L'Aisne avec DSK

25 février 2011

Fortiche.

Bonjour à toutes et à tous,


Quand je ne vais pas au lycée, j'écoute le matin sur RTL l'interview de Jean-Michel Apathie. C'est bref, vif et incisif, une épreuve redoutable pour les hommes politiques : Apathie est mordant et pugnace. Beaucoup n'en ressortent pas indemnes. Ce matin, c'était Xavier Bertrand. Il a été tout simplement excellent.

Pourtant, ce n'est pas toujours le cas : on se souvient de la bourde sur Public Sénat avec Nicolas Totet, où le ministre avait surjoué l'indignation pour protéger Pierre André, ce qui s'était finalement retourné contre lui en créant une polémique nationale. En général, Bertrand a du mal à refouler la pointe d'irritation que suscite chez lui la présence de l'adversaire ou du simple contradicteur.

Ce matin, sa com' a été nickel. Tout y était : le ton posé, juste ce qu'il fallait d'une émotion qui semblait non feinte, des arguments s'imposant comme des constats, une impression de bonne volonté, d'optimisme et d'énergie. C'est sans doute le plus difficile dans le métier politique : comment donner le sentiment de ne pas jouer un rôle, de ne pas endosser un personnage ? Xavier Bertrand a atteint ce matin une sorte de perfection. Généralement, les hommes politiques ont bien du mal à cacher qu'ils sont en représentation, qu'ils adoptent des postures, qu'ils tiennent un discours qui n'est qu'un discours. Pour effacer tout ça, pour le faire oublier, il faut être très fort. Bertrand est très fort.

Sa tâche n'était pas facile, et Apathie n'avait rien perdu de sa verve pour tenter de faire trébucher le ministre, mais en vain : le chômage, MAM ou la forte rémunération du patron qui va partir en retraite, autant de dossiers qui pouvaient carboniser Xavier Bertrand, le pousser à la faute ou au lapsus. Mais ce diable d'homme s'en est à chaque fois habilement sorti. Non pas qu'il ait fait des annonces spectaculaires ou des analyses géniales : mais le simple bon sens qu'il professe emporte fortement la conviction.

Peu importe que le bassin d'emploi le plus touché en France par le chômage soit le Saint-Quentinois (15%, Apathie n'en a d'ailleurs rien dit) : Bertrand rappelle qu'il y a un écart entre l'offre et la demande d'emplois, que les restaurateurs cherchent des employés qu'ils ne trouvent pas alors même que beaucoup de jeunes sont en quête d'un travail. Qu'est-ce que vous voulez répondre à ça ? Que les rémunérations et les conditions de travail dans ce secteur (je connais un peu, un de mes frères est là-dedans) ne sont pas ce qu'il faudrait pour être attractives ? Sûrement, mais Apathie ne le dit pas et l'auditeur en reste aux évidences de Xavier Bertrand.

La force communicante du maire de Saint-Quentin, c'est de contourner une difficulté (la situation tout de même déplorable de l'emploi en France) en admettant sa réalité tout en se projetant vers l'avenir : "J'ai une obligation de résultats", a-t-il répété plusieurs fois, vous me jugerez sur pièce, pour ainsi dire. La réplique désarme toute critique. Et si c'est raté, "Bertrand dehors !" comme il l'a lui-même déclaré à un internaute saint quentinois lors de son tchat du 18 février. Fortiche. On pense bien sûr au "dégage" que lancent en ce moment les peuples du Maghreb et que Bertrand reprend à son compte mais à son endroit, se condamnant ainsi à ne pas échouer, nous condamnant ainsi à lui faire confiance.

Je ne peux pas non plus résister à la définition qu'il a donnée, par la même occasion, de la politique : "La politique, c'est très simple : les Saint-Quentinois ont des problèmes, il faut les résoudre". Un tel homme, on voterait pour lui sans lire son programme, comme on dit d'un excellent chrétien qu'on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. N'est-ce pas ce que bon nombre de Saint-Quentinois, jusqu'à la gauche, font ?

Xavier Bertrand ne provoque en moi aucune sorte d'admiration, et je le respecte ni plus ni moins que n'importe quel autre être humain. Mais je suis bluffé, estomaqué par sa maîtrise de la communication, son habileté politique, sa performance médiatique. Dans sa ville, il ne se contente plus des visites de quartier mais s'installe sur la toile une fois par mois, le tchat que je viens d'évoquer, touchant 200 internautes, dont pas mal de jeunes.

Devant un tel adversaire, on a envie de se faire tout petit, de rendre les armes, de se replier dans une sage indifférence. L'habileté appelle la prudence. Je crains que beaucoup de Saint-Quentinois n'aient basculé depuis longtemps de ce côté-là, l'avenir ne semblant sourire qu'à la droite locale. Mais que faites-vous alors du courage, et surtout de la démocratie ? Il faut à ce système républicain qui nous rassemble tous une gauche et une droite, une majorité et une opposition.

C'est quoi une bonne opposition ? Celle qui ne se destine pas à rester ad aeternam une opposition mais qui se voit, se pense déjà, agit dès maintenant en majoritaire. Quand la mentalité minoritaire a gagné les têtes, c'est fichu. Il faut être des gagnants avant d'avoir gagné. Pour que la gauche saint-quentinoise, à son tour, elle aussi, devienne fortiche.


Bonne journée.