L'Aisne avec DSK

05 octobre 2008

Militant-philosophe.

Bonjour à toutes et à tous.

En ce dimanche matin gris et pluvieux sur Saint-Quentin, j'ai toujours en tête les dures paroles de mon ami ce vendredi. C'est ainsi, on n'oublie pas les propos d'un ami, on y repense. S'il était versé dans la philosophie, je lui aurais répondu autrement, mais je n'ai pas voulu frimer. Avec vous, c'est différent, vous n'êtes pas des amis, vous êtes des lecteurs, j'ai moins de précaution à prendre. Je vais donc vous parler du bouquin que je lis actuellement, "La citadelle intérieure", de Pierre Hadot, un ouvrage magnifique sur l'empereur-philosophe (déjà tout un programme!) Marc-Aurèle et son traité "Pensées pour moi-même". Je vous en parle parce que j'y trouve les réponses aux remarques que me faisait mon ami (voir le billet de vendredi "Entre amis").

Marc-Aurèle est un stoïcien dont les rivaux en philosophie sont les épicuriens. Je crois qu'il existe aujourd'hui des socialistes stoïciens, dont je suis, et des socialistes épicuriens, qui s'opposent sur quatre points:

1- Les stoïciens ont pour finalité la volonté, les épicuriens le plaisir:

Parmi mes camarades, beaucoup sont là, au PS, par plaisir, je ne sais pas trop lequel tellement les situations sont rarement plaisantes. Mais il y a toutes sortes de plaisirs: échapper à l'ennui de sa vie, se retrouver avec d'autres quand on est seul, satisfaire de petits intérêts, jouir d'une forme de reconnaissance, plaisir facile aussi de suivre quelqu'un qui dispense de réfléchir par soi-même, etc. Pour un épicurien, il n'y a rien de mauvais, de bas dans le plaisir, tout est bon à prendre.

Je ne suis pas d'accord. En bon stoïcien, je me méfie du plaisir, ce qui fait que je ne passe pas pour un marrant. Mais je m'en moque, je ne recherche pas le plaisir de la bonne opinion que les autres auraient de moi. On ne fait pas de politique pour se faire plaisir ou pour faire plaisir aux autres. Je crois en revanche à la volonté. On fait de la politique par passion, parfois douloureuse, une passion rationnelle, qui s'appuie sur des convictions, et c'est ce qu'on appelle la volonté. A mon ami, j'aurais pu répondre vendredi: peu importe tes remarques, la seule chose qui compte, c'est MA volonté.

2- Les stoïciens distinguent ce qui dépend de chacun et ce qui n'en dépend pas:

Cette célèbre dichotomie, qu'on retrouve chez Epictète, est encore valable aujourd'hui, parmi les socialistes. Il y a ceux qui attendent tout de l'extérieur (de la Fédé, de la prochaine élection, d'un quelconque ralliement, d'un retournement de situation, etc). S'il y avait un dieu des socialistes, ils le prieraient chaque matin et chaque soir. Je suis athée, laïque, anticlérical, je ne crois en aucun dieu ni en aucun prêtre, évêque ou pape du socialisme, je ne crois qu'en moi, qu'en ma faculté de réfléchir, qu'en la force de ma volonté. Les autres sont ce qu'ils sont, font ce qu'ils font, cela m'indiffère. Je ne dépends de personne, que de moi. Les idiots diront que c'est de l'égocentrisme ou de l'orgueil. Les autres reconnaîtront une forme de morale, très ancienne, stoïcienne.

3- Les stoïciens croient au destin, les épicuriens au hasard:

Pour un stoïcien, rien ne vient de rien, il y a une cause à tout. Ce sont donc des penseurs de la nécessité, de la fatalité, du destin. Ce qui arrive devait arriver, est l'aboutissement d'une suite logique. Aucun événement n'est accidentel. C'est aussi ce que j'ai dit à mon ami vendredi, en moins philosophique. Les stoïciens sont hyper-rationnels. Les épicuriens, eux, croient au hasard, à la coïncidence, aux circonstances heureuses et malheureuses.

