Le désir politique.
J'ai terminé cet après-midi une lecture que je voulais entreprendre il y a quelques années déjà, "Une saison chez Lacan", de Pierre Rey, le récit d'une psychanalyse auprès de Jacques Lacan. J'aurai sans doute l'occasion de vous reparler de cet ouvrage, je voudrais simplement ce soir le prendre pour prêtexte afin de réfléchir un peu sur le désir en politique. Important pour qui aspire à être tête de liste aux municipales, non? Qu'est-ce qui fait qu'on a des ambitions politiques? Il y a bien sûr les réponses convenues: la défense d'une cause, le service des autres, etc. Tout cela est vrai. Il y a aussi les fausses réponses, qui proviennent le plus souvent de ceux qui détestent la politique et qui confortent leur haine par le mensonge: l'intérêt personnel, l'argent, etc. A ceux-là, je leur dis: allez militer dans un parti, présentez-vous à des élections et vous verrez si c'est la partie de plaisir que vous croyez et si vous y gagnerez beaucoup d'argent! Non seulement vous ne gagnerez rien, mais vous perdrez du temps et de l'argent à faire de la politique!
Car c'est bien là tout le mystère du désir politique, qui doit passer pour se satisfaire par des réunions ennuyeuses, des discussions intellectuellement médiocres, des risques d'échec plus grands que des chances de l'emporter. Je sais que ce qui m'attend, le lendemain même de mon éventuelle désignation en tête de liste, ce sont des difficultés, encore des difficultés, toujours des difficultés. Et pourtant, aussi étrange qu'il puisse paraître, mon envie est intacte. Mais envie de quoi? Etre conseiller municipal d'opposition, n'avoir pratiquement aucun pouvoir, être acculé à la contestation? Devenir maire, recevoir des plaintes de toute sorte dont l'origine est généralement l'individualisme de nos concitoyens, traiter comme principal dossier les nuisances des déjections canines ou la difficulté des automobilistes à se déplacer aisément aux heures inévitables des embouteillages? Je noircis abusivement le tableau car mon billet de ce soir est plus psychologique que politique, vous l'avez compris. Pourquoi, en politique, se casse-t-on la tête (c'est le cas de le dire!) à vouloir des places et des tâches dont personne ne veut?
Je vais noicir encore plus le tableau (par masochisme?): la politique est une activité fortement névrotique. Combien de fois y ai-je observé des pathologies à l'oeuvre, à peine cachées: désir de reconnaissance, volonté de puissance, sentiment de persécution, narcissisme, paranoïa, dédoublement de personnalité,... Un individu sensible, intelligent, plongé dans l'univers politique, peut devenir une loque, soumis aveuglément à son leader (j'en ai rencontré de nombreux), ou bien un fauve apeurant les pauvres militants (j'en ai connu aussi quelques uns). Je vais pousser le bouchon très loin: un individu "normal" ne fait pas de politique, il essaie de vivre heureux avec sa femme, ses enfants, son travail et ses loisirs. Rassurez-vous: heureusement qu'il y a des gens pour faire de la politique, parce que cette activité est indispensable à la bonne marche du monde.
Lacan explique, après Platon et bien d'autres, que le désir provient d'un manque qu'on ne parvient jamais à combler. Il en va sûrement de même pour le désir politique: quelque chose manque qu'on tente de combler et qui ne comble pas. Le désir est ainsi voué à l'échec, et le bonheur n'existe pas, ni en politique, ni ailleurs. Ce désir est suscité, en politique, par un puissant fantasme, un aphrodisiaque qu'on croit absolu: le pouvoir. Creusez un peu, pas trop profond, et vous verrez que le moteur de la politique, c'est la recherche du pouvoir. Et tant mieux, car des gens pour assumer des responsabilités, il en faut et il n'y en a pas tant que ça! Le problème, c'est que le pouvoir n'existe pas vraiment, ce n'est qu'un fantasme. Le vrai pouvoir, ce n'est pas le pouvoir, c'est la force, l'argent, l'intelligence, la beauté, l'amour, etc. Je me demande si ceux qui recherchent le pouvoir ne sont pas foncièrement des faibles et des pauvres, qui manquent cruellement des quelques qualités que je viens d'énumérer...
