Métro, boulot, caveau.
Bonjour à toutes et à tous.
C'est la première fois (et la dernière?) que je donne au billet de ce blog un titre qui n'est pas de moi mais de Philippe Val, dans son éditorial de Charlie paru mercredi. Il est parfait, je le reprends donc à mon compte. Val évoque ce dont j'ai déjà parlé, six suicides en six mois chez Peugeot. Hypothèse de pensée: et si l'exploitation la plus féroce était aujourd'hui psychologique, alors qu'autrefois, dans les usines de la grande industrie, elle était physique? Et si cette exploitation était d'autant plus terrible qu'elle est invisible et indicible? Et si les exploités de temps modernes n'étaient plus les prolétaires mais les cadres (les suicidés de Peugeot)? Il faudrait alors, à la suite de Marx, refaire une théorie de l'exploitation et de l'aliénation et renouveler la doctrine de la lutte des classes.
D'où viennent l'aliénation et la souffrance sociale du cadre supérieur? De son adhésion à un système de production auquel il s'identifie totalement, en quoi il va chercher le sens de sa vie et qui lui apporte la reconnaissance sociale dont il est épris. Le prolo, lui, s'en fout. Le cadre sup est peut-être devenu le maillon faible du capitalisme, par où celui-ci va craquer, comme craquent individuellement ceux qui le subissent. Déjà des formes de résistance se font sentir, qui ont en elles, qui sait, des potentialités révolutionnaires, comme Marx en avait repéré chez les ouvriers en grève. La paresse, la navigation sur internet, la dérision et la fuite dans le suicide en seraient des signes avant-coureurs, les indices d'un malaise et d'une subversion. N'oublions pas que la classe ouvrière, de son côté, a pratiqué le sabotage des machines, une sorte de destruction de soi, de son outil de travail, avant de parvenir à une plus juste conscience de classe et à une vision plus claire du socialisme, son idéologie émancipatrice, et des moyens cette fois légaux, efficaces (syndicalisation, grève, manifestation) pour y parvenir.
Le parti socialiste refondé devrait songer à ces classes moyennes qui votent désormais beaucoup plus pour lui que ne le fait la classe ouvrière, forger une théorie de l'émancipation en direction de cette bourgeoisie aliénée. Les exploiteurs de celle-ci, ce sont les promoteurs du "gagner plus", l'idéologie dominante et aliénante véhiculée par Sarkozy. Le président a bien compris qu'il fallait saper la culture et l'héritage qui structurent ces classes moyennes, qui leur donnent leurs repères: Mai 1968, ses valeurs, ses objectifs. A nous socialistes de reprendre ce grand mouvement, de l'adapter à notre temps, de le faire revivre, entreprise d'autant plus facile que Mai est au fondement de la société contemporaine. Les ouvriers et les employés suivront, comme ils ont suivi les étudiants bourgeois en 68. La fraction de la bourgeoisie en crise sera la nouvelle avant-garde, la classe sociale ayant une claire conscience de sa situation et des moyens pour la dépasser, comme une fraction de la classe ouvrière, au XIXème siècle, a eu conscience des ravages du capitalisme et des possibilités pour y remédier.
Je cite Philippe Val, ce qu'il écrit rejoignant aussi ce que je pensais hier à propos du Tour de France:
"Les coachs des sportifs comme ceux des cadres supérieurs vous apprennent à être toujours au maximum de vos possibilités. Il est évident que ce type d'idéal est indissociable et sera toujours indissociable du dopage. La drogue et la-vie-considérée-comme-une-performance sont les constituants nécessaires de toutes les vies de cons (...)"
A partir de là, Val distingue entre les "bonnes drogues", celles que la société vend légalement et célèbre, les dopants, et les "mauvaises drogues", jouissives et hallucinatoires, que la société condamne et traque. A quoi j'ajoute que là se trouve l'une des contradictions qui participera à la contestation de notre société: on ne peut pas vanter d'un côté les dopants, excitants, stimulants, relaxants de toute sorte (viagra, etc) et d'un autre côté pourchasser cannabis, cocaïne, héroïne et consorts. Marx nous a appris que la volonté humaine ne suffisait pas à changer la société mais que l'exacerbation des contradictions y avait une part prédominante. Ce qui se passe ces dernier jour sur le Tour de France est l'un de ces signes, mineur mais révélateur.
Je termine par où Philippe Val termine joliment son éditorial:
"La vie est une promenade au cours de laquelle il y a le travail, l'amour, l'amitié, les deuils, les échecs et les réussites. Le plaisir que l'on a à vivre est l'unique justification de la vie. Quand on nous dit que la vie a un sens, et qu'il consiste à travailler plus pour gagner plus, l'échéance de la mort naturelle peut très vite se transformer en désir de mort volontaire."
