L'Aisne avec DSK

27 juin 2007

Le vote dénaturé.

Pendant longtemps, le vote était un acte réservé aux élections, d'où sa sacralisation. Aujourd'hui, nous votons pour un oui, pour un non. Partout, à la télévision, dans les jeux, les magazines, les enquêtes, les sondages, on nous demande de choisir, d'élire, de sélectionner. Des cases à cocher, des options à entourer, des sms à envoyer, votez 1-2-3, pour ou contre. Bref, le vote s'est banalisé mais aussi édulcoré. Il a perdu en politique son sens traditionnel:

1- Le vote n'est plus exceptionnel c'est à dire solennel. Devenu fréquent, ordinaire, il a perdu de sa gravité.

2- Souvent associé aux jeux et au divertissement, il devient un geste ludique alors qu'il avait auparavant une dimension dramatique.

3- Ce vote contemporain n'est plus vraiment une adhésion mais plutôt une élimination. Le gagnant l'est par sélection, ce qui favorise la stratégie plutôt que le soutien motivé.

Banal, ludique, tactique, voilà les caractéristiques du vote dans l'esprit et la pratique de nos concitoyens. Conséquences: on peut être socialiste et voter Besancenot, soutenir Bayrou pour faire gagner Royal, voter Le Pen et désapprouver ses idées, etc. Le vote n'est plus déterminé par le devoir, l'idéologie ou l'intérêt. Il est essentiellement un exercice libre, un effet de la volonté, la preuve d'un choix que rien ne commande sinon lui-même. Dans une société où la liberté est la valeur principale, voter c'est montrer qu'on est libre.

D'où les surprises désormais fréquentes au soir de chaque scrutin. 2004: la France vote massivement à gauche. 2007: la France vote massivement à droite. 2005: la France dit non à l'Europe alors que les sondages montrent l'opinion favorable à l'Europe. Présidentielles mai 2007: participation record; législatives juin 2007: abstention importante.

Celui qui m'a amené à cette réflexion, c'est Philippe Val, dans son éditorial de Charlie-Hebdo du 13 juin:

"Les jeux télévisés et la pub ont changé la culture du choix. C'est un problème anthropologique qui passionnera sans doute les historiens de l'avenir. En démocratie, il est souhaitable que la vérité ait un statut supérieur à celui du mensonge, et que la raison démêle ce qui, dans les idées, relève de la pure séduction ou de la réelle efficience. La télé-crochet a encouragé une perception ludique de la politique. Même si on n'est pas d'accord, on vote pour celui qui brille le plus."

Et voilà le résultat d'une telle attitude:

"Au lieu de voter au nom d'une vision et d'un projet communs, on a voté pour ceux auxquels on voudrait ressembler. Les pauvres ont voté pour les riches (...) mais pourquoi? Pour en être. Comme les enfants qui devant leur télé veulent ressembler aux vedettes qu'ils admirent. Ils fantasment sur une sexualité, des vacances, des montres et des maisons identiques. Les élections législatives ont élu triomphalement les trois jours de Sarkozy dans le yacht de Bolloré."

Banal, ludique, tactique, le vote serait aussi mimétique.


Bonne soirée.

3 Comments:

  • L'Ecole publique devrait éduquer à l'image et la désacraliser comme elle a éduqué jadis au texte en le désacralisant. C'est aussi ce qu'on appelle la laïcité.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:07 PM  

  • absolument d'accord mais est ce que ce n'est pas déja le cas en partie? Dans les forces en présence il y a toujours une force que l' on oublie c' est la force des choses. on peut aussi appeler ça le principe de réalité.Je crois qu'il existe.C'est un peu comme pour la refondation de la gauche;si on veut bien éviter de caricaturer(comme tu peux le faire parfois dans un souci pédagogique sans doute)on s'apervevra que tout le monde change. Il n'y a pas qu' une gauche passéiste et psychorigide et une autre gauche moderne etc....toutes les forces de la gauche se transforment et évoluent poussées précisément par ce que j'appelle la force des choses.
    Peut etre que l'on pourrait etre d'accord la dessus camarade?
    FV

    By Anonymous Anonyme, at 11:56 PM  

  • Absolument d'accord sur la "force des choses" et le "principe de réalité". Par exemple, la force des choses va conduire les socialistes traditionnels, regroupés autour de Laurent Fabius, à quitter le PS pour former leur propre organisation. Plusieurs néo-fabiusiens me disent aller dans ce sens, qui a d'ailleurs la préférence de Mélenchon, s'inspirant du modèle allemand. Car le principe de réalité, c'est que le PS va poursuivre inexorablement sa social-démocratisation.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 10:08 AM  

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