L'Aisne avec DSK

02 novembre 2007

Le pouvoir en noir.

Bonjour à toutes et à tous.

Un livre de 500 pages que je termine en à peine trois jours, c'est rare. Je suis plutôt lent dans mes lectures. Même en période de vacances! C'est une découverte, une vraie, comme je les aime, un écrivain dont je ne connaissais pas le nom et qui m'a emballé, Marc Dugain, et son roman historico-politique, La malédiction d'Edgar, parue en 2005 en poche, chez Folio-Gallimard. C'est l'histoire fascinante d'Edgar Hoover, directeur pendant 48 ans (!) du FBI américain (1924-1972), c'est une réflexion sur le pouvoir.

Nous assistons à la montée en puissance de la famille Kennedy, avec le père, Joe, ambassadeur en Grande-Bretagne, qui rêve de devenir président. Il est antisémite, isolationniste, pronazi. Mais c'est son fils John qui va prendre la relève. Il est malade, fragile, obsédé sexuel et n'a rien, mais rien qui le désigne à une haute destinée. Pendant la période Mac Carthy, politicien alcoolique, Hoover s'en donne à coeur joie: ses ennemis de toujours, ce sont les communistes (puis les gauchistes dans les années 60), mais jamais la Mafia, avec laquelle il entretient des relations cordiales. Le problème, c'est qu'il y a aux Etats-Unis beaucoup plus de mafieux que de communistes!

Vienent ensuite l'élection de Kennedy, le ratage de la Baie des Cochons, le bras de fer autour des fusées soviétiques installées à Cuba, l'assassinat de JFK (avec la complaisance du FBI, de la CIA, du vice-président, de la Mafia et des anticastristes, mais nous sommes dans un roman!) et la venue de Nixon. Avec un épisode savoureux: dans leur obsession anticommuniste, les hommes du FBI vont jusqu'à soupçonner Albert Camus, dont l'oeuvre est perçue comme "un nouveau testament du communisme" (p.450). Mais ce n'est pas si bête ...

De ce tableau très noir du pouvoir en Amérique, je retiens quatre enseignements, qui sont peut-être les quatre caractéristiques de tout pouvoir:

1- La corruption: les institutions américaines sont influencées par la Mafia, au point de collaborer avec elle et d'adopter ses méthodes. Au fond du pouvoir, il y a quelque chose de voyou.

2- Le meurtre: point ultime de la délinquance du pouvoir, l'usage du meurtre, grâce à des "tireurs isolés" fort bien entourés et organisés. Le crime politique est un genre universel dans lequel l'Amérique s'illustre très bien: John Kennedy, son frère Robert, son assassin Oswald, Martin Luther King, Malcom X et d'autres moins connus vont tomber sous les balles, à seulement quelques années d'intervalle.

3- La dépravation: Joe et John Kennedy sont atteints de frénésie sexuelle. Le président et son frère, ministre de la Justice, se partagent physiquement Marylin Monroe. Martin Luther King n'est satisfait qu'avec deux femmes dans son lit. Il y a manifestement un lien entre la conquête politique du pouvoir et la conquête sexuelle des femmes.

4- Le secret: le vrai pouvoir n'est pas celui que vous donne l'électorat à partir d'un programme, c'est la position occupée dans l'appareil d'Etat et le regard porté sur la vie privée des autres. Ainsi, Hoover est plus puissant que n'importe quel président, car son système d'écoutes lui fait connaitre les secrets intimes par lesquels il "tient" les uns et les autres. Gouverner, c'est violer (la vie privée) et manipuler. Mais pas d'illusion: "Dans le cercle du pouvoir, il n'y a aucun secret, seulement des types qui font semblant de ne pas savoir" (p.420). Et j'ajouterai: des types qui font semblant de savoir alors qu'ils ne savent rien (j'en croise pas mal ...).

La grande question est celle-ci: qu'est-ce qui motive quelqu'un à rechercher ce pouvoir si noir? La réponse est dans la vie de Hoover, comme dans celle de tout homme politique: ce réactionnaire très puritain, traquant impitoyablement les déviances de ses concitoyens, était homosexuel et entretenait une longue relation avec le numéro 2 du FBI! Voilà ce que Marc Dugain fait dire à l'amant de Hoover, à propos de celui-ci: "Il était mû par un puissant moteur que nous ne partagions pas, celui de la honte de notre condition qui l'animait sans répit, dans une fuite éperdue à laquelle il s'était imposé de donner un sens". (p. 468).

Faire de la politique, activité tout à fait anormale, non naturelle, consiste à fuir quelque chose en soi qu'on n'aime pas. Lisez ce roman à l'écriture élégante, sobre, très maîtrisée. Et je vais de ce pas à la bibliothèque municipale pour prendre un autre ouvrage de Dugain (il faut bien que les vacances servent à quelque chose)!


Bonne journée.


PS: un lapsus idiot, dont je ne m'explique pas la signification, m'a fait hier, à deux reprises, appeler Albert Camus "Marcel"! Pourquoi pas Gaston, pendant que j'y suis ... Plates excuses.

4 Comments:

  • désir, plaisir et perversion: voila le pére edgard. j'ai toujours révé de dire " F.B.i" et montrer mon badge!!!!!! VAL

    By Anonymous Anonyme, at 1:38 PM  

  • au lieu de ça j'ai passé 12h en garde à vue à new york à cause de mon passeport....avec des mecs du FBI pas terribles... VAL

    By Anonymous