peu la douleur des portefeuilles. Ce fut une lourde faute d'avoir ouvert la porte de la privatisation à GDF-EDF et l'énergie doit rester du domaine de l'état. Une telle préoccupation dans le projet socialiste intéresserait sans doute l'électorat.
By Lormont, at 10:22 AM
Essai d'anthropologie du froid bien limité. Le froid c'est aussi le temps des solidarités, d'une réfexion sur le droit au logement, sur la maîtrise de tarifs sociaux de l'énergie, de la régulation ou de la maîtrise des opérateurs comme le dit Lormont.
Et puis le froid ce n'est pas que du négatif. Que deviendrait l'industrie prospère des sports d'hiver sans le froid, notre alimentation sans la "chaîne du froid" ? Et tous les savoirs-faire que nous avons développés pour nous protéger du froid.
Et puis, dans nos éco-systèmes de climats tempérés, nos jardins, nos champs, nos forêts, nos rivières, et tout ce qui y vit, ont besoin du froid pour renaître au printemps. Rêver d'un monde sans hiver est aussi stupide que de se plaindre de la pluie et du beau temps.
By Ane-Vert, at 12:06 PM
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