Le dimanche au turbin?

Bonsoir à toutes et à tous.

Vous vous souvenez de ce début de chanson de Mayol, Viens Poupoule, vers 1900:

Le samedi soir après l'turbin
L'ouvrier parisien
Etc.

C'est désormais fini. Le samedi soir après l'turbin, il y aura encore le turbin, reprise dimanche matin, et toute la journée. C'est le ministre du Travail qui nous a annoncé ça, hier, un dimanche évidemment, visitant un grand magasin dans la région parisienne. Cet homme travaille tout le temps, jour et nuit, dimanche itou. Normal qu'il veuille entraîner dans sa frénésie laborieuse les autres. Tiens, "Le dimanche au bord de l'eau", encore une ancienne et bien belle chanson qu'il va falloir revoir. C'est la révolutionne culturelle sarkozienne!

Bon, un peu de sérieux: le travail le dimanche, je ne suis pas contre, et ce n'est pas parce que c'est Bertrand qui le propose qu'il a tort. Pendant cinq ans, de 1988 à 1993, j'ai travaillé tous les dimanches, et de nuit, dans le gardiennage, à l'intérieur d'une compagnie d'assurances, presque au pied de la tour Montparnasse, square Max-Hymans, pour ceux qui connaissent le coin. Au départ, j'étais obligé. Dans le gardiennage, on n'a pas le choix. J'étais terrifié: la nuit, c'est fait pour dormir, le dimanche, c'est fait pour se promener et regarder la télé.

Et puis miracle: j'ai aimé, je n'aurai voulu pour rien au monde qu'on me prive de mes vacations nocturnes de 12 heures et de leurs repos compensateurs. Pourquoi? Parce que la nuit, c'est tranquille. On ne garde rien, à vrai dire. C'est une simple présence, rémunérée au smic. Les dimanches, je m'en fous: c'est gris, il n'y a personne nulle part, on s'ennuie. J'ai découvert la formidable liberté, l'extraordinaire vie du milieu de semaine. Mardi, mercredi, jeudi, y'a que ça de vrai, de bon! Le week-end, c'est la mort, une distraction pour petits-bourgeois.

Si le travail le dimanche se fait sur la base du volontariat, s'il est payé double comme le suggère le ministre, bravo Xavier Bertrand! Les consommateurs seront contents, les patrons seront contents, les travailleurs seront contents. A part les curés, qui peut être contre le travail dominical?

Mais à bien y réfléchir, j'émets des réserves, je donne mon accord sous condition, après vérification. Où est le problème? C'est que la contrainte ne soit déguisée: quand le pouvoir d'achat est faible, quand les salaires n'augmentent pas, les salariés vont chercher l'argent où ils peuvent, parce que le besoin est là. Ce sera donc le dimanche, même s'ils n'aiment pas ça, même si leur vie de famille se trouve sacrifiée.

C'est ça le hic dans la proposition de Bertrand: elle suppose un monde parfait, celui dont rêvent les libéraux, dans lequel toute décision relève d'un libre choix, contraint par rien. Sauf que la société n'est pas parfaite, que les contraintes existent, que la droite et le patronat prendront prétexte du travail dominical pour ne pas augmenter les salaires, laissant aux salariés qui veulent gagner plus... de travailler plus, le dimanche. Ca ne vous rappelle rien?

Bref, je suis circonspect. Bertrand, j'ai pas confiance, c'est un homme de droite, je sais quels intérêts il défend. En même temps, je suis social-démocrate, ouvert au compromis, soucieux que la situation des salariés s'améliore: pour ceux qui veulent travailler le dimanche, ok, allons-y, mais avec de grosses, de très grosses garanties.


Bonne soirée,
et aux gardiens du monde entier,
mes anciens collègues,
très bonne nuit.