En mémoire des six de Peugeot, dont le suicide gardera son mystère, qui ne doit pas nous dispenser d'en faire une lecture politique et sociale.
Bonne journée.
C'est la première fois (et la dernière?) que je donne au billet de ce blog un titre qui n'est pas de moi mais de Philippe Val, dans son éditorial de Charlie paru mercredi. Il est parfait, je le reprends donc à mon compte. Val évoque ce dont j'ai déjà parlé, six suicides en six mois chez Peugeot. Hypothèse de pensée: et si l'exploitation la plus féroce était aujourd'hui psychologique, alors qu'autrefois, dans les usines de la grande industrie, elle était physique? Et si cette exploitation était d'autant plus terrible qu'elle est invisible et indicible? Et si les exploités de temps modernes n'étaient plus les prolétaires mais les cadres (les suicidés de Peugeot)? Il faudrait alors, à la suite de Marx, refaire une théorie de l'exploitation et de l'aliénation et renouveler la doctrine de la lutte des classes.
D'où viennent l'aliénation et la souffrance sociale du cadre supérieur? De son adhésion à un système de production auquel il s'identifie totalement, en quoi il va chercher le sens de sa vie et qui lui apporte la reconnaissance sociale dont il est épris. Le prolo, lui, s'en fout. Le cadre sup est peut-être devenu le maillon faible du capitalisme, par où celui-ci va craquer, comme craquent individuellement ceux qui le subissent. Déjà des formes de résistance se font sentir, qui ont en elles, qui sait, des potentialités révolutionnaires, comme Marx en avait repéré chez les ouvriers en grève. La paresse, la navigation sur internet, la dérision et la fuite dans le suicide en seraient des signes avant-coureurs, les indices d'un malaise et d'une subversion. N'oublions pas que la classe ouvrière, de son côté, a pratiqué le sabotage des machines, une sorte de destruction de soi, de son outil de travail, avant de parvenir à une plus juste conscience de classe et à une vision plus claire du socialisme, son idéologie émancipatrice, et des moyens cette fois légaux, efficaces (syndicalisation, grève, manifestation) pour y parvenir.
Le parti socialiste refondé devrait songer à ces classes moyennes qui votent désormais beaucoup plus pour lui que ne le fait la classe ouvrière, forger une théorie de l'émancipation en direction de cette bourgeoisie aliénée. Les exploiteurs de celle-ci, ce sont les promoteurs du "gagner plus", l'idéologie dominante et aliénante véhiculée par Sarkozy. Le président a bien compris qu'il fallait saper la culture et l'héritage qui structurent ces classes moyennes, qui leur donnent leurs repères: Mai 1968, ses valeurs, ses objectifs. A nous socialistes de reprendre ce grand mouvement, de l'adapter à notre temps, de le faire revivre, entreprise d'autant plus facile que Mai est au fondement de la société contemporaine. Les ouvriers et les employés suivront, comme ils ont suivi les étudiants bourgeois en 68. La fraction de la bourgeoisie en crise sera la nouvelle avant-garde, la classe sociale ayant une claire conscience de sa situation et des moyens pour la dépasser, comme une fraction de la classe ouvrière, au XIXème siècle, a eu conscience des ravages du capitalisme et des possibilités pour y remédier.
Je cite Philippe Val, ce qu'il écrit rejoignant aussi ce que je pensais hier à propos du Tour de France:
"Les coachs des sportifs comme ceux des cadres supérieurs vous apprennent à être toujours au maximum de vos possibilités. Il est évident que ce type d'idéal est indissociable et sera toujours indissociable du dopage. La drogue et la-vie-considérée-comme-une-performance sont les constituants nécessaires de toutes les vies de cons (...)"
A partir de là, Val distingue entre les "bonnes drogues", celles que la société vend légalement et célèbre, les dopants, et les "mauvaises drogues", jouissives et hallucinatoires, que la société condamne et traque. A quoi j'ajoute que là se trouve l'une des contradictions qui participera à la contestation de notre société: on ne peut pas vanter d'un côté les dopants, excitants, stimulants, relaxants de toute sorte (viagra, etc) et d'un autre côté pourchasser cannabis, cocaïne, héroïne et consorts. Marx nous a appris que la volonté humaine ne suffisait pas à changer la société mais que l'exacerbation des contradictions y avait une part prédominante. Ce qui se passe ces dernier jour sur le Tour de France est l'un de ces signes, mineur mais révélateur.