Lacan accorde une importance fondamentale au langage dans la vie psychique et la structuration de l'inconscient. Or, la politique, ce sont fondamentalement des mots, des discours. Quand j'observe mes camarades et que je m'observe moi-même, c'est flagrant: la jouissance politique est verbale. Vous allez peut-être me reprocher d'être désespérant en ce samedi soir où la France s'apprête à regarder joyeusement un match de rugby? Pas du tout. Toute névrose trouve sa solution dans le réel, c'est-à-dire les autres, et la politique plus que n'importe quelle activité est confrontée au réel et aux autres. Si je n'avais pas fait de politique, j'aurais ignoré bien des problèmes cruciaux que rencontre notre société. Je ne connais rien de plus "concret" que la politique. En définitivement, on guérit beaucoup plus vite du désir névrotique en politique qu'ailleurs parce qu'on y est constamment confronté aux jugements des autres, qui brisent l'image narcissique qu'on peut avoir de soi. A moins de transmettre sa névrose à son entourage, comme certains tyrans l'ont fait parfois avec leurs proches ou leur peuple.
Ai-je toujours le désir d'être tête de liste aux élections municipales à Saint-Quentin? Mais bien sûr que oui!
Bonne soirée.
Car c'est bien là tout le mystère du désir politique, qui doit passer pour se satisfaire par des réunions ennuyeuses, des discussions intellectuellement médiocres, des risques d'échec plus grands que des chances de l'emporter. Je sais que ce qui m'attend, le lendemain même de mon éventuelle désignation en tête de liste, ce sont des difficultés, encore des difficultés, toujours des difficultés. Et pourtant, aussi étrange qu'il puisse paraître, mon envie est intacte. Mais envie de quoi? Etre conseiller municipal d'opposition, n'avoir pratiquement aucun pouvoir, être acculé à la contestation? Devenir maire, recevoir des plaintes de toute sorte dont l'origine est généralement l'individualisme de nos concitoyens, traiter comme principal dossier les nuisances des déjections canines ou la difficulté des automobilistes à se déplacer aisément aux heures inévitables des embouteillages? Je noircis abusivement le tableau car mon billet de ce soir est plus psychologique que politique, vous l'avez compris. Pourquoi, en politique, se casse-t-on la tête (c'est le cas de le dire!) à vouloir des places et des tâches dont personne ne veut?
Je vais noicir encore plus le tableau (par masochisme?): la politique est une activité fortement névrotique. Combien de fois y ai-je observé des pathologies à l'oeuvre, à peine cachées: désir de reconnaissance, volonté de puissance, sentiment de persécution, narcissisme, paranoïa, dédoublement de personnalité,... Un individu sensible, intelligent, plongé dans l'univers politique, peut devenir une loque, soumis aveuglément à son leader (j'en ai rencontré de nombreux), ou bien un fauve apeurant les pauvres militants (j'en ai connu aussi quelques uns). Je vais pousser le bouchon très loin: un individu "normal" ne fait pas de politique, il essaie de vivre heureux avec sa femme, ses enfants, son travail et ses loisirs. Rassurez-vous: heureusement qu'il y a des gens pour faire de la politique, parce que cette activité est indispensable à la bonne marche du monde.
