Désirer sans souffrir?
Bonsoir à toutes et à tous.
J'ai surveillé ce matin l'épreuve de philo du bac, où j'ai retrouvé mes élèves de terminale économique et sociale. Cette année, avec la réorganisation de l'examen, la dimension solennelle était moindre. Chaque lycée recevait ses élèves candidats, plus un seul et unique centre d'examen avec la foule impatiente et stressée piétinant à l'entrée. Tant mieux, après tout. Mon sentiment sur les sujets? Classiques en séries ES et S, mais je plains les Littéraires, qui ont eu des questions de dissertation pas faciles. Damien Le-Than, de L'Aisne Nouvelle, m'a sollicité pour que je propose quelques corrigés. Je vous en livre un ce soir, mais dont j'ai rédigé pour vous une version politique, ne voulant pas vous astreindre à la version purement scolaire que j'ai exposée à Damien et que vous pourrez consulter dans le journal de demain.
Peut-on désirer sans souffrir? voilà le sujet qui a retenu mon attention. En introduction, je pose la problématique suivante: si l'être de désir qu'est tout homme souffre dans l'instant où il désire, n'est-ce pas condamner l'humanité à une vie de malheur, absolument interdite à tout espoir de bonheur? J'appuirai ma réflexion sur un exemple de désir, le désir politique, c'est-à-dire l'envie et la jouissance du pouvoir (c'est là ma version non scolaire, puisque le bon candidat s'inspirera d'autres formes de désir). Mes trois premières parties s'efforceront de démontrer que désirer et souffrir, en politique, sont liés:
1- A l'origine de tout désir, il y a le manque, qui est une forme primitive de souffrance. Je ne désire que ce dont l'absence me fait souffrir, d'où l'élan qui me pousse à désirer sa présence. En politique, le désir de pouvoir est une faille, une faiblesse dans la personnalité de l'individu, qui renvoie probablement à je-ne-sais quel traumatisme. Quelqu'un de normal, d'équilibré, d'heureux n'a pas besoin de rechercher le pouvoir et sa jouissance. Il est pleinement satisfait dans sa vie de travail, amoureuse ou familiale. Le militant ou le responsable politiques sont des créatures malheureuses qui désirent le pouvoir pour peut-être se fuir eux-mêmes et combler leur frustration originelle.
2- L'obscur objet du désir, comme le qualifiait Bunuel, est prompt à la souffrance que provoque son illusion. Car le désir l'embellit et fait inévitablement l'expérience douloureuse de la déception, une fois son objet atteint et découvert dans sa réalité. Le pouvoir, on en rêve, on l'imagine, on le fantasme, et lorsqu'on le possède, on se rend compte qu'il est très dérisoire et presque rien.
3- Dans sa finalité, le désir est souffrance car il est foncièrement insatisfait, insatiable. Le phénomène est bien connu en politique. On fait semblant de lutter contre le cumul des mandats, en oubliant que la conquête et l'accumulation des pouvoirs est dans la nature même de l'activité politique. N'être jamais content de ce qu'on a, en vouloir toujours plus, être pris dans une course effrénée aux honneurs, aux responsabilités, à la gloire, voilà l'incurable souffrance du désir politique.
Mais ma dissertation ne peut pas se réduire à une vision aussi pessimiste. Je me dois de montrer que le désir n'est pas condamné à nous faire souffrir. J'en viens donc à deux références qui vont terminer ma réflexion:
4- Les Epicuriens distinguent trois formes de désirs:
- Ceux qui sont naturels et nécessaires (manger).
- Ceux qui sont naturels mais pas nécessaires (copuler).
- Ceux qui sont ni naturels, ni nécessaires (le désir de luxe, de gloire).
Le désir politique relève de la dernière catégorie, à proscrire parce qu'ils font souffrir. Les premiers sont les seuls qui procurent du plaisir, et non de la souffrance.
5- Les Stoïciens, adversaires philosophiques des Epicuriens, établissent deux grandes catégories:
- Les désirs qui dépendent de l'homme, parce qu'ils sont provoqués par sa volonté et sa raison.
- Les désirs qui ne dépendent pas de l'homme, parce qu'ils sont provoqués par les passions extérieures.
Les premiers sont à cultiver, les seconds sont à rejeter. Le désir politique s'inscrit parmi les désirs volontaires et rationnels. C'est pourquoi les Stoïciens occupaient souvent des charges politiques, certains allant jusqu'à devenir empereur, tel Marc-Aurèle. Les Epicuriens, eux, fuyaient les activités publiques et vivaient en communauté, en marge de la société.