Je termine par où Philippe Val termine joliment son éditorial:
"La vie est une promenade au cours de laquelle il y a le travail, l'amour, l'amitié, les deuils, les échecs et les réussites. Le plaisir que l'on a à vivre est l'unique justification de la vie. Quand on nous dit que la vie a un sens, et qu'il consiste à travailler plus pour gagner plus, l'échéance de la mort naturelle peut très vite se transformer en désir de mort volontaire."
En mémoire des six de Peugeot, dont le suicide gardera son mystère, qui ne doit pas nous dispenser d'en faire une lecture politique et sociale.
Bonne journée.
9 Comments:
L'exploitation psychologique ?
Restez calme, allongez-vous sur ce divan, et dites moi, votre mère vous forçait à lire Karl Marx quand vous étiez petit ?
Vous savez que Marx n'a jamais mis les pieds dans une usine, n'a jamais été salarié, n'a jamais dirigé une usine ou un atelier ? Par contre il était passionné par l'invention de la dynamo, du câble sous-marin pour communiquer en morse, et de la machine à vapeur et des trains. Il s'est un peu intéressé pour les mathématiques, mais a été incapable de traduire sa vision sous cette forme, ce qui lui aurait permis de faire une simulation et de dire à quel moment précis on serait passé du capitalisme à la société sans classe...
Donc vous voudriez reproduire la même démarche pour aboutir au même résultat ? Généraliser la destruction de toutes les usines par les ouvriers ? Vous avez lu ça dans quel livre ? Les ouvriers ne s'intéressent qu'à leur pouvoir d'achat, tout comme les cadres et la grande majorité des gens. C'est dur à dire, mais Marx n'avait pas conscience qu'on inventerait un jour le marketing.
Si le parti socialiste n'est pas capable comme son homologue de balancer Marx dans les poubelles de l'histoire il perdra la capacité à obtenir le pouvoir. En soi ce n'est pas grave, regardez le PC, cela ne les empêche pas de ressasser le même bougli-boubla, c'est la lutte finale etc.
Mai 68 n'a jamais été ce dont vous en rêvez. Cela a juste été la muleta rouge qu'on agite devant les révolutionnaires fou-furieux pour les rediriger vers la plage et calmer leur ardeurs. Le plus surprenant, c'est que que cela ait marché, que les boeufs se soient mis en mouvement. Fallait juste papoter et ensuite se calmer pour que tour rentre dans l'ordre, et retour à métro boulot dodo et conso pour les trente années suivantes.
La vie, c'est ce qu'on peut en dire une fois qu'on est mort, sinon c'est incomplet. L'aliénation à la pensée de Karl Marx peut aboutir à accoutumance débouchant dans un premier temps sur une révolte adolescente, puis à une forme chronique de dépression. En complément de la cure, je préconise pour récupérer les sujets scotché dans le délire révolutionnaire de longues promenades dans la campagne, pas dans les champs de betteraves qui aggravent l'état dépressif en général. :-)
By jpbb, at 1:03 PM
Le fait que Marx n'ait jamais été salarié ne change rien à l'affaire ni à l'éventuelle pertinence de sa pensée.
Les grands révolutionnaires sont plutot des bourgeois cultivés.Enfin tout cela semble bien connu maintenant.
Plus simplement la société aujourd'hui met exclusivement en avant la performance, qui plus est la performance individuelle, et non plus la réussite collective.
D' ou les problemes soulevés par Emmanuel et qui sont réels.Son analyse est exacte; on sent cela dans les entreprises et les
sondages le confirment.
By Anonyme, at 9:40 PM
Le suicide est aussi vieux que l'humanité, et le travail n'est qu'un des facteurs pouvant influencer le mal être. Trois enfants de Karl Marx sont mort de misère et deux autres se sont suicidés, aucun ne travaillait pas plus que leur père chez Peugeot.
By jpbb, at 8:01 PM
A l'attention de jpb:
- Ma mère était femme de ménage, catholique, électrice socialiste mais pas lectrice de Marx.
- Faut-il avoir connu Jeanne d'Arc pour dire des choses intelligentes sur la Pucelle? Dit-on nécessairement des choses intelligentes sur la vie d'usine parce qu'on en fait partie? Bien sûr que non. Marx, par sa culture encyclopédique, connaissait bien la réalité sociale de son temps.
- Le passage du capitalisme au socialisme ne relève pas, même chez Marx, du calcul mathématique. En revanche, Marx s'appuie sur cette science pour calculer la réalisation de la plus-value et la baisse tendancielle du taux de profit.
- Ni Marx ni moi ne souhaitons la destruction des usines (!). Il y a quiproquo. Marx dénonce les sabotages prônés par les anarchistes, c'est-à-dire les gauchistes de son époque.
