L'Aisne avec DSK

20 avril 2011

Luc Bérille.



Bonsoir à toutes et à tous,


Connaissez-vous Luc Bérille ? Peut-être pas. Pourtant, il est presque aussi important, dans notre vie politique et sociale, que Bernard Thibault, François Chérèque ou Jean-Claude Mailly. Depuis peu il est vrai. Moi-même je ne l'ai su que ce matin, en ouvrant le magazine de mon syndicat, le Syndicat des Enseignants-UNSA, qu'il a dirigé pendant neuf ans.

Et maintenant ? Il est depuis un mois à la tête de l'UNSA, une union inter-<strong>professionnelle, parmi les plus influentes de France, après la CGT, la CFDT et FO. Moins connue sans doute que SUD très médiatique, mais plus représentative, et en progression constante dans les élections professionnelles ces dernières années.

Luc Bérille ! Je l'ai rencontré en 1 998, alors qu'il était secrétaire départemental de la section de Paris du SE-UNSA. A l'époque, j'habitais encore dans la capitale, j'étais à mi-temps "conseiller technique" du syndicat, et une amie instit m'avait demandé une intervention devant notre section parisienne. C'est là où je l'ai vu pour la première fois : une belle moustache de syndicaliste qu'il a heureusement conservée, mais aussi une sorte de timidité apparente qui n'annonçait pas vraiment le leader qu'il est aujourd'hui, l'un des cinq ou six qui comptent au niveau national dans notre paysage syndical. Il faut se méfier des faux timides !

J'ai revu Luc en 1 999, quand il a rejoint le 209 boulevard Saint-Germain, siège du syndicat, avec un bureau à quelques mètres du mien. En ce temps-là, le patron c'était Hervé Baro, devenu depuis conseiller général, que je croise régulièrement dans les congrès et réunions du PS. Luc alors ? Un bosseur et un modeste, pas une grande gueule telle qu'on imagine le syndicaliste, même enseignant. Est-ce la raison pour laquelle, parmi tous ceux qui pouvaient prétendre succéder à Hervé, je pensais à d'autres mais pas à lui ?

Troisième rencontre, saisissante, en 2 001 : je suis à Pau, au congrès du syndicat. Luc Bérille se présente devant l'assemblée, plusieurs centaines de délégués, pour répondre aux questions, multiples et souvent techniques. C'est un impressionnant sans faute de sa part. Il décortique chaque demande, pousse dans le détail les réponses, ne cale sur rien, fait preuve d'une mémoire d'éléphant. C'est son épreuve du feu, dans laquelle il s'implique quasi physiquement. Je suis admiratif. Le petit secrétaire départemental a pris une envergure nationale, tout en restant le même : travailleur, modeste, efficace.

A l'issue du congrès, il remplacera Hervé Baro, tout naturellement. Je ne l'imagine pas ambitieux, intriguant (d'autres le sont, à ce niveau de responsabilité, et même plus bas !). Chez Luc, il y a une sorte de récompense spontanée, le résultat logique de son activité. Des désignations sans problème, sans vague, qui font l'unanimité de tous les camarades : j'en rêve !

J'ai aussi compris, à ce congrès de Pau, quelque chose qui ne me quittera plus jamais, qui me préoccupe encore aujourd'hui, qui produit parfois quelques remous quand j'en parle autour de moi alors que l'idée ne devrait normalement soulever aucune contestation : il n'y a d'action syndicale et politique réussies que dans la compétence, car les grandes idées ou la bonne volonté, aussi estimables soient-elles, ne suffisent pas. Cette notion de compétence est restée chez moi une forme d'obsession, en réaction à une gauche dilettante, amateuriste, approximative, parfois frivole ou frimeuse.

Est-ce un hasard si à la même période mes deux modèles en politique sont Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn ? L'un incarne le sérieux et la clarté, l'autre la cohérence et la performance. En revanche, je me méfie du socialisme lyrique, bavard, folklo, du genre plus-à-gauche-que-moi-tu-meurs. Syndicalement, je peux ajouter Luc Bérille à cette trilogie personnelle.

Mais l'essentiel n'est pas encore là. Les vertus individuelles sont précieuses, on ne peut certes pas mener une action politique ou syndicale avec le premier venu en tête. Cependant, c'est la ligne qui prévaut, avant les qualités humaines. Celle de l'UNSA me correspond complètement, ne m'a jamais déçu : réformiste comme la CFDT, mais sans la tentation d'un accompagnement social du système libéral. Bref, un syndicalisme de transformation sociale, avec en plus la culture laïque. Pour moi, le SNES était trop corpo, la FSU trop gaucho, le SGEN trop pédago, FO trop trotsko. L'UNSA, c'était l'union des enseignants, des fonctionnaires et des salariés du privé. Ca me plaît, j'en suis resté là.

J'ai lu les dernières interviews de Luc Bérille, j'adhère à ses deux objectifs : d'abord rassembler les réformistes. Oh que oui, dans le monde syndical comme dans le monde politique, c'est la ligne blanche au delà de quoi il n'y a que transgression, compromission, reniement de soi. L'union quand c'est possible, la discussion toujours, mais pas à n'importe quel prix, pas au détriment de notre identité. FO s'égare, la CGT se cherche, SUD est dans la surenchère : UNSA et CFDT doivent se rapprocher, en pensant aussi à la CGC des cadres.

Ça, c'est pour la stratégie et les alliances, aussi primordiales dans le syndicalisme qu'en politique. Mais le projet ? Luc a raison de dire que le clivage n'est plus vraiment, en matière d'idées, entre les réformistes et les contestataires. SUD n'est-il pas contestataire sans être révolutionnaire, radical et en même temps furieusement corporatiste ? A FO, lambertistes et militants de droite font bon ménage, sans se contrarier idéologiquement (ça ne date pas d'aujourd'hui me direz-vous, et c'est exact). Non, le vrai clivage est aujourd'hui ailleurs : entre ceux qui acceptent la mondialisation en voulant la transformer et ceux qui la dénoncent en prônant le repli. L'UNSA, vous l'avez deviné, est parmi les premiers. Moi aussi.

Félicitations monsieur le secrétaire général, cher camarade. Et bravo Luc !


Bonne soirée.