L'Aisne avec DSK

27 mars 2011

Le mystère de Jean Royer.

Bonjour à toutes et à tous,


J'ai envie ce matin de vous parler de Jean Royer. Mais pourquoi ? Eh bien pourquoi pas ! Surtout, parce qu'il est mort cette semaine et que sa disparition n'a pas suscité énormément de commentaires. C'était pourtant une personnalité politique nationale, il est vrai il y a bien longtemps de cela. A tel point d'ailleurs que je ne savais pas qu'il était encore en vie quand j'ai appris sa mort ... Royer, je suis évidemment mal placé pour vous en parler : c'était un homme de droite pour lequel je n'avais aucune sympathie, même en cherchant bien. Pourtant, si j'y consacre ce billet, c'est que j'ai quelques raisons :

D'abord, son personnage me ramène à ma pré-adolescence : j'ai 13 ans, nous sommes en 1974, j'admire Mitterrand, Royer est candidat de droite à l'élection présidentielle. Comme je m'éveille à la politique, tout m'intéresse, je passe en revue chaque candidat. Jean Royer, pour moi, c'est le réactionnaire à l'état chimiquement pur. Pas facho (ça c'est Le Pen et son bandeau sur l'oeil), pas non plus la droite classique, à la fois conservatrice et réformatrice : Chaban parle d'une "nouvelle société" et Giscard veut "le changement dans la continuité".

Non, Royer refuse toute innovation. Il s'oppose essentiellement à la plus importante depuis Mai 68 : la libération des moeurs, contre laquelle il va mener toute sa campagne. Il est le seul parmi la droite parlementaire ; Chaban et Giscard ne contestent pas les acquis culturels de Mai. Royer, à mes yeux, c'est l'horreur : un homme qui refuse le progrès, qui s'attache au passé, bref tout le contraire de l'homme de gauche tel que je le conçois alors.

Ma répulsion ne va pas non plus sans une forme de fascination. Car Royer, c'est une gueule : des cheveux noirs charbon, des yeux vifs à faire peur, un visage osseux qui a oublié de sourire, un corps maigre, une tête d'inquisiteur ou de pasteur fanatique. C'est à ce moment-là que je comprends quelque chose qui reste encore mystérieux pour moi aujourd'hui, que j'ose à peine avouer : le physique joue un rôle en politique et nous avons la tête de nos idées ! En cette année 1974 où je m'initie à la politique française, il est saisissant de constater que Le Pen à la tête d'un soudard facho, Krivine d'un intello gaucho, Marchais d'un Soviétique, Mitterrand d'un socialiste lettré. Royer, c'est le réac tout craché ! Même au cinéma, on ne tomberait pas dans une telle caricature ...

J'ai une photo qui est gravée dans ma mémoire, tirée de cette fameuse campagne qui a fait connaître le maire de Tours : lors d'un de ses meetings, une fille se met les seins à l'air et brandit le poing. Tout est dit : Marianne effrontée et Don Quichotte triste, la vie et la mort, le plaisir et la peine, l'avenir et le passé, la liberté et la morale, la gauche et la droite. La politique est tellement plus simple quand on a 13 ans. Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai reconsidéré cet homme, quoique demeurant très hostile à ses options politiques : sous la rigueur du masque, j'ai vu transparaître les tourments, et une personnalité plus complexe que cette lame de couteau qu'il affichait.

En effet, Jean Royer a commencé sa carrière comme instituteur, puis professeur des collèges, à une époque où ce milieu était tout acquis au SNI et à la SFIO. Comment n'a-t-il pas pu en subir l'influence et la tentation ? Et puis, j'ai appris qu'à la présidentielle de 2 002 il avait soutenu Chevènement. Il y a sûrement un mystère Jean Royer, comme il y a un mystère de chaque homme qui vit sur cette terre et que la mort emporte à jamais.

