L'Aisne avec DSK

26 octobre 2007

La Mémoire des vaincus.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je n'ai pas fini de vous parler de mes lectures d'été. Parmi elle, il y avait "La Mémoire des vaincus", de Michel Ragon, un formidable roman historique paru en 1990 au Livre de Poche et qui raconte l'anarchisme au XXème siècle. Les vaincus, les oubliés, ce sont eux, les anars, qui ont pourtant été, longtemps, une force politique considérable dont Ragon nous décrit les tendances et les personnages. Le paradoxe, c'est que l'écrivain s'est fait connaître pour son roman sur les guerres de Vendée, "Les Mouchoirs rouges de Cholet". Mais qui sait s'il n'y a pas un peu d'anarchiste chez le vendéen en révolte contre la République?

On apprend des tas de choses en lisant ce "docu-fiction". La bande à Bonnot, comme beaucoup d'anarchistes du début du siècle, était hygiéniste, sobre et végétarienne, à l'opposé de l'image actuelle de l'anar débrayé et picoleur. En 1914, beaucoup d'anarchistes sont passés du pacifisme antimilitariste au patriotisme belliciste, l'Allemagne étant assimilée à la Réaction et la France, au contraire, à la Révolution. Surprenant également, le soutien des anarchistes à la révolution russe de 1917: Lénine et surtout Trotsky sont marqués par la culture libertaire et affichent un objectif commun, la disparition de l'Etat. Le bolchévisme est peut-être, du moins au début, plus proche de l'anarchisme et d'un certain populisme russe que du marxisme (n'oublions pas que Marx avait rompu avec l'anarchiste Bakounine).

Je vous conseille trois pages étonnantes (116 à 118), la description de la dernière semaine d'octobre 1917, où la révolution a failli périr... dans l'alcool, tellement les troupes se vautraient dans la beuverie! (j'aimerais qu'un historien lecteur de ce blog confirme la véracité de cet épisode cocasse!). Ce sont les vertueux anars qui ont sauvé le nouveau régime! Etonnant aussi le personnage théâtral de Trotsky, en uniforme blanc, qui a transféré le commandement dans un train blindé, comme pour bien montrer que le pouvoir est nulle part mais partout à la fois! Etonnant enfin ce Kropotkine, "prince anarchiste", dont les obsèques à Moscou rassemblent 100000 personnes.

J'ai également aimé le chapitre sur l'Espagne anarchiste, l'autre modèle après la déception soviétique. Le Frente Popular avait 5 ministres anarchistes, alors qu'on imagine mal, aujourd'hui, un anar doté d'un portefeuille ministériel. Le portrait de Staline est édifiant: ce tyran féroce est au départ un homme modeste, dévoué, austère, quelqu'un dont on ne se méfie pas, qui tranche par sa médiocrité avec l'extravagance et le panache de Trotsky. On sait ce qu'il advint de l'un et de l'autre... Pour s'incliner devant la dépouille de Staline, il y aura 17 km de queue et 800 victimes étouffées (là aussi, à vérifier, tellement les chiffres paraissent énormes). Jusque dans la mort, le tyran communiste aura tué.


Bonne soirée.