L'Aisne avec DSK

20 juillet 2007

L'individu contre la société.

Je reviens à Nicolas Tenzer, Faut-il sauver le libéralisme?:

"Quand on mesure l'état des corporatismes, des ententes, des protections, des passe-droits, en France, on ne peut s'empêcher de penser que le travail de libéralisation chez nous est plus empêché par la société que par l'Etat. A bien des égards, c'est l'Etat qui libère et c'est la société qui asservit." (page 137)

Je vais comme toujours interpréter librement la thèse de Tenzer, qui me semble intéressante. Il part de trois concepts, la société, l'individu et l'Etat. Cherchez l'intrus. Venant d'un libéral, même de gauche, on pourrait penser à l'Etat, qui trouble le libre jeu des individus au sein de la société. Perdu! Ca, c'est la version orthodoxe, de droite si vous voulez. L'intrus, c'est... la société! Embêtant pour un socialiste, non? Car son engagement n'est-il pas en faveur de la société, par la solidarité, au-dessus de l'égoïste individu?

Il faut voir les choses autrement. La société est une organisation naturelle, l'Etat et l'individu sont une construction pour le premier, une abstraction pour le second. Expliquons. La société a toujours existé, depuis les sociétés primitives jusqu'à aujourd'hui. La famille elle-même est une petite société. La société est donc la première réalité humaine. L'Etat est un ouvrage politique qui n'a pas toujours existé, qui n'existe toujours pas dans certains pays. L'individu est une idée. Ce qui existe depuis la nuit des temps, ce sont les hommes, pas les individus. Ceux-ci, êtres libres, volontaires et rationnels, sont des concepts du libéralisme, des produits du monde moderne. Les individus sont nés à la mort du peuple.

Etre réactionnaire, conservateur, de droite, choisissez le mot que vous voulez, c'est se placer du côté de la société, de l'ordre, de l'autorité, des préjugés, des traditions, bref du côté de tout ce que charrie la société, de la préhistoire à aujourd'hui, de la petite famille au grand empire. Etre progressiste, réformateur, de gauche, c'est se donner comme objectif historique, commun d'ailleurs au marxisme et au libéralisme (seuls les moyens divergent, l'Etat pour l'un, le marché pour l'autre), l'émancipation des individus. Contre le stalinisme, contre le nazisme, contre tous les totalitarismes, le remède radical n'est pas de les opposer les uns aux autres, communisme contre fascisme, mais de brandir ce qui les ébranle profondément, l'individu, son unicité, son autonomie, sa liberté, son mystère.

Qu'est-ce qui permet donc d'émanciper l'individu? Non pas la société, qui tire plus vers l'animal que vers l'humain (il y a d'admirables sociétés chez les bêtes, voyez les fourmis et les abeilles, mais l'individu est entièrement gommé, inexistant, et l'Etat, n'en parlons pas...). Une invention, l'individu, ne peut être encouragée, favorisée que par d'autres inventions, précisément le marché et l'Etat. Car le marché est tout autant une abstraction, une construction, une idée que l'Etat. Pas de marché sous la préhistoire mais des échanges. Pas vraiment de marché sous l'antiquité mais du commerce. L'Etat et le marché sont des inventions modernes, embryonnaires au milieu du Moyen Age. L'Etat est tout de même un peu antérieur. Il y a un Etat sous Louis XIX, pas de marché. L'un et l'autre prennent leur ampleur, se développe considérablement au XIXème siècle.

Liberté, égalité, fraternité, c'est le socle politique du socialisme. Etat, marché, individu, ce devrait être son socle philosophique. Avec un maître mot, l'émancipation, et un adversaire, la société.

Bonne soirée.