- Il ne faut pas "balancer" Marx mais arracher son oeuvre aux "marxistes" patentés, léninistes, trotskystes, maoïstes, castristes, guévaristes et autres communistes, et réinscrire sa réflexion dans une perspective social-démocrate, la seule qui me semble authentiquement fidèle à la pensée du grand philosophe.
Je sais, c'est un peu déconcertant, mais c'est ce que je pense. Vouloir refonder le socialisme en lisant Alain Minc, Luc Ferry ou le dernier sociologue à la mode, pourquoi pas, mais je préfère privilégier Karl Marx en l'adaptant à notre temps.
- Mai 68, défoulement profitable au capitalisme? La thèse a dû apparaitre dès juin 68, mais pourquoi Sarkozy et toute la droite n'ont-ils jamais admis cet événement?
- L'Aisne est fière de ses richesses, dont la betterave, qui vaut bien, en matière d'utilité sociale, d'autres produits. Et regardez attentivement la forme géographique du département. Ca vous rappelle quoi? Une betterave! Etonnant, non? comme disait le regretté Pierre Desproges.
A notre intervenant anonyme:
J'ajoute que Marx, bourgeois d'origine, a vécu pauvrement durant la plus grande partie de son existence.
By Emmanuel Mousset, at 9:23 PM
Le suicide a des causes psychologiques que je laisse le soin aux psychologues d'expliquer et, s'ils le peuvent, de guérir. Mais il y a aussi des conditions sociales qui poussent au suicide.
Quand je lis, aujourd'hui même, dans L'Aisne Nouvelle, qu'une retraitée âgée et solitaire s'est jetée dans le canal avec son véhicule, y laissant sa vie, je ne doute pas que son "moral" a flanché, mais je me dis aussi que ses conditions purement sociales d'existence ont contribué à sa décision tragique.
Si les enfants de Marx avaient vécu dans la stabilité, la protection et le confort, ce seraient-ils suicidés? Je ne suis pas certain. Lire sur la question du suicide l'ouvrage éclairant d'Emile Durkheim sur les causes sociologiques du suicide.
By Emmanuel Mousset, at 9:32 PM
de quel droit et quelle est votre compétence pour oser commenter les suicides? votre incurie en la matiére me donne envie de vomir. mais qui êtes vous petit nanti, protégé par votre suffisance. du respect , que diable pour ces personnes qui ne sont plus
By Anonyme, at 11:31 AM
Je ne comprends pas la violence du dernier commentaire. Non seulement c'est mon droit mais c'est même mon devoir de militant politique que de réfléchir à la question du suicide et de ses causes sociales, de façon à lutter contre.
Quant à la compétence, elle ne doit pas être réservée aux psychologues. Le suicide provoqué par la solitude, le chômage, le déclassement social, c'est l'affaire de tous les citoyens, ce n'est pas un problème de spécialistes.
Je ne vois pas où est là-dedans le manque de respect. Sauf si vous considérez que la mort est sacrée et qu'elle n'appartient qu'à celui qui la subit. Mais permettez moi de n'être pas d'accord avec un tel point de vue.
By Emmanuel Mousset, at 3:34 PM
C'est toujours difficile de parler d'une chose quand on ne la connaît pas, cela n'empêche pas de broder et de gloser, mais je crois que je ne ferais pas conscience à un chirurgien par exemple qui n'aurait jamais mis les pieds dans une salle d'opération et qui prétendrait m'opérer. Si Marx avait créé une multinationale comme Microsoft par exemple, et qu'il donne son avis sur le monde de l'entreprise, on pourrait lui accorder un crédit. Quand on recherche un emploi en plus du diplôme et de la formation de base on est sensible à l'expérience professionnelle de la personne, croyez vous que ce soit par hasard ?
By jpbb, at 10:19 PM
Si on ne devait parler que de ce qu'on connait bien, on parlerait de très peu de choses, et la démocratie n'existerait pas puisqu'elle demande au peuple de trancher dans des domaines qu'il ignore.
Connaitre quelque chose, ce n'est pas vivre cette chose, c'est la comprendre. Pas besoin d'avoir tenté de se suicider pour dire quelque chose d'intelligent sur le suicide.
J'ai même tendance à croire que quelqu'un qui vit très fort quelque chose n'a plus ensuite le recul nécessaire pour bien y réfléchir.
Je récuse le néopragmatisme contemporain qui oblige à "vivre" une situation pour pouvoir en parler. Marx n'avait pas besoin d'être capitaliste pour produire une analyse remarquable du capitalisme.
By Emmanuel Mousset, at 10:08 AM
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