L'Aisne avec DSK

19 septembre 2009

La transgression et la mort.

J'ignore tout du problème des producteurs de lait. On ne peut pas tout savoir. L'essentiel est de ne pas faire semblant. Je ne doute pas que la profession traverse une crise, que sa situation est même dramatique. Je suis rarement choqué par quoi que ce soit. Mais l'image spectaculaire de millions de tonnes de lait déversés sur des champs de terre avait quelque chose de bouleversant, d'insoutenable. Je ne le dis pas par sentimentalisme ou sensiblerie, je constate que cette action était symboliquement stupéfiante.

Les ruraux sont coutumiers du fait : détruire une partie de leur production en guise de protestation. Quand ce sont des milliers de pommes, ça ne me fait rien. Mais le lait n'est pas n'importe quel produit. Il est porteur d'une symbolique très forte. Dans la Bible, le Paradis est l'endroit où coulent le lait et le miel, dit-on. C'est un produit précieux, noble, nourricier, comme le blé. C'est presque une substance sacrée. Le lait représente la fraîcheur, la pureté, l'enfance, l'innocence.

Voir ces camions-citernes noyer la terre sous le lait donnaient une impression de transgression, quasiment de blasphème, un acte contre-nature, le comportement d'une société devenue folle, absurde, insensée. C'aurait pu être une scène de film fantastique, apocalyptique. Sauf que c'était réel. Dans un monde qui continue à connaître la faim, cette image que les télévisions ont répandu sur la planète ont dû en heurter plus d'un.

On m'explique que c'est pour "se faire entendre". Il faut que notre société soit bien malade pour qu'une corporation en soit réduite à ce moyen-là. Se faire entendre ? Croyez-vous qu'ils seront mieux entendus après cette vaste provocation. Je n'en suis pas certain. Moi je dirais plutôt qu'ils ont voulu "se faire voir", et qu'on retiendra sûrement cette impressionnante image. Voilà ce qu'a fait de nous le monde médiatique : des metteurs en scène sans scrupules !

Pour faire parler de soi, les moyens sont nombreux, et très différents de celui-là : une distribution gratuite de lait, par exemple, n'aurait-elle pas rendu beaucoup plus populaire le mouvement ? J'ai appris, consterné, que chez les producteurs de lait aussi, comme à France-Télécom, il y avait eu plusieurs suicides ces derniers mois. Une société qui ne choisit plus pour s'exprimer que ces deux voies, la transgression et la mort, est vraiment malade.


Bon après-midi.

6 Comments:

  • Ce matin, en faisant mon marché, il y avait une distribution de lait gratuit, et beaucoup de gens qui venaient. Quand je suis repassé devant, tout était partis.

    By Blogger jpbb, at 2:43 PM  

  • Dans l'Aisne aussi, les producteurs laitiers ont utilisé ce genre de protestation, beaucoup plus agréable.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 5:26 PM  

  • Je me souviens très bien des distributions gratuites et obligatoires de lait à l'école, fomentées par un nommé Mendès-France.Déjà à l'époque trop d'enfants de par le monde en manquaient. Mais dans les petites têtes des surproducteurs, seules importaient les subventions contraintes et forcées.
    Distribuer gratos du lait aux enfants qui en manquent de par le monde, mais c'est du vol de subventions !

    By Anonymous Anonyme, at 5:46 PM  

  • C'est le problème techniquement complexe des "quotas laitiers".

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:08 PM  

  • Beaucoup d'agriculteurs souffrent aujourd'hui de la politique agricole incohérente et démagogique des dernières décennies: subventions à tout va, encouragement à la surproduction quitte à brader, voire jeter les excédents. Les lobbies agricoles sont très puissants mais, comme disent les paysans eux-mêmes, le bac finit par se retourner sur le cochon!

    By Anonymous D.H.Lormont, at 8:23 AM  

  • C'est l'irrationnalité du système libéral, qui veut tout et son contraire, la concurrence et le contrôle.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:28 AM  

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