Ma conclusion: oui, on peut désirer sans souffrir, à condition d'apprendre, par exemple sous la direction des Stoïciens. Alors le désir politique débouche sur une pratique sage, rationnelle et sereine. Mais combien de militants politiques stoïciens à Saint-Quentin? Très peu, je le crains.
Bonne soirée.
J'ai surveillé ce matin l'épreuve de philo du bac, où j'ai retrouvé mes élèves de terminale économique et sociale. Cette année, avec la réorganisation de l'examen, la dimension solennelle était moindre. Chaque lycée recevait ses élèves candidats, plus un seul et unique centre d'examen avec la foule impatiente et stressée piétinant à l'entrée. Tant mieux, après tout. Mon sentiment sur les sujets? Classiques en séries ES et S, mais je plains les Littéraires, qui ont eu des questions de dissertation pas faciles. Damien Le-Than, de L'Aisne Nouvelle, m'a sollicité pour que je propose quelques corrigés. Je vous en livre un ce soir, mais dont j'ai rédigé pour vous une version politique, ne voulant pas vous astreindre à la version purement scolaire que j'ai exposée à Damien et que vous pourrez consulter dans le journal de demain.
Peut-on désirer sans souffrir? voilà le sujet qui a retenu mon attention. En introduction, je pose la problématique suivante: si l'être de désir qu'est tout homme souffre dans l'instant où il désire, n'est-ce pas condamner l'humanité à une vie de malheur, absolument interdite à tout espoir de bonheur? J'appuirai ma réflexion sur un exemple de désir, le désir politique, c'est-à-dire l'envie et la jouissance du pouvoir (c'est là ma version non scolaire, puisque le bon candidat s'inspirera d'autres formes de désir). Mes trois premières parties s'efforceront de démontrer que désirer et souffrir, en politique, sont liés:
1- A l'origine de tout désir, il y a le manque, qui est une forme primitive de souffrance. Je ne désire que ce dont l'absence me fait souffrir, d'où l'élan qui me pousse à désirer sa présence. En politique, le désir de pouvoir est une faille, une faiblesse dans la personnalité de l'individu, qui renvoie probablement à je-ne-sais quel traumatisme. Quelqu'un de normal, d'équilibré, d'heureux n'a pas besoin de rechercher le pouvoir et sa jouissance. Il est pleinement satisfait dans sa vie de travail, amoureuse ou familiale. Le militant ou le responsable politiques sont des créatures malheureuses qui désirent le pouvoir pour peut-être se fuir eux-mêmes et combler leur frustration originelle.
2- L'obscur objet du désir, comme le qualifiait Bunuel, est prompt à la souffrance que provoque son illusion. Car le désir l'embellit et fait inévitablement l'expérience douloureuse de la déception, une fois son objet atteint et découvert dans sa réalité. Le pouvoir, on en rêve, on l'imagine, on le fantasme, et lorsqu'on le possède, on se rend compte qu'il est très dérisoire et presque rien.
3- Dans sa finalité, le désir est souffrance car il est foncièrement insatisfait, insatiable. Le phénomène est bien connu en politique. On fait semblant de lutter contre le cumul des mandats, en oubliant que la conquête et l'accumulation des pouvoirs est dans la nature même de l'activité politique. N'être jamais content de ce qu'on a, en vouloir toujours plus, être pris dans une course effrénée aux honneurs, aux responsabilités, à la gloire, voilà l'incurable souffrance du désir politique.
Mais ma dissertation ne peut pas se réduire à une vision aussi pessimiste. Je me dois de montrer que le désir n'est pas condamné à nous faire souffrir. J'en viens donc à deux références qui vont terminer ma réflexion:
4- Les Epicuriens distinguent trois formes de désirs:
- Ceux qui sont naturels et nécessaires (manger).
- Ceux qui sont naturels mais pas nécessaires (copuler).
- Ceux qui sont ni naturels, ni nécessaires (le désir de luxe, de gloire).
Le désir politique relève de la dernière catégorie, à proscrire parce qu'ils font souffrir. Les premiers sont les seuls qui procurent du plaisir, et non de la souffrance.
5- Les Stoïciens, adversaires philosophiques des Epicuriens, établissent deux grandes catégories:
- Les désirs qui dépendent de l'homme, parce qu'ils sont provoqués par sa volonté et sa raison.
- Les désirs qui ne dépendent pas de l'homme, parce qu'ils sont provoqués par les passions extérieures.
Les premiers sont à cultiver, les seconds sont à rejeter. Le désir politique s'inscrit parmi les désirs volontaires et rationnels. C'est pourquoi les Stoïciens occupaient souvent des charges politiques, certains allant jusqu'à devenir empereur, tel Marc-Aurèle. Les Epicuriens, eux, fuyaient les activités publiques et vivaient en communauté, en marge de la société.
