La ligne Hollande.
Bonsoir à toutes et à tous,
François est candidat. Et de quoi toute la presse parle-t-elle ? De sa ligne ! Pas politique, elle n'a rien de flamboyant ou d'original, mais de sa silhouette : il a maigri, il a fait régime ! Dans notre société, la minceur est devenue une valeur quasi morale, une sorte de vertu, un signe que quelque chose de profond se passe dans l'existence d'un individu. La graisse doit fondre, voilà la nouvelle règle éthique. Hollande a maigri, c'est plus éloquent qu'un grand discours, c'est une preuve sérieuse d'engagement dans la course présidentielle.
On peut s'étonner qu'un homme de gauche partage le conformisme le plus bourgeois : soigner son apparence, cultiver son corps, adhérer aux canons esthétiques contemporains. Vouloir changer la vie, transformer la société, c'est en refuser les modes les plus superficielles, qui sont aussi des discriminants sociaux : aujourd'hui, les pauvres sont gros, et même obèses. Affiner son profil, c'est manifester qu'on suit la bonne société, qu'on en fait partie. La gauche caviar, c'est désormais ringard ; vive la gauche fitness !
Moi, François, je l'aimais bien avant, un bon gros rassurant, sympa avec nous autres les militants de base, simple, blagueur, pas prétentieux, avec ses bonnes joues que les femmes avaient envie d'embrasser et les hommes de pincer. Aujourd'hui, regardez le tableau : un visage qui s'est creusé, une peau grise, des regards tristes, une bouche qui ne sourit plus, des cheveux bizarrement remontés sur le haut du crâne, une parole qui fait attention à tout ce qu'elle dit, jusqu'à ses lunettes à larges branches portées par les frimeurs. François a renoncé au charme singulier, à l'originalité pour se soumettre à la normalité, pour rentrer dans le rang, pour suivre la ligne. C'est désolant, un homme qui cesse d'être lui-même, qui se fabrique un personnage.
Mais n'est-ce pas le prix à payer quand on fait de la politique, qui est par certains côtés une école d'abaissement, un exercice de soumission ? Pour plaire, il faut se conformer à ce qui plaît. Trop de nos concitoyens croient faussement que la politique est une partie de plaisir, une activité de jouisseurs. C'est le contraire qui est vrai : sa pratique est ascétique, il faut avoir le goût du sacrifice, et du suprême, le renoncement à soi-même. Combien d'hommes politiques, à l'image de Nicolas Sarkozy, ont mis une croix sur l'alcool et les desserts ? C'est terrible, un homme ordinaire ne s'y plierait pas.
Philosophiquement, la politique ne s'inspire pas de l'épicurisme mais du stoïcisme : avoir une volonté de fer, supporter les épreuves dans l'indifférence, sculpter sa propre statue, comme François Hollande devant ces miroirs que sont la télévision et le regard d'autrui. Allez savoir si les citoyens ne finissent pas par apprécier : car celui qui parvient à maîtriser son corps ne prouve-t-il sa capacité à maîtriser l'Etat, la société, à dominer une situation comme il domine ses calories ? Changer sa vie, c'est l'assurance qu'on pourra changer celle des autres.
En même temps, je n'y sens pas trop une attitude de gauche, où le corps est libéré, où les désirs sont en quête de plaisir, où l'excès est une forme de protestation. Adopter un régime relève de la symbolique libérale : "dégraisser" les services publics, appliquer une "cure d'austérité", se "serrer la ceinture", réduire les impôts, diminuer les aides sociales, oui le vocabulaire du régime renvoie aux thèmes de la droite libérale.
Mine de rien, nous assistons à une véritable révolution dans les représentations politiques : il n'y a pas si longtemps, Jacques Chirac recommandait à Alain Juppé de "prendre du poids" s'il voulait espérer un destin présidentiel. L'embonpoint était alors une promesse de pouvoir. Tout notable de province ou aspirant se devait d'être grassouillet pour avoir quelque crédibilité. Un "homme de poids" se comprenait au propre et au figuré, au physique et au politique. Un gringalet n'avait aucune chance : trop léger ... Cette prime à la minceur est aussi une influence de Paris et des grandes métropoles sur le monde rural, ses petites villes et ses villages, où les rondouillards sont encore aimés des électeurs.
Finalement, cette histoire de ligne chez François Hollande n'est pas une mince affaire (si j'ose dire), mais un révélateur social, une évolution des moeurs, un phénomène de civilisation.
Bonne soirée,
à la vôtre,
et bon dessert.
François est candidat. Et de quoi toute la presse parle-t-elle ? De sa ligne ! Pas politique, elle n'a rien de flamboyant ou d'original, mais de sa silhouette : il a maigri, il a fait régime ! Dans notre société, la minceur est devenue une valeur quasi morale, une sorte de vertu, un signe que quelque chose de profond se passe dans l'existence d'un individu. La graisse doit fondre, voilà la nouvelle règle éthique. Hollande a maigri, c'est plus éloquent qu'un grand discours, c'est une preuve sérieuse d'engagement dans la course présidentielle.