Jean Royer a-t-il eu au moins une postérité politique ? Je ne pense pas. Certes, on pourrait rapprocher de lui Philippe de Villiers ou Christine Boutin. Mais le premier a fait campagne contre "l'islamisation", un relent xénophobe totalement absent chez Royer. Quant à la seconde, elle se présente comme catho, brandit la Bible, ce que n'a jamais fait Royer, gardant ses convictions personnelles pour lui.

Surtout, plus personne aujourd'hui ne remet en cause la libération des moeurs. Mai 68 a gagné, même à droite ! Certes, on réclame de toute part un retour à l'autorité (même à gauche !) mais il ne viendrait à aucun homme politique, même d'extrême droite, l'idée de demander l'interdiction de la pornographie. D'où il est, à l'heure où j'écris, Jean Royer doit être bien malheureux de constater que l'évolution d'une société est plus forte que tous ceux qui tentent de s'y opposer.


Bon dimanche,
n'oubliez pas d'aller voter.

9 Comments:

  • Mai 68 a gagné et nous avons perdu.
    Nous sommes devenus des consommateurs,
    plus des citoyens.

    By Anonymous Anonyme, at 12:29 PM  

  • Votre interprétation de Mai 68 est assez limitée.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:34 PM  

  • L'ordre moral est une sorte de fascisme.

    Jean Royer faisait partie de la droite extrême, si vous tenez vraiment à le différencier du FN. Mais ce qui les sépare est à peu près aussi fin que l'épaisseur d'un papier à cigarettes.

    By Anonymous Citoyen, at 1:48 PM  

  • Non, vous exagérez. Le fascisme était foncièrement et délibérément immoral. Je le distingue de la droite réactionnaire type Royer, qu'on ne peut tout de même pas qualifier de facho !

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 2:03 PM  

  • C'est de la cuisine pas de la politique au sens de la république ....

    By Anonymous Anonyme, at 2:45 PM  

  • Dans une maison, il faut une cuisine et un salon.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 3:07 PM  

  • "Dans une maison, il faut une cuisine et un salon."

    Peut-être mais la cuisine ump ressemble de plus en plus à une cuisine américaine qui mélange toutes les pièces en une seule.
    Il ne faut pas alors s'étonner des résultats du fn : l'ump a fait largement la campagne pour le fn.

    By Anonymous Anonyme, at 12:00 AM  

  • Vous avez raison il y avait bien un mystére Royer. Je suis de Tours et né en 68, j'ai assisté à la fin de règne pitoyable du Roi Jean dans sa ville. Ce n'était plus les scores des années 70, il passait ric-rac. Sachez que son image n'était pas aussi dégradée dans sa ville qu'au plan national. Il reste l'homme qui a rebatit une cité détruite par la guerre, qui l'a portée de 100 000 à 150 000 habitants en 1975, l'homme des pavillons sociaux, celui qui permis de l'implantat de l'université en plein centre-ville. Catholique, réactionnaire, ultra-conservateur. Mais aussi progressiste comme Bismark le fut avec les ouvriers à la fin du XIXe, humain (il engagea de nombreux sans emplois dans les services municipaux) brillant orateur, et surtout profondément honnête, incapable de vols ou de se faire rémunérer sur des fonctions fictives. C'était une autre époque où les cumulards se comptaient par centaines. Royer, homme actif s'il en est, fut de ceux là aussi.

    By Anonymous Anonyme, at 8:12 PM  

  • Je decouvre ce blog. Jean Royer était un honnête homme et beaucoup de nos hommes politiques actuels devraient s'en inspirer. Si Royer (ou Chaban), avait était élu Président en 1974, la France ne serait probablement pas au triste niveau dans lequel elle se situe actuellement.
    PS. DSK ? Hum... Quant à ses idées économiques, force est de constater que celles-ci, ultra-libérales et mondialistes, mènent à la ruine.

    By Anonymous L'indépendant, at 11:53 PM  

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