L'Aisne avec DSK

23 décembre 2008

Entre la vie et la mort.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je reprends ce soir l'analyse engagée hier des propos de Marie de Hennezel, une psychologue réputée pour son combat en faveur des soins palliatifs, qui cache et qui justifie son refus de l'euthanasie, selon moi infondé, et je veux continuer à vous dire pourquoi. J'ai lu attentivement sa conférence donné le 12 octobre de l'an dernier, à Nantes, devant les Amis de La Vie (le magazine catholique).

J'ai pioché ici ou là quelques expressions, qu'on prendrait pour d'aimables banalités si on n'y prenait garde, si on ne repérait pas, derrière un discours bienveillant et compatissant, des présupposés discutables. C'est ce dont je veux précisément discuter, bien sûr dans le respect des opinions de chacun:

- "Le devoir d'accompagnement": on se situe d'emblée dans une approche morale (le devoir), et pas proprement psychologique. Accompagner un mourant, je ne sais pas ce que ça signifie. Dans l'accompagnement, il y a un compagnonnage, un rapport d'égalité entre deux êtres. Entre le vivant et le mourant, il n'y a pas de compagnonnage possible, parce que la promenade est, pour l'un des deux, involontaire, tragique et sans retour.

- "Aider à mourir": c'est du même tonneau que l'expression précédente, qui ne mange pas de pain mais n'a pas de sens. La mort hélas n'a pas besoin d'être aidée. Elle se débrouille très bien toute seule dans ses oeuvres. Si on devait m'aider, ce serait à ne pas mourir, mais je crains que ce ne soit impossible. Ou alors, m'aider à mourir, ce serait, précisément, me donner la mort parce que je n'en peux plus de souffrir, parce que j'en ai assez de vivre cette vie de mourant. Là oui. Mais c'est cette euthanasie que rejette Marie de Hennezel (François Mitterrand, qui a préfacé son ouvrage "La mort intime", n'a d'ailleurs fait appel ni à elle, ni à quiconque, à ce qu'on en sait, dans ses derniers moments).

- "Restituer son caractère naturel à la mort": c'est l'appel au naturalisme, contre l'artifice de la technique, c'est la soumission au corps que les religions astreignent souvent à une ascèse bien peu naturelle, sauf au moment de la mort, où celui-ci est renvoyé à sa naturalité. Je ne conçois ainsi ni la mort, ni la vie, et les hommes ne doivent honorer aucune "nature" mais inventer une culture qui nous rende meilleurs. Car pourquoi ne pas "restituer son caractère naturel" à la souffrance, tant qu'on y est, c'est-à-dire ne plus la faire disparaître sous les doses de morphine? Il est certes naturel de mourir, mais je veux l'échéance la plus lointaine possible, grâce à cet artifice que n'a cessé d'être la médecine. Et au moment de mourir, je souhaite là encore une mort la moins naturelle possible, adoucie par exemple par d'apaisantes drogues.

- "S'abandonner avec confiance au mystère de la mort": quoi, quel mystère? Rien n'est moins mystérieux que la mort. C'est la conséquence inéluctable d'un processus biologique qui se déclenche dès la naissance, qu'on peut expliquer, qu'on peut décrire. L'amour est mystérieux, oui: on ne sait pas pourquoi on aime, ni pourquoi on cesse d'aimer. Mais la mort, non: tout est su, tout est connu, rien d'imprévisible avec elle, sinon le jour et l'heure. Quant à "s'abandonner avec confiance" en elle, sûrement pas: j'ai le droit de voir la mort comme une ennemie, devant laquelle je plie quand je ne peux plus faire autrement. Il n'y a que les bras de Morphée dans lesquels je m'abandonne avec confiance.

- "Entrer vivant dans la mort": c'est une formule absurde, contradictoire, à moins qu'on ne suppose une vie après la mort. C'est ce qui parcourt la pensée officiellement psychologique de Marie de Hennezel, c'est cela le seul mystère dont elle refuse de nous entretenir ouvertement. Quoique le christianisme latent qui est le sien (inconscient ou pas, car j'ignore si elle a la foi) est singulièrement faussé: "Il faut laisser les morts enterrer les morts", disait le Christ. Sa foi s'intéressait aux vivants et à la vie, pas aux mourants et à la mort.

- "On rêve d'une mort rapide, indolore, discrète": Hennezel le constate pour le déplorer. Mais que veut-elle? Une mort lente, douloureuse et devant les siens, parfois les voisins, comme on mourait autrefois? Merci, pas moi. Je veux ce qui est refusé: une mort rapide, indolore,discrète, voilà au fond l'aspiration de l'homme moderne, et il a bien raison.


Bonne soirée.


PS: le texte de la conférence de Marie de Hennezel, dont j'ai tiré les expressions commentées, est facilement retrouvable sur internet.