On peut s'étonner qu'un homme de gauche partage le conformisme le plus bourgeois : soigner son apparence, cultiver son corps, adhérer aux canons esthétiques contemporains. Vouloir changer la vie, transformer la société, c'est en refuser les modes les plus superficielles, qui sont aussi des discriminants sociaux : aujourd'hui, les pauvres sont gros, et même obèses. Affiner son profil, c'est manifester qu'on suit la bonne société, qu'on en fait partie. La gauche caviar, c'est désormais ringard ; vive la gauche fitness !
Moi, François, je l'aimais bien avant, un bon gros rassurant, sympa avec nous autres les militants de base, simple, blagueur, pas prétentieux, avec ses bonnes joues que les femmes avaient envie d'embrasser et les hommes de pincer. Aujourd'hui, regardez le tableau : un visage qui s'est creusé, une peau grise, des regards tristes, une bouche qui ne sourit plus, des cheveux bizarrement remontés sur le haut du crâne, une parole qui fait attention à tout ce qu'elle dit, jusqu'à ses lunettes à larges branches portées par les frimeurs. François a renoncé au charme singulier, à l'originalité pour se soumettre à la normalité, pour rentrer dans le rang, pour suivre la ligne. C'est désolant, un homme qui cesse d'être lui-même, qui se fabrique un personnage.
Mais n'est-ce pas le prix à payer quand on fait de la politique, qui est par certains côtés une école d'abaissement, un exercice de soumission ? Pour plaire, il faut se conformer à ce qui plaît. Trop de nos concitoyens croient faussement que la politique est une partie de plaisir, une activité de jouisseurs. C'est le contraire qui est vrai : sa pratique est ascétique, il faut avoir le goût du sacrifice, et du suprême, le renoncement à soi-même. Combien d'hommes politiques, à l'image de Nicolas Sarkozy, ont mis une croix sur l'alcool et les desserts ? C'est terrible, un homme ordinaire ne s'y plierait pas.
Philosophiquement, la politique ne s'inspire pas de l'épicurisme mais du stoïcisme : avoir une volonté de fer, supporter les épreuves dans l'indifférence, sculpter sa propre statue, comme François Hollande devant ces miroirs que sont la télévision et le regard d'autrui. Allez savoir si les citoyens ne finissent pas par apprécier : car celui qui parvient à maîtriser son corps ne prouve-t-il sa capacité à maîtriser l'Etat, la société, à dominer une situation comme il domine ses calories ? Changer sa vie, c'est l'assurance qu'on pourra changer celle des autres.
En même temps, je n'y sens pas trop une attitude de gauche, où le corps est libéré, où les désirs sont en quête de plaisir, où l'excès est une forme de protestation. Adopter un régime relève de la symbolique libérale : "dégraisser" les services publics, appliquer une "cure d'austérité", se "serrer la ceinture", réduire les impôts, diminuer les aides sociales, oui le vocabulaire du régime renvoie aux thèmes de la droite libérale.
Mine de rien, nous assistons à une véritable révolution dans les représentations politiques : il n'y a pas si longtemps, Jacques Chirac recommandait à Alain Juppé de "prendre du poids" s'il voulait espérer un destin présidentiel. L'embonpoint était alors une promesse de pouvoir. Tout notable de province ou aspirant se devait d'être grassouillet pour avoir quelque crédibilité. Un "homme de poids" se comprenait au propre et au figuré, au physique et au politique. Un gringalet n'avait aucune chance : trop léger ... Cette prime à la minceur est aussi une influence de Paris et des grandes métropoles sur le monde rural, ses petites villes et ses villages, où les rondouillards sont encore aimés des électeurs.
Finalement, cette histoire de ligne chez François Hollande n'est pas une mince affaire (si j'ose dire), mais un révélateur social, une évolution des moeurs, un phénomène de civilisation.
Bonne soirée,
à la vôtre,
et bon dessert.
17 Comments:
Ce qui différencie Emmanuel de beaucoup d'entre nous, c'est qu'il ne pense ni n'écrit jamais avec son humeur. C'est un kantien, c'est pour ça!
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erwan, at 9:22 PM
Kantien, non pas vraiment. Mais il est vrai que les humeurs, ce n'est pas mon genre. N'est-ce pas mon cher Erwan ?
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Emmanuel Mousset, at 9:49 PM
Je suis bien d'accord, mais, malgré tout, vous avez remarqué que vous tombez dans le travers que vous dénoncez ?
Vous auriez pu parler de son programme.
Personnellement, je vous une haine tenace à Hollande car je considère qu'il est directement responsable de la victoire de Royal aux primaires contre Fabius et DSK, et donc de la victoire de Sarkozy en 2007.
