Le médecin et le plombier.

Vous vous souvenez de la psychose, lors de la campagne de 2005 pour la Constitution européenne, autour du "plombier polonais" et de la directive Frankenstein (pardon, Bolkenstein). Nos villes et campagne allaient être envahies non pas par des petits hommes verts mais bleus, en salopette et boîte à outil, venant du froid et proposant de réparer nos tuyaux. Même la gauche ouvrière et internationaliste angoissait. Aujourd'hui, c'est fini, la psychose a reflué.

Chez moi, dans l'Aisne, à Seboncourt, près de Bohain, pas de problème, pas de plombier, mais un ... médecin roumain! La presse locale nous en parle ce week-end. Un envahisseur? Mais non! Dans cette petite ville de 1111 âmes, il en manquait une: le médecin. Gérard Feuillette, le maire, s'est démené pour en trouver un. Et ça n'a pas été facile! En France, rien: "Les jeunes médecins veulent être en ville et ne faire que 35 heures par semaine. Ils ne veulent plus travailler le week-end." Pas découragé, le premier magistrat a contacté des cabinets en Belgique, dans le Maghreb, en Lybie et en Syrie. Toujours rien. Il s'est donc tourné vers les pays de l'Est, jusqu'en Lituanie.

Au bout de 10 mois de recherches infructueuses, Monsieur le Maire a trouvé la perle rare, en Roumanie: Lucien Popoviciu, 38 ans, médecin, qui accepte de s'installer à Seboncourt. Le conseil municipal a mis le paquet pour l'attirer: prise en charge pendant 6 mois des loyers de son cabinet et de son domicile. Lucien Popoviciu n'est pas venu seul: son père l'accompagne. Sa motivation? Il l'explique: "Le système de sécurité sociale français est presque parfait. Il y a vraiment une prise en charge du patient et c'est ce genre de relation que je cherche."

Le plus drôle dans cette drôle d'histoire, c'est que le médecin venu en France a été remplacé en Roumanie par un médecin venant ... d'Afrique. Drôle aussi de savoir que Seboncourt a déjà eu un médecin roumain de 1930 à 1937. En tout cas, je préfère cette belle histoire pleine d'enseignements politiques que la psychose autour du plombier roumain. Quelques réflexions et une citation:

Seboncourt a toujours eu son médecin. Et il est normal que les citoyens aient accès aux soins. Mais la société a changé, de rurale est devenue urbaine, d'enracinée est devenue mobile. La médecine était une vocation, presque un sacerdoce. Elle est considérée aujourd'hui comme un métier, ni plus ni moins qu'un autre. Tout cela explique les changements, les difficultés à installer de jeunes médecins. Pourtant, les généralistes sont nombreux, 213000 en France. Que faire? Imposer aux médecins leur lieu d'exercice? ¨Pierre-Jean Lancry, directeur santé de la Mutualité sociale agricole et vice-président du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie a une idée, dans Le Monde du 21 janvier:

"Cela ne sert à rien d'installer un médecin dans un coin isolé avec peu de population, car il sera insatisfait de ses conditions d'exercice. Dans un tel cas, tentons plutôt la solution du transport des patients vers des zones où l'offre médicale est plus dense ou, pourquoi pas, des cabinets ambulants se rendant dans ces zones très isolées."

Peut-être, il faut y réfléchir. Mais je veux ce soir m'endormir avec en tête le rêve du médecin roumain. Et peut-être alors qu'un jour viendra à Seboncourt un plombier polonais qui ne fera plus peur?


Bonne nuit.