Lacan explique, après Platon et bien d'autres, que le désir provient d'un manque qu'on ne parvient jamais à combler. Il en va sûrement de même pour le désir politique: quelque chose manque qu'on tente de combler et qui ne comble pas. Le désir est ainsi voué à l'échec, et le bonheur n'existe pas, ni en politique, ni ailleurs. Ce désir est suscité, en politique, par un puissant fantasme, un aphrodisiaque qu'on croit absolu: le pouvoir. Creusez un peu, pas trop profond, et vous verrez que le moteur de la politique, c'est la recherche du pouvoir. Et tant mieux, car des gens pour assumer des responsabilités, il en faut et il n'y en a pas tant que ça! Le problème, c'est que le pouvoir n'existe pas vraiment, ce n'est qu'un fantasme. Le vrai pouvoir, ce n'est pas le pouvoir, c'est la force, l'argent, l'intelligence, la beauté, l'amour, etc. Je me demande si ceux qui recherchent le pouvoir ne sont pas foncièrement des faibles et des pauvres, qui manquent cruellement des quelques qualités que je viens d'énumérer...
Lacan accorde une importance fondamentale au langage dans la vie psychique et la structuration de l'inconscient. Or, la politique, ce sont fondamentalement des mots, des discours. Quand j'observe mes camarades et que je m'observe moi-même, c'est flagrant: la jouissance politique est verbale. Vous allez peut-être me reprocher d'être désespérant en ce samedi soir où la France s'apprête à regarder joyeusement un match de rugby? Pas du tout. Toute névrose trouve sa solution dans le réel, c'est-à-dire les autres, et la politique plus que n'importe quelle activité est confrontée au réel et aux autres. Si je n'avais pas fait de politique, j'aurais ignoré bien des problèmes cruciaux que rencontre notre société. Je ne connais rien de plus "concret" que la politique. En définitivement, on guérit beaucoup plus vite du désir névrotique en politique qu'ailleurs parce qu'on y est constamment confronté aux jugements des autres, qui brisent l'image narcissique qu'on peut avoir de soi. A moins de transmettre sa névrose à son entourage, comme certains tyrans l'ont fait parfois avec leurs proches ou leur peuple.
Ai-je toujours le désir d'être tête de liste aux élections municipales à Saint-Quentin? Mais bien sûr que oui!
Bonne soirée.
5 Comments:
C'est vrai, et pas seulement en politique, pourquoi on se casse la tête, pourquoi on va faire l'acrobate en haut du fil en risquant la chute ? Parce qu'on ne peux pas faire autrement, parce qu'on ne se contente pas du monde qui existe actuellement et que si l'on ne s'y colle pas, personne ne le fera à notre place. C'est vrai, une personne normale ne fait pas de politique, elle se contente de vivre. Pour le manque, je suis également d'accord, on n'arrivera jamais à le combler. C'est le manque à être. Et c'est dans l'action, la réflexion, le combat politique qui lie les deux, que l'on est un peu plus. C'est là ce qui nous anime. Vous êtes un vrai politique Emmanuel, pas de doute. ;-)
By jpbb, at 10:24 PM
ton analyse psychanalitique du désir politique m'a mis le moral dans les chaussettes. en effet comme le dit trés bien jpbb, cette démonstration s'applique à tous les choix motivés par le désir à travers le parcours de la vie.le désir me semble être l'essence d'être. j'avoue être en pleine réflexion et perpléxité. ta démonstration ravive 1 vieux démon en moi et me conduit à repartir sur mon observation du schéma sociétal contemporain. en effet, suivre son désir c'est s'exposer à la souffrance; le parralléle avec la phrase biblique : "tu enfanteras dans la douleur" dés lors que l'homme a eu le désir d'accéder à la connaissance. une piste de réflexion: le désir politique n'est pas à mon avis le désir de pouvoir; c'est plutôt transgresser 1 interdit au risque de supporter 1 nouveau péché originel, c'est oser aller vers l'inconnu.les notions de pouvoir et de jouissance sont hormonales et biochimiquement quantifiables, le désir est peut être divin.... VAL
By Anonyme, at 10:20 AM
ps en plus simple : vas-y. VAL
By Anonyme, at 10:55 AM
J'y vais, j'y vais, ma chère VAL, et je t'emmène avec moi si tu veux...
By Emmanuel Mousset, at 10:03 PM
Ouh là la...
http://www.dailymotion.com/video/x7bxk_florent-pagny-la-ou-je-temmenerai
By jpbb, at 1:03 PM
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