L'Aisne avec DSK

09 septembre 2007

La faute à...

Bonsoir à toutes et à tous.

Au XIXème, les penseurs réactionnaires expliquaient les malheurs de la France en disant: "c'est la faute à 1789". En 1940, Le maréchal Pétain, pour justifier la défaite, accusait: "c'est la faute à 1936". La droite actuelle, pour rendre compte des difficultés de l'école ou de l'insécurité, n'hésite pas à proclamer: "c'est la faute à 1968". Une certaine gauche entonne à son tour le refrain "la faute à", pour analyser l'échec des présidentielles, cette gauche dont je vous ai déjà parlé, qui écrit des livres pour expliquer pourquoi le PS a perdu et ce qu'il aurait dû faire pour gagner. Parmi ces ouvrages de socialistes anti-socialistes (un genre littéraire un peu spécial, je l'avoue), on peut lire le livre de Jean-Luc Mélenchon, "En quête de gauche", dont les analyses ne laissent jamais indifférent, et celui de Guillaume Bachelay, jeune fabiusien, plume de Laurent et membre de notre bureau national. Le titre contient un jeu de mot révélateur, devinez lequel! "Désert d'avenir? le parti socialiste, 1983-2007", paru aux éditions Bruno Leprince.

Je vous préviens, je ne l'ai pas encore lu mais j'ai eu accès aux meilleures pages sur internet et je crois pouvoir me faire une idée assez juste de la thèse défendue. Pour Guillaume, notre défaite en 2007 vient de loin, de l'an 1983 exactement, quand le PS s'est converti à la "rigueur" et a opté pour la construction européenne. La suite et ses malheurs découleraient de cette malédiction originelle. Ca ne vous étonnera pas si je vous dis que je ne suis absolument pas d'accord avec cette thèse. D'abord pour une question de méthode. L'histoire politique est une continuité d'événements, un enchaînement de causes et de conséquences, parmi lesquelles on ne peut pas repérer un commencement absolu, sinon sous forme de mythologie. 1983 n'a pas débuté en 1983, les décisions politiques de cette année-là, il est vrai cruciales et sur ce point Guillaume Bachelay a raison, ne se comprennent qu'en remontant dans les années précédentes.

Pourquoi y a-t-il eu un tournant politique en 1983? Pourquoi le PS a-t-il rompu avec les réformes lancées en 1981? Remarquez bien que personne ne pose jamais la question. On en reste souvent à des considérations morales: la gauche s'est reniée, elle a cédé aux pressions extérieures, etc. Il faut au contraire porter un regard politique. Nous changeons d'orientation économique en 1983 parce que celle de 1981 a abouti en partie à une impasse, voilà la vérité que certains socialistes se cachent.

Qu'est-ce qui ne marche pas? Des nationalisations massives, extrêmement coûteuses, dont plus personne aujourd'hui ne se risque à faire le bilan tellement il est négatif. Ces nationalisations se justifiaient essentiellement par un a priori idéologique devenu obsolète, la collectivisation des grands moyens de production et d'échange, afin de complaire au PCF. Qu'ont-elles changé dans la vie des salariés, quelqu'un peut-il me le dire? Le but des socialistes à l'époque était tout de même celui-ci, "changer la vie".

Autre signe d'échec, les dévaluations successives de la monnaie: les augmentations des allocations et salaires accordées en 1981 étaient rattrapées et annulées par l'inflation, il a fallu casser l'échelle des salaires indexée sur les prix (un comble pour des socialistes, mais il le fallait). A cela se sont ajoutées les convictions fortement européennes de François Mitterrand, qui ne pouvait pas accepter que la France quitte le système monétaire européen, laisse flotter sa monnaie, creuse ses déficits, même au nom d'une logique qui avait sa pertinence, "l'autre politique", défendue alors, notamment, par Fabius.

Voilà ce qu'il faut rappeler pour comprendre le tournant de 1983, ne plus en faire une cause mais une conséquence. Bachelay doit aussi se souvenir que Fabius, par la suite, et à la différence d'un Chevènement, s'est gardé de contester cette orientation et qu'il l'a même fortement accompagné et idéologiquement conforté. Là encore, n'oublions pas que cette gauche qui se veut aujourd'hui "vraiment socialiste" et qui a rallié Fabius en 2005 l'a critiqué pendant 20 ans, lui réservant les flèches les plus acerbes, le traitant très négativement de "social-libéral" (ce en quoi elle n'avait pas vraiment tort).

Là où je rejoins Bacheley, c'est dans sa critique du terme employé par Lionel Jospin pour faire accepter le tournant de 1983: la "parenthèse". Il y avait tromperie sur la marchandise, on laissait croire qu'on se donnait un temps pour souffler un peu alors que nous changions carrément de rythme. La fameuse "parenthèse" n'a jamais été refermée, et notre électorat nous en a voulu. Mieux aurait valu dire la vérité. Mais Jospin ne cherchait-il pas aussi à se convaincre lui-même? Il faut dire aussi que son attitude répétait la logique révolutionnaire classique: Lénine va décréter la NEP (Nouvelle économie politique) parce que la collectivisation est trop dure et qu'il faut redonner de l'espace au marché, Blum va instaurer une "pause" dans les réformes de 1936. Jospin, vieux militant, était marqué par la tradition socialiste quand il parlait de "parenthèse".

