L'Aisne avec DSK

22 juillet 2007

Non à la censure morale.

Je vous ai dit hier toute mon exaspération devant la condamnation unanime des propos discourtois tenus dans une conversation privée par Patrick Devendjian. En République et dans l'intimité, et l'une des raisons d'être de la République est de protéger l'intimité, chacun s'exprime comme il veut, élégamment ou grossièrement. Ce n'est pas le sort de cette homme de droite qui me préoccupe. A la limite, je m'en moque, et au-delà de cette limite, j'éprouve même du plaisir à voir ce proche de Sarkozy empêtré dans cette ridicule affaire. Non, ce que je défends, c'est un double principe, intangible, républicain, le droit à la libre expression et la protection de la vie privée. Et ce que je combats, c'est ce que je perçois dans notre société depuis quelques années, une forme de moralisme, de puritanisme, une montée liberticide des bons sentiments.

Pourquoi redire tout cela que j'ai déjà dit hier? D'abord parce que c'est suffisamment important pour être répété et surtout parce que je ne croyais alors pas si bien dire: j'apprends en effet, aujourd'hui, qu'une pétition circule pour empêcher la parution du prochain livre de Mazarine Pingeot, fille de François Mitterrand. Oh, ce n'est pas politique, notre société a définitivement tourné la page de la censure politique. C'est pire, c'est la censure morale. Ce qui choquent un certain nombre de braves gens animés par les meilleurs sentiments du monde, c'est que Mazarine trouve l'inspiration de son prochain roman dans un fait réel et tragique, l'affaire des époux Clergeaux dont la femme a tué à la naissance puis congelé ses deux enfants.

Ce qui révoltent ces braves gens pétitionnaires, c'est que les autres enfants du couple risqueraient d'être traumatisés par le roman (comme s'il y avait obligation à le lire), dont évidemment personne ne connaît encore le contenu. Qui ne dit pas, au contraire, que la littérature puisse être une voie de guérison du traumatisme, en supposant d'ailleurs qu'il y ait réellement traumatisme, nos braves gens étant assurément des moralistes mais pas nécessairement des psychologues? Nous assistons une fois de plus, à travers cette incident, à une exaction du sentimentalisme moral ou du moralisme sentimental qui pourrit la vie de notre République. Car répétons-le: nous sommes en République, les écrivains, les artistes et n'importe quel citoyen ont le droit de s'exprimer comme ils l'entendent, sur le sujet de leur choix, pourvu qu'ils ne portent pas atteinte aux lois en vigueur. C'est le droit qui limite la liberté, pas la morale.

Les enfants ne sont qu'un prêtexte, le conformisme moral ayant besoin d'eux pour se justifier. En vérité, que se passe-t-il? La volonté de conjurer nos peurs, voilà la fonction de la morale. Et quand une maman normale dans un couple équilibré suppriment ses nouveaux nés et les congèlent, nous sommes tous, moi le premier, stupéfaits et effrayés. Mais ne cherchons pas à exorciser notre stupeur et notre frayeur par la censure morale ou la répression sociale. Au XIXème siècle, le conformisme bourgeois faisait interdire Madame Bovary parce que personne ne voulait voir en face et surtout pas décrit dans un livre l'adultère féminin (la morale est injuste, malhonnête et hypocrite, l'adultère masculin suscitait son indulgence). Aujourd'hui, l'adultère ne choque plus personne, certains magazines féminins le recommandent même! En revanche, ce qui a trait aux enfants suscite les reproches ou les encouragements de la morale. Il ne faudrait pas que qu'un conformisme populaire, celui des braves gens, remplace aujourd'hui le conformisme bourgeois, celui des puissants et des influents.

Je prétendais, plus haut, que la censure morale était pire que la censure politique. Oui, parce que la censure politique résulte de l'action visible et directe de l'Etat. Il est donc plus aisé de la repérer, de la dénoncer, de la combattre et de la supprimer. En revanche, la censure morale est le produit de toute une société, qui s'en prend à la "salope" de Devendjian ou au roman de Pingeot, s'en chercher à réfléchir et à comprendre. Vous vous souvenez, il y a quelques jours sur ce blog, commentant la pensée de Nicolas Tenzer, de ma distinction entre Etat, marché et société, combien les deux premiers étaient des instruments d'émancipation des individus et comment la dernière était synonyme d'oppression. En voilà encore un bon exemple.

