L'Aisne avec DSK

19 juillet 2007

La rente en question.

Bonsoir à toutes et à tous.

Dans Faut-il sauver le libéralisme? Nicolas Tenzer reprend les thèses de Monique Canto-Sperber, que j'ai déjà largement évoquées ces derniers jours. Je n'y reviendrai donc pas. Mais j'insisterai sur les points qui me semblent nouveau. A plusieurs reprises (pages 97, 119 et 123), Tenzer dénonce le véritable ennemi du libéralisme. Non, ce n'est pas le socialisme comme on s'y attendrait, ni même l'Etat mais... la rente.

Encore faut-il s'entendre sur ce qu'on appelle la rente. Dans mon enfance, au fin fond de mon Berry natal, un rentier était un vieux monsieur qui ne travaillait pas et "vivait de ses rentes", comme on disait. Il avait placé de l'argent qui "rapportait". La rente, c'est le rendu ou le rendement d'une somme. Selon Tenzer, une société libérale est en mouvement, elle n'accepte pas l'immobilité. L'argent est fait pour circuler, commercer, s'investir, produire. La rente, c'est l'immobilisation de l'argent. Bref, un homme de gauche peut accepter le libéralisme et même l'encourager, à condition que celui-ci se mette au service de la société, de son développement et de son enrichissement. Un libéralisme acceptable servirait en quelque sorte le socialisme.

Je suis intéressé par cette thèse qui n'est pas sans poser des questions. Le libéralisme n'a-t-il pas lourdement tendance à favoriser la rente? L'argent ne va-t-il pas à l'argent, non à l'investissement et à la production? Tenzer évoque d'ailleurs un problème de culture: le libéralisme appelle et exige la prise de risque et le goût pour l'aventure économique, oserais-je dire aussi, comme en fin d'après-midi à propos de la politique, la volonté de créer (on parle parfois de "créateurs d'entreprise")? Mais combien de patrons, d'actionnaires, d'investisseurs ne préfèrent-ils pas la sécurité et la prudence? Quand on a de l'argent, on le garde ou on en gagne encore plus!

Je vais vous soumettre un exemple concret, plusieurs fois rencontré: des enseignants, français moyens pas riches mais vivant correctement, de gauche évidemment, ayant acheté un studio, un petit appartement, pas pour habiter (ils ont déjà un logement) mais pour louer. C'est une forme de rente, si je ne m'abuse, surtout lorsque le crédit aura été remboursé. Pas de production, pas de construction, pas d'investissement, mais un placement d'argent pour convenance personnelle. Vous me direz qu'ils jouent un rôle social en mettant leur bien en location. Peut-être mais je ne suis pas franchement convaincu.

Autre exemple, la politique de Sarkozy. A mes yeux, elles favorisent la rente par ses multiples allégements fiscaux en direction de ceux qui ont de l'argent, beaucoup d'argent, avec cette vieille idée de la droite que c'est en rendant les riches encore plus riches que tout le monde va s'enrichir. Il faudrait pour cela que les riches aient les vertus que j'évoquais, qu'ils aient le goût du risque, l'esprit d'entreprendre, le plaisir de la concurrence, l'ambition économique. Il faudrait que les bourgeois d'aujourd'hui soient comme les aristocrates de jadis, des conquérants, les uns en matière économique, les autres en matière militaire. A chacun sa guerre!

Bonne soirée.

4 Comments:

  • Je ne suis pas convaincu par l'exemple du studio acheté par notre enseignant.C'est au contraire de l'argent utilement investi dans un bien durable qui a été construit par des salariés etc...etc D'ailleurs cette activité exercée a plus grande échelle génère des revenus "professionnels"et pourquoi pas..

    By Anonymous Anonyme, at 11:38 PM  

  • Mon métier, comme vous le savez, est de conseiller en matière de gestion de patrimoine et la question que se pose Emmanuel est au coeur des reflexions de mes clients. Ma (la) clientèle pas nécessairement riche ( je ne fais pas de gestion de fortune) est surtout intéressée, en premier lieu, par des rentabilités plutot que par des revenus! Elle est en phase de création et cela n'est réellement possibble que si elle a des revenus ou genère des revenus. Les revenus locatifs de l'exemple d'Emmanuel ne sont pas à mon sens une rente (revenus d'un capital aliéné)car ils peuvent à plus d'un titre être supprimés (pas de locataires, vente du bien, catastrophe naturelle, travaux importants nécessités par la vétusté ou la législation...) même s'ils sont un peu plus sécurisants que la bourse! Dans l'optique de la retraite (choisie ou imposée) et toujours sous l'angle patrimonial, il n'y a que trois sources de revenus : la retraite professionnelle (de répartition et donc insuffisante par nature et en décroissance permanente eu égard au nombre croissant de retraités et de l'allongement de l'espérance de vie), les revenus de capitaux (valeurs mobilières ou locatives, taux fixes ou obligataires donc par nature aléatoires pour les premiers car sujets à fluctuation et mode! ou faibles car sécuritaires) et la rente (certaine par essence : le capital est aliéné, placé sur un fonds dit cantonné et le montant calculé au départ). Ces trois types de revenus sont nécessaires pour s'assurer à la fois un minimum déterminé et une valorisation toujours possible. Leur répartititon ne dépend que de la mentalité de la personne et en aucun cas de la philosophie politique (encore que!!est ce la mentalité qui détermine la tendance politique ou la tendance politique de l'environnement qui détermine la mentalité?).
    Espérant avoir été ni trop technique ni trop rébarbatif, bonne journée
    MD

    By Blogger md, at 7:55 AM  

  • L'argent ne produit pas par lui-même, il permet de produire quand il est investit. Dans un parcours de création d'entreprise, l'argent manque bien souvent, et le banquier qui collecte l'argent des autres n'a pas pour ambition de l'investir à risque sous peine de perdre sa clientèle. Quand on a de l'argent, on peut tout bonnement le dépenser, ce qui constitue sa fonction première, constituer une contrepartie au flux des bien et des services. L'entrepreneur n'est pas forcément riche, il a une idée d'un produit ou d'un service qui pourrait améliorer le bien-être en étant vendu sur le marché, mais pour créer l'entreprise ou l'usine il lui faut des capitaux. Quand l'argent au lieu de végéter sur un compte d'épargne s'investit dans l'économie, il permet à cette dernière de créer de la richesse. Il faut une volonté particulière pour favoriser la création d'entreprise à partir du capital risque en permettant de toucher plus en cas de réussite afin que les pertes soient couvertes. Personne n'aime perdre son argent.

    By Blogger jpbb, at 9:52 AM  

  • Merci aux trois intervenants, car c'est véritablement ainsi que je conçois ce blog, des commentaires de qualité qui m'aident à y voir un peu plus clair dans mes propres idées, que je me mets à ma façon, modestement, au service d'une refondation social-démocrate du PS.

    Michel n'a rien à craindre de sa technicité, bien au contrainte. C'est ce qui manque souvent aux militants socialistes. Je crois beaucoup en une démarche d'expertise (sérieuse, informée, rigoureuse), non pas réservée exclusivement aux spécialistes mais issue des expériences professionnelles et personnelles de chacun. Ce qui m'est en tout cas insupportable, ce sont les discours convenus, les déclarations générales, le lyrisme mal placé, etc.

    Quand je vois ce qui se fait et s'écrit ailleurs sur certains blogs, quelle misère! Et j'avoue avoir ma petite fierté pour ce travail collectif que nous essayons de faire vivre ici chaque jour.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 10:56 AM  

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