Pareil chez les socialos: certains comme moi pensent que les choses sont fixées depuis longtemps, qu'il ne sert à rien de s'en plaindre, qu'il faut les accepter, sachant que rien n'est immobile, que tout change, que demain ne sera pas la reproduction d'hier. D'autres, épicuriens sans le savoir, attendent le bon moment, parient sur une conjoncture favorable, se disent que tout est possible, que tout peut arriver, ce qui leur donne une raison d'espérer.

4- Les stoïciens vivent dans la cité, les épicuriens en marge, dans des communautés.

Les stoïciens se mêlent aux activités de la cité, jusqu'à son plus sommet, puisque Marc-Aurèle est devenu empereur. Les épicuriens, dans leur quête du plaisir, forment des communautés qui vivent dans les faubourgs des grandes villes. Les uns ont une activité proprement politique, publique, les autres une démarche clanique. De ce point de vue, là encore, je suis complètement stoïcien. Je n'ai jamais compris qu'on puisse cultiver en politique "l'entre soi", alors qu'on devrait s'ouvrir à tous, je déteste ceux qui se retrouvent à la même table, "entre copains". On ne fait pas de la politique pour se retrouver "entre copains", mais pour agir avec tous les camarades, pour tout le monde.

Marc-Aurèle était empereur-philosophe, Epictète était esclave-philosophe. Militant-philosophe, ça me plairait bien...


Bonne matinée stoïcienne.


PS: Martine Aubry, à 12h40, à l'émission "Dimanche+", sur Canal+, aujourd'hui bien sûr.

6 Comments:

  • La volonté, oui, mais au service d'un but, lié à un idéal. Il faut un fondement, la volonté seule ne suffit pas à se justifier d'elle-même.

    Militant-philosophe, c'est pas mal. ;-)

    By Blogger jpbb, at 11:47 AM  

  • Ce débat entre les stoïciens et les épicuriens a déja eu lieu sur ce blog et n'a pas été tranché bien entendu mais quand meme!...

    Ramener la philosophie d'Epicure à cette caricature de la recherche du plaisir est pour le moins réducteur pour ne pas etre plus sévère.
    Epicure trouve un juste équilibre et prend acte que tout dans la vie peut produire des effets plaisants ou déplaisants et que l'on peut chercher le bonheur tout en supportant la douleur.

    Il ne faut pas renvoyer dos à dos les stoïciens et les épicuriens.C'est amusant de vouloir classer à toutes fins les gens mais c'est un procédé qui trouve vite ses limites.

    By Anonymous Anonyme, at 12:23 PM  

  • Un stoïcien a aussi le droit de s'amuser. Ma réflexion était sans prétention, juste un parallèle plaisant entre deux formes de "socialisme". Mais j'ai l'impression que ça ne vous a pas trop amusé... Dommage.

    Votre précision sur Epicure et sa philosophe est une évidence, comme il est tout aussi évident que mon but n'était pas d'exposer sa pensée, qui peut s'accorder en partie avec le stoïcisme (chez Sénèque, par exemple).

    Quant à la répétition du débat entre les deux écoles, elle dure depuis 2000 ans. Je me suis donc permis de la prolonger de quelques mois.

    En espérant que tout ça vous amuse un peu... sans limites.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 2:49 PM  

  • Absolument il s'agissait simplement d'une précision toujours nécessaire...

    By Anonymous Anonyme, at 3:08 PM  

  • Me voilà rassuré.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 5:37 PM  

  • On ne fait pas de politique pour se faire plaisir ou pour faire plaisir aux autres. Je crois en revanche à la volonté. On fait de la politique par passion, parfois douloureuse, une passion rationnelle, qui s'appuie sur des convictions, et c'est ce qu'on appelle la volonté. A mon ami, j'aurais pu répondre vendredi: peu importe tes remarques, la seule chose qui compte, c'est MA volonté.
    MON COMMENTAIRE:
    Et la politique n'est-ce pas pas une recherche du pouvoir pour obtenir ce qui nous ferait plaisir - Pas certain qu'il s'agit ici de volonté à la base - peut-être qu'un épicurien ne se donnera pas la peine étant trop axé sur le plaisir il n'en aura pas la volonté. le but ultime sera quand même «le plaisir» peu importe la façon d'y arriver

    By Blogger James K., at 5:25 PM  

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