Le drame, c'est que Lénine a été remplacé par Staline et que le Front Populaire a dû très vite céder le pouvoir. Qui se souvient qu'en 1983 la gauche, après deux ans de gouvernement, était violemment contestée par la droite qui lui faisait un procès en illégitimité? Comme Léon Blum, Mitterrand aurait pu être balayé et la période de 1981-1983 rester un court mais beau souvenir. Mitterrand a levé cette malédiction, il a fait en sorte que la gauche dure, qu'elle inscrive ses réformes dans le temps et la continuité, qu'elle soit l'alternative naturelle et non plus exceptionnelle de la droite au pouvoir. En ce sens, grâce à lui mais partiellement malgré lui, il a posé les bases d'une social-démocratie à la française, qu'il nous faut aujourd'hui reprendre, développer et porter beaucoup plus loin. Désolé Guillaume Bachelay!


Bonne soirée.

6 Comments:

  • Bachelay ne dit pas exactement cela.Comme Fabius il pense à juste titre que moderniser la gauche ce n'est pas la droitiser et que plaider pour un accès universel aux services essentiels que sont l'éducation,la culture, la santé l'eau, l'assainissement, bref pour des services publics modernes c'est bien là la mission de la gauche,non?
    Enfin je ne vois pas en quoi Mélenchon aurait écrit un ouvrage anti-socialiste parce qu'il fait par exemple le constat très argumenté des échecs de la social-démocratie en Suède notemment(analyse de l'echec historique de la SD aux dernières élections.)
    Voila au contraire 2ouvrages particulièrement intéressants et utiles dans le débat actuel sur la refondation.

    By Anonymous Anonyme, at 11:52 PM  

  • Voilà, c'est la faute au PCF, donc c'est la faute aux marxistes, ceux qui ont mal interprété Karl. En fait il ne fallait pas l'interpréter du tout, simplement suivre sa méthode, réfléchir au présent et trouver une solution, suivre une voie et en changer si elle ne convient pas. Mais les disciples, c'est bien connu n'égalent pas le maître et font tout de travers. Seul DSK a vraiment compris Marx en ne le citant pas, mais il s'est fait doubler par Ségo qui avait plus d'appétit que d'estomac. Résultat, maintenant, on rénove pour de bon.

    By Blogger jpbb, at 9:54 AM  

  • La mission du politique, c'est de garantir le bien être généralisé. C'est ça que veulent les Français. Ils se foutent pas mal de l'étiquette de l'équipe en place. Ils votent pour une personne compétente et un programme qui tienne la route. Seule solution pour les perdants, faire mieux et s'emparer du pouvoir démocratiquement lors d'une élection en proposant une alternance crédible.
    Pour les services essentiels, on est dans le mixte pour l'école, la santé, l'eau et l'assainissement. Il y a des écoles publiques et privées, on trouve de l'eau minérale au supermarché, etc. On trouve aussi de l'eau potable au robinet avec des syndicats divers. L'important est d'avoir un service de qualité qui ne coûte pas cher au consommateur. Mao le disait , ce n'est pas la couleur du chat qui compte pour attraper la souris. Ensuite il faut assurer le développement futur dans le cadre de la mondialisation. C'est autant la mission de la « gauche » que de la « droite ». Les Français voteront pour l'équipe qui en offrira « + et mieux ». Il est temps de se mettre à jour...

    By Blogger jpbb, at 10:03 AM  

  • A notre anonyme, je réponds qu'il répète à la fin de son message ce que j'ai déjà dit au début du mien: les ouvrages de Mélenchon et Bachelay sont utiles et intéressants et je les lirais (en revanche, je déconseile Lienneman).

    La social-démocratie a échoué, le communisme a échoué, le capitalisme a échoué, ok, admettons. Mais alors, qu'est-ce qui a réussi? Pour moi, on ne fait pas de la politique les pieds dans le vide. Il faut s'adosser à une expérience, à une réalité. La mienne, c'est la social-démocratie parce que je n'en vois pas d'autre. Trop facile de dire ou de sous-entendre que tout a échoué.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:25 PM  

  • Enfin, jpb admet ce que je défends ici depuis longtemps: Marx est plus moderniste qu'on ne le croit, son message a été déformé par ses disciples, principalement les léninistes. D'accord pour dire que Marx ne s'interprète pas (ou alors, on le trahit) et que sa pensée ne vaut que pour le présent (de son temps et d'aujourd'hui).
    Seul DSK a compris Marx sans le nommer? Peut-être, mais de toute façon, Besancenot n'est pas pour moi plus "marxiste" que DSK.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:31 PM  

  • Chaque époque secréte ses penseurs, ses philosophes, ses artistes etc. Ceux qui nous ont précédés ne peuvent pas nous remplacer, sinon pourquoi serions nous là, en train de vivre ?

    By Blogger jpb, at 10:31 PM  

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