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Citoyen, at 10:24 PM
Regardé hier soir un peu par hasard François Hollande au JT de la 2. C'était pathétique cette armure de discours formaté où l'on sentait tellement la soumission aux grosses ficelles communicantes et à un transformisme en perroquet savant soigneusement amidonné. Une chose aussi abracadabrante que si Frère Jean des Entommeures, chez Rabelais, se mettait à prêcher pour Port-Royal. Ses conseils en com. semblent avoir oublié de le prévenir que sans sincérité la communication n'est que du vent. Je ne parle évidemment pas de son programme qui est respectable mais de la forme.
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Ane-Vert, at 10:28 PM
dsk lui ne semble pas avoir besoin de maigrir pour avoir la cote
car lui n est pas rondouillet, cela le rend plutot solide, ce qui est tres different !
il semble avoir une force en lui.
et puis pour le sexy sa femme continue à assurer cette image.
ce couple me fait penser à une ancienne serie américaine de television "l amour du risque" avec son couple jonathan et jennifer les justiciers milliardaires
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Anonyme, at 10:31 PM
Citoyen,
Ne haïssez personne, c'est trop fatiguant.
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Emmanuel Mousset, at 10:54 PM
Ane-Vert,
Au passage : Port-Royal, c'est très bien, Pascal en était.
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Emmanuel Mousset, at 10:54 PM
A 10:31 :
Je ne connais pas cette série, bien qu'étant fan des séries (mais années 60-70).
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Emmanuel Mousset, at 10:56 PM
Ah mais il y a des haines méritées.
Et vous êtes mal placé pour me donner ce (bon) conseil : vous ne haïssez pas le FN, vous ? Là aussi, d'ailleurs, c'est mérité.
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Citoyen, at 12:46 AM
Quand je l'ai vu jeudi, j'ai pensé la même chose.
Je trouve ce billet pertinent.
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grandourscharmant, at 1:59 AM
Citoyen,
Je suis comme Spaggiari dans la banque de Nice : "Sans haine, sans violence et sans armes".
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Emmanuel Mousset, at 9:26 AM
citoyen je suis pas d'accord avec toi ,hollande est plus crédible que DSK,qui est hautain et lointain,si il gagne dsk au primaires je t invite a aller voter sarkozy car ce sont les memes avec leur politique néo liberales qui a failli conduire la france à la ruine
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Anonyme, at 2:37 PM
D'accord pour Port-Royal et Pascal bien sûr, quand on voit comment Louis, 14 ème du nom les a traités, on ns peut qu'avoir envie d'écouter ce qu'ils ont voulu dire dans leur siècle. De toute façon mon billet était un peu idiot et ton analyse excellente. Quel candidat saura se hausser, pour l'opinion majoritaire, à la hauteur des enjeux du présent et d'un avenir meilleur, c'est encore bien mystérieux. En général je trouve chez tous les personnages publics ou privés le défaut de l'armure souvent plus intéressant que le costard et je pense un peu comme Pessoa qu'« Un être doté de nerfs moderne, d'une intelligence sans œillères, d'une sensibilité en éveil, a le devoir cérébral de changer d'opinion et de certitude plusieurs fois par jour. »
Mais ce n'est peut-être pas un bon conseil à donner à un candidat à la présidentielle, cela relève peut-être d'une intime conviction espérée...
Il me semble aussi que le débat démocratique serait plus productif s'il n'était pas encombré par cette inflation des égos qui résulte de l'hypertrophie de la fonction présidentielle, çq ne sera pas simple d'en sortir car ça a gangréné tout l'imaginaire politique.
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Ane-Vert, at 5:07 PM
D'accord avec l'äne vert. Hollande a frisé le ridicule.
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Lormont, at 5:43 PM
Bonsoir EM,
Je me faisais une petite réflexion qui n'a rien à voir avec Hollande et la politique mais bon...Vous dites "c'est terrible un homme qui cesse d'être lui-même" mais dans la vie comment savoir si en restant soi-même on n'est pas encore plus pathétique?
J'ai vraiment le sentiment que lorsqu'on n'a pas la chance d'être doté d'une solide estime de soi,on ne peut pas se permettre de ne pas "rentrer dans le rang" et de ne pas "être dans la ligne"...sinon les autres vous démontrerons toujours à quel point vous êtes ridicules, et questions arguments ils seront toujours plus forts que vous...et là ce n'est que le début d'une profonde dépression...
Enfin bon...ce sont des interrogations qui n'en finissent pas...
Bien à vous,
Anne.
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Anonyme, at 12:54 AM
L'enfer c'est les autres, comme disait l'autre.
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Emmanuel Mousset, at 6:01 AM
comment fait on pour rentrer au PS?
Il faut se choisir un leader et apprendre à dire du mal des autres?
Dsk n'a t'il pas pratiqué une opération du muscle faiblard de sa paupière pour soigner son image?
Non c'était surement par confort.
Arrétez de fréquenter des tocards ca vous tire vers le fond...
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Anonyme, at 5:50 PM
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