Ma conclusion: oui, on peut désirer sans souffrir, à condition d'apprendre, par exemple sous la direction des Stoïciens. Alors le désir politique débouche sur une pratique sage, rationnelle et sereine. Mais combien de militants politiques stoïciens à Saint-Quentin? Très peu, je le crains.
Bonne soirée.
8 Comments:
Le désir politique fondamental n'est pas le pouvoir, mais le changement du réel. Le pouvoir n'est qu'un outil pour y parvenir. On peut l'exercer personnellement, ou bien le déléguer à autrui. Disposer de la bonne personne au bon poste est une solution satisfaisante. DSK au FMI est dans son rôle, Moscovici préparant le PS à l'alternance de 2012 également. Ce qui fait que l'on peut faire de la politique en amont, rien qu'en favorisant le mûrissement de la situation, et en encourageant divers acteurs à y aller. En ce sens aucune souffrance, en cas d'échec aucun regret, en cas de réussite, que du bonheur. Il faut évidement un certain recul, une élévation, que nombre de personnes, et pas qu'à Saint-Quentin on du mal à appréhender.
Le support est d'avoir bien évidemment des solutions qui constituent si elles sont homogènes et réalisables dans le réel, une vision. Le but est alors de faire prendre en charge par le politique cette vision, afin qu'il la réalise. Il y a alors, partage des tâches entre la théorie et la pratique. En physique, il y a de même les théoriciens, et les expérimentateurs. Les deux sont indispensables. Il y a les rêveurs et les hommes d'action. Mais que serait la force sans la réflexion ?
C'est par la spécialisation et la synthèse que l'on fragmente l'étude du réel.
By jpbb, at 11:01 AM
"En dehors de ces divergence syndicale, il faut que les socialistes se lancent dans cette bataille politique de défense des 35 heures. Cette réforme est leur réforme, qui est un thème identitaire pour la gauche. Si Martine Aubry a été hier tant applaudie, c'est qu'elle incarne cette réduction du temps de travail" parole d'un message d'emmanuelle Mousset,de la semaine derniére je crois, que de contradictions, tu as sans doute oublié la manif ainsi que les représentant du ps à Saint Quentin
Parole, parole et parole
By Anonyme, at 10:57 PM
Les représentants du PS à St Quentin, adressez-vous à eux, je n'en fais pas partie.
Quant à moi,j'étais, de 18h à 22h, à Belleu, présidant les réunions de bureau et de conseil d'administration de la FOL.
Alors, avant de parler, faites très attention à ce que vous dites. Sauf si vous êtes habitué à dire n'importe quoi. Mais là, je ne pourrai plus rien pour vous.
By Emmanuel Mousset, at 11:53 PM
J'imagine que la présence de François Hollande, 1er secrétaire du parti socialiste à la télévision ce soir
marquait le lancement de la bataille politique pour les 35h que lance le ps.
Bizarrement, il aura oublié de le faire et n'aura commenté que la défaite de l'équipe de France,
commenter les défaites il a l'habitude et puis, on ne va pas à 100% foot pour parler politique.
J'imagine que si la place d'un ministre n'est pas aux grosses tetes, celle d'un responsable politique, un jour de greve raté, n'est peut etre pas dans une émission de football.
Il n'aura surement rien trouvé de mieux pour se détendre et rire un peu.
Que vous puissiez vous passer d'un homme de son talent, de sa compétence et de son intelligence
ça laisse reveur sur l'état actuel du ps et de la gauche...
By grandourscharmant, at 12:16 AM
Vous faites les questions et les réponses. C'est la meilleure façon d'avoir toujours raison. Continuez.
By Emmanuel Mousset, at 9:48 AM
C'est donc comme cela que vous vous défilez.
si mes questions étaient mauvaises et mes réponses encore plus,
vous auriez surement trouvé quelque chose à dire.
Votre réponse est éloquente,
je vous plains sincérement
n'avoir que le choix de la mauvaise foi ou celui du mépris.
D'un autre coté, quand tout a été dit, il n'y a plus rien à ajouter.
By grandourscharmant, at 12:16 PM
Vous n'avez que ce que vous méritez. Qui sème la dérision récolte le mépris. Bien fait pour vous! Votre dernière phrase est pleine de sagesse. Quittons-nous provisoirement là-dessus.
By Emmanuel Mousset, at 12:37 PM
Your blog keeps getting better and better! Your older articles are not as good as newer ones you have a lot more creativity and originality now keep it up!
By Anonyme, at 4:02 AM
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