La vérité de Xynthia.

Bonjour à toutes et à tous.


Les réactions politiques à une catastrophe naturelle sont un bon indice de compréhension de notre société. Un phénomène climatique ne devrait pourtant pas entraîner de remarques politiques mais seulement scientifiques. C'est bien la preuve que la politique se glisse partout, cela dit au passage à ceux qui croient qu'elle serait en perte de vitesse.

Il y a trente ans ou quarante, devant un tel événement, un chef de l'Etat aurait-il prononcé ces deux jugements expéditifs : "incompréhensible et inacceptable" ? Sûrement pas. D'abord parce que ce qui s'est passé est parfaitement "compréhensible", explicable, ouvert à une démonstration rationnelle qu'un climatologue ou un géographe peuvent parfaitement administrer. Nicolas Sarkozy affirme que la tempête Xynthia est "incompréhensible" comme saint Louis aurait pu dire de la peste qu'elle était une "malédiction". Dans les deux cas, on s'effraie d'un désordre du monde et on le conjure en le décrétant "incompréhensible" ou "maudit".

Le président de la République va même plus loin que saint Louis, qui se soumettait aux décrets de Dieu et savait que le Diable lui aussi menait le bal, en déclarant que la catastrophe est "inacceptable". Avait-il donc le pouvoir de la refuser ? Avec lui, nous savons depuis la campagne des présidentielles que "tout est possible". De là à calmer les eaux qui montent et apaiser les vents qui soufflent, il y a une marge ... S'il veut dire que toute mort d'hommes et toute destruction d'habitations sont inacceptables, évidemment oui. Tout comme la souffrance est inacceptable, tout comme notre propre disparition, au dernier jour de notre existence, sera inacceptable. Mais ce n'est pas le propos. La vraie question est de savoir si ces morts et ces destructions étaient prévisibles ou pas, évitables ou pas.

La tempête a été largement anticipée, autant que les moyens scientifiques de notre époque peuvent le permettre. Les populations ont été massivement averties, alertées, dans une société et un univers médiatique qui sont régis par le principe de précaution. Il n'y a rien à redire de ce côté-là. Quant aux constructions en zone inondable, nous faisons aujourd'hui comme si nous découvrions cet état de fait très ancien : des promoteurs, des collectivités et parfois des acheteurs ont pris des risques parce que les bénéfices, de tous ordres, leur paraissaient supérieurs aux désagréments encourus. C'est sans doute déplorable, il faut incontestablement y remédier, mais avant une catastrophe, pas après.

La vérité de Xynthia, les propos étrangement décalés du chef de l'Etat en disent long sur notre société et la mentalité contemporaine. D'abord la nature nous semble bonne, incapable du moindre mal envers l'humanité (c'est aussi la vogue de l'écologie). Quand elle se montre furieuse, ce sont les hommes, leurs décisions, leurs comportements qui sont montrés du doigt. Ensuite, toute idée de fatalité nous est insupportable, "inacceptable" comme dirait Nicolas Sarkozy. La société moderne se croit si puissante, si volontaire qu'elle trouve anormal ce qui ne l'est pas tant que ça. Enfin, nous ne voulons pas voir que la mort est aussi dans la vie. La guerre tue mais on la veut "propre" et on cache les cadavres. Une violente tempête elle aussi tue, mais on se montre incrédule, on ne comprend pas parce qu'on ne veut pas comprendre.

La dernière valeur de notre temps, c'est la compassion. Nous avons cessé d'être chrétiens, nous sommes vaguement tentés de devenir bouddhistes, nous veillons, surtout les hommes politiques, à faire preuve de compassion en toute occasion. La faute politique impardonnable, électoralement pénalisante, c'est aujourd'hui le manque de compassion. Sarkozy est un mauvais pédagogue mais un excellent communiquant. Il a compris, et c'est ce qui lui a permis d'accéder à la magistrature suprême, ce que l'opinion aimait qu'on lui dise. Il fait très attention à ne jamais être pris en défaut de compassion. Le Premier ministre l'avait précédé en parlant de "catastrophe nationale", pour que personne ne doute qu'au plus haut sommet de l'Etat on souffraient avec ceux qui souffrent, définition même de la compassion.

J'ai commencé par dire que Nicolas Sarkozy c'était saint Louis. J'aimerais qu'il soit notre moderne Marc-Aurèle, l'empereur stoïcien, ce qu'était à sa façon François Mitterrand, qui savait méditer sur la mort, qui se pliait avec pessimisme et volonté aux diktats de la fatalité sans entrer dans les modes de pensée de notre époque. Ce qui me désole chez Sarkozy, outre qu'il soit de droite, c'est qu'il est le fils de notre société au lieu d'en être le père, c'est qu'il se soumet à l'opinion au lieu de la guider. Il nous fait croire que "tout est possible" mais c'est une tournure de langage. C'est un faux volontaire, surtout quand il laisse entendre que la volonté pourrait tout, même empêcher une tempête et ses dramatiques conséquences. Il est plus dans le registre de la déploration que de l'action.


Bonne journée.