Heureusement, le marché est puissant, notamment en matière d'édition. Avec l'inacceptable pétition invitant à la censure, Mazarine s'est assurée une publicité gratuite de son roman qui fera peut-être partie des meilleurs ventes à la rentrée! L'économie libérale va tuer la morale, très bien*. Quand je vous disais, depuis plusieurs semaines, qu'un socialiste se devait d'être pleinement et authentiquement libéral, les faits le prouvent avec cette histoire de censure. Il y a encore et toujours beaucoup à faire en matière de libéralisme culturel. Je terminerai par ce slogan de Mai 68 qui fait immanquablement bondir mes interlocuteurs de droite, libéraux à demi: "il est interdit d'interdire."

Bon et libre après-midi.


* Je ne suis pas hostile à la morale pourvu que celle-ci reste personnelle et privée. Je dénonce donc toute morale imposée par la société. Par exemple, en matière de sexualité, la société, ni l'Etat ni qui que ce soit ne doivent m'imposer ou m'interdire tel ou tel comportement, à condition bien sûr de respecter le cadre légal qui punit à juste titre les violences envers autrui ( viols, perversions, etc).

2 Comments:

  • Bonjour
    Je ne suis pas vraiment en accord avec tes propos. En effet, Patrick Devidjan, homme politique donc homme public n'a pas tenu ses propos en privé puisqu'il y avait au moins quelques personnes présentes qui ont rapporté ses propos. Quelque soit le contenu ou les mots exacts tenus il se doit de respecter un adversaire politique. Comment faire confiance à un homme sensé représenté une parcelle de la nation qui ne maîtrise pas son vocabulaire!? Concernant Mazarine Pingeot, n'a-t-elle pas d'autres inspirations que les faits divers et les chiens écrasés! Si c'est la cas, c'est navrant!! Elle même ne respecte pas la vie privée de cette famille Clergeaux. Son livre sera public, c'est pour cela qu'elle l'écrit et même si la possibilité que les autres enfants lisent le livre est infime, elle existe et où est le respect de la vie privée de cette famille et de ces enfants. Je ne connais pas le contenu du livre et peut être que l'anonymat et le romanesque du livre seront -ils qu'il n'y ait pas un chat à fouetter!
    Qu'est que la Morale ? :
    1 - Ensemble des règles de conduite et de valeurs auquel un individu se soumet "librement" ou en vigueur au sein d'un groupe ou d'une société. Elle détermine les principes et les pratiques concrètes d'action.
    2 - Science des mœurs, la morale est aussi un sujet de réflexion philosophique qui vise à déterminer le but suprême de l'homme et de son action dans le monde, dans le cadre de la société et de la recherche du bonheur individuel. Elle peut être amenée à définir des notions de bien et le mal répondant aux critères d'objectivité et d'universalité ou au contraire à les nier.

    Les philosophes, dont tu es, divisent la morale en trois domaines dont les limites ne sont pas toujours parfaitement fixées :

    Méta-éthique : entendue comme la recherche des origines et du sens de nos concepts moraux ;
    Morale ou éthique normative, qui concerne les critères de nos comportements (habitudes, devoirs, conséquences de nos actes) ;
    Morale ou éthique appliquée, application des deux premières à des problèmes spécifiques et controversés (par exemple, avortement, environnement, droits des animaux, etc.).
    Je n'y vois rien là d'exclusivement privé! Il me parait nécessaire que des règles régissent un groupe ou une collectivité. La morale oui, le moralisme non!
    Je n'y vois aucune atteinte àu droit à la libre expression et à la protection de la vie privée!
    MD

    By Blogger md, at 7:08 AM  

  • Pour poursuivre cette réflexion sur la morale (ou l'éthique) et ses liens avec la politique, je vous renvoie à mon billet de ce lundi matin à propos du tragique accident de car en Isère et les réactions politiques qu'il a suscitées.

    Contrairement à beaucoup, je ne crois pas que "la morale se perde" dans notre société, je la vois plutôt comme une menace, une nouvelle forme de conformisme.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:19 AM  

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