La gauche antitotalitaire.
Dans Ce grand cadavre à la renverse, BHL pointe trois faits marquants qu'il a vécus et qui ont contribué à forger l'antitotalitarisme qu'il développera, avec quelques autres, sous l'étiquette des "nouveaux philosophes", à partir de 1977.
C'est d'abord un personnage venu du froid, un grand écrivain publiant un grand livre, au début des années 70, Soljenitsyne et son "Archipel du Goulag" (p. 121). Pour la première fois, une description du système concentrationnaire soviétique ébranle les consciences et interpelle la gauche. Certes, l'homme reste aux yeux de certains progressistes un "réactionnaire", mais le message passe. La littérature se montre plus efficace que la dénonciation politique. Surtout, une nouvelle figure s'inscrit dans le panthéon de la gauche, qui a toujours cru en ce que Camus appelait "l'homme révolté". Il y a eu le révolutionnaire professionnel, mais son étoile a pâli puisque c'est lui qui est à l'origine de tous les goulags, il y a encore le révolté sauvage, spontané, qui fait dire à BHL que les émeutiers des banlieues en 2005 formaient "une sorte de mouvement social" (p. 93), il y a surtout, avec Soljenitsyne, la figure nouvelle du dissident, l'antitotalitaire par excellence.
C'est ensuite une révolution qui a frappé BHL, un peu oubliée aujourd'hui, une révolution pas comme les autres, c'est-à-dire ni décevante, ni meurtrière: la révolution des oeillets, en 1974, au Portugal (p. 118). Elle est singulière à trois titres:
1- Les meneurs ne sont pas des chefs de parti ou des idéologues mais ... des militaires. Or, dans la conscience de gauche, la figure du militaire était rien moins que progressiste. Elle renvoyait aux généraux félons d'Algérie, aux colonels grecs et à l'armée putchiste chilienne.
2- Cette révolution, ô surprise, n'aspire pas à instaurer une société nouvelle, à engendrer l'Homme nouveau. Le parti communiste ne joue pas un rôle de premier plan. Ces militaires sont des réformistes qui veulent simplement remplacer la dictature par une démocratie.
3- Cette révolution n'exalte pas la violence, ne brandit pas le poing, ne fait pas crépiter les mitrailleuses, elle n'a besoin ni de romantisme, ni de tragédie, elle met des oeillets au bout de ses fusils, elle est pacifique.
C'est enfin, en contrepoint à la révolution portugaise, la révolution cambodgienne de 1975, qui selon BHL achève un cycle révolutionnaire commencé avec la Terreur française de 1793 (p. 124). Les Khmers rouges, dirigés par des intellectuels formés à la Sorbonne, vont porter la révolution, après Robespierre, Staline, Mao et quelques autres, jusqu'à l'horreur. Trois singularités caractérisent cette dernière révolution qui rend désormais impossible l'idée même de révolution:
1- Elle réglemente le désir, par la "fixation par décret des jours de l'année où les jeunes gens seront autorisés à copuler" (pp 128-129).
2- Elle réglemente le langage, par "l'effacement de pans entiers du dictionnaire" (p 129).
3- Elle supprime la distinction ville-campagne en vidant Phnom Penh de ses 2 millions d'habitants (pp 129-130).
Après l'approche historique, BHL expose les 4 énoncés qui rendent possible le totalitarisme et qu'il faut donc renverser: l'Absolu, l'Histoire, la dialectique, le Mal. Pour faire vite, je vous résume les thèses philosophiques que ces énoncés engendrent: l'Absolu, c'est le Bien, au nom duquel tout va être permis. L'Histoire justifie les pires actes, puisque demain sera nécessairement meilleur qu'aujourd'hui (dit de façon plus prosaïque: on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs). La dialectique, c'est le raisonnement qui permet d'expliquer qu'un mal est en réalité un bien, donc de le justifier. D'ailleurs, le Mal en soi n'existe pas, il n'y a que des moments difficiles à passer.
En quelques pages, références et raisonnements, BHL affirme que la gauche ne saurait qu'être ce qu'elle n'a pas toujours été, c'est-à-dire antitotalitaire.
Bonne fin d'après-midi.
C'est d'abord un personnage venu du froid, un grand écrivain publiant un grand livre, au début des années 70, Soljenitsyne et son "Archipel du Goulag" (p. 121). Pour la première fois, une description du système concentrationnaire soviétique ébranle les consciences et interpelle la gauche. Certes, l'homme reste aux yeux de certains progressistes un "réactionnaire", mais le message passe. La littérature se montre plus efficace que la dénonciation politique. Surtout, une nouvelle figure s'inscrit dans le panthéon de la gauche, qui a toujours cru en ce que Camus appelait "l'homme révolté". Il y a eu le révolutionnaire professionnel, mais son étoile a pâli puisque c'est lui qui est à l'origine de tous les goulags, il y a encore le révolté sauvage, spontané, qui fait dire à BHL que les émeutiers des banlieues en 2005 formaient "une sorte de mouvement social" (p. 93), il y a surtout, avec Soljenitsyne, la figure nouvelle du dissident, l'antitotalitaire par excellence.
C'est ensuite une révolution qui a frappé BHL, un peu oubliée aujourd'hui, une révolution pas comme les autres, c'est-à-dire ni décevante, ni meurtrière: la révolution des oeillets, en 1974, au Portugal (p. 118). Elle est singulière à trois titres:
1- Les meneurs ne sont pas des chefs de parti ou des idéologues mais ... des militaires. Or, dans la conscience de gauche, la figure du militaire était rien moins que progressiste. Elle renvoyait aux généraux félons d'Algérie, aux colonels grecs et à l'armée putchiste chilienne.
2- Cette révolution, ô surprise, n'aspire pas à instaurer une société nouvelle, à engendrer l'Homme nouveau. Le parti communiste ne joue pas un rôle de premier plan. Ces militaires sont des réformistes qui veulent simplement remplacer la dictature par une démocratie.
3- Cette révolution n'exalte pas la violence, ne brandit pas le poing, ne fait pas crépiter les mitrailleuses, elle n'a besoin ni de romantisme, ni de tragédie, elle met des oeillets au bout de ses fusils, elle est pacifique.
C'est enfin, en contrepoint à la révolution portugaise, la révolution cambodgienne de 1975, qui selon BHL achève un cycle révolutionnaire commencé avec la Terreur française de 1793 (p. 124). Les Khmers rouges, dirigés par des intellectuels formés à la Sorbonne, vont porter la révolution, après Robespierre, Staline, Mao et quelques autres, jusqu'à l'horreur. Trois singularités caractérisent cette dernière révolution qui rend désormais impossible l'idée même de révolution:
1- Elle réglemente le désir, par la "fixation par décret des jours de l'année où les jeunes gens seront autorisés à copuler" (pp 128-129).
2- Elle réglemente le langage, par "l'effacement de pans entiers du dictionnaire" (p 129).
3- Elle supprime la distinction ville-campagne en vidant Phnom Penh de ses 2 millions d'habitants (pp 129-130).
Après l'approche historique, BHL expose les 4 énoncés qui rendent possible le totalitarisme et qu'il faut donc renverser: l'Absolu, l'Histoire, la dialectique, le Mal. Pour faire vite, je vous résume les thèses philosophiques que ces énoncés engendrent: l'Absolu, c'est le Bien, au nom duquel tout va être permis. L'Histoire justifie les pires actes, puisque demain sera nécessairement meilleur qu'aujourd'hui (dit de façon plus prosaïque: on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs). La dialectique, c'est le raisonnement qui permet d'expliquer qu'un mal est en réalité un bien, donc de le justifier. D'ailleurs, le Mal en soi n'existe pas, il n'y a que des moments difficiles à passer.
En quelques pages, références et raisonnements, BHL affirme que la gauche ne saurait qu'être ce qu'elle n'a pas toujours été, c'est-à-dire antitotalitaire.
Bonne fin d'après-midi.
1 Comments:
La gauche parfaite. Mais il faut bien reconnaître qu'elle est composée d'hommes, et que les passions de ces derniers aveuglent. Vouloir que son rêve se concrétise immédiatement, que le grand soir justifie tout, puisque c'est un absolu, est non seulement illusoire mais meurtrier. C'est Tours en 1920 qui marque la scission entre les hommes vertueux et les meurtriers. Accepter modestement que l'on nous confie le pouvoir pour améliorer les choses a été l'option retenue par les plus sensés. Prendre le pouvoir par les armes, et donc s'y maintenir par le sang, a été le choix d'éléments qui ne se contrôlaient pas, qui justifiaient leur pulsion d'un vernis de raisonnement. Les hommes sont constant, et la gauche n'est pas homogène. Il y a toujours à dire les limites afin de ne pas les dépasser et de se perdre dans une noire impasse. C'est de la responsabilité intellectuelle de Marx, qui persuadé de détenir le vrai, en a convaincu ceux qui n'aspiraient qu'à être justifié dans leur désir de voir apparaître « La Révolution ». Or la vie est changement et passage, on ne saurait lui fixer un but définitif, mais juste lui indiquer une voie, une direction, un chemin. Il ne suffit pas de détenir le pouvoir pour que les choses aillent bien par elles-même, comme l'arbre qui grandit, jour après jour, modestement il suffit d'oeuvrer en ayant une conscience claire et ouverte sur le monde. Antitotalitaire, bien sûr. ;-)
By jpbb, at 7:19 PM
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