Domenech le sage.

Je ne peux pas finir cette journée, aller me coucher, sans vous parler de la défaite française d'hier. Je passe sur les superlatifs particulièrement ridicules utilisés en pareille occasion, comme si un échec sportif devenait un drame national. Je remarque que Xavier Bertrand a voulu faire son malin et que ça lui est retombé sur le nez: il avait fait savoir, en bon communicant qui se doit d'aimer le foot même s'il ne l'aime pas, qu'il avait réservé son précieux temps et ses places pour les demi-finales et finales. Plouf! C'est peut-être ce que Nicolas Sarkozy appelerait un "incident", puisque c'est aussi par ce mot bien faible qu'il a désigné un évènement très fort et autrement plus dramatique, le rejet du traité de Lisbonne par le peuple irlandais.

Mais ce qui m'a le plus frappé hier soir, ce n'est pas cette défaite annoncée dans une France qui doute de tout et se cherche des champions. Non, c'est d'abord le sort réservé au sélectionneur de l'équipe, Raymond Domenech, devenu le parfait bouc émissaire. Toute défaite est laide, mais elle est plus laide encore lorsqu'elle génère la mesquinerie. Je suis nul en foot, mais je me dis tout de même que tout n'est pas de la faute de cet homme-là. Qui joue, qui marque des buts, qui laisse passer des balles? Ce n'est pas lui, ce sont eux, les joueurs. Pas besoin d'être expert en la matière pour comprendre ça. Hier soir, la vieille chasse aux sorcière, le réflexe très primitif, l'instinct barbare qui consistent à désigner un coupable ont fonctionné à plein. Le déchaînement a été total.

Et le plus beau a été le geste magnifique de cet homme aux abois, traqué par la meute des frustrés de victoire: demander la main à sa belle, Estelle Denis, lui adresser une déclaration d'amour au milieu de ce déferlement de haine. Comment ne pas songer que l'une était utilisée à conjurer l'autre, à s'en protéger? Le propos était délicieusement décalé, provocateur: se moquer de la défaite, laisser les autres à leur dérisoire chagrin et parler de tout autre chose, d'amour, devant quoi le foot n'est plus rien. C'était formidable, presque élégant, avec quelque chose d'aristocratique dans cette indifférence à ce qui vous entoure. Je me souviens de cette formule de Pierre Dac: "Qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de vous."

Hier soir, la France était haletante comme une bête apeurée, abrutie de déception et de rage. Domenech le sage a remis les choses à leur place, a apporté un peu de sérénité dans toute cette excitation. Quand tout va mal, il faut avoir la délicatesse de porter son attention ailleurs. Qu'il en soit remercié. Et maudits soient les moralistes, les donneurs de leçon, les spécialistes de l'indignation! Ils ont eu ce qu'ils méritaient. Je ne veux pas que mon pays se rende malade du foot. Ce n'est pas un avis sportif mais éminemment politique.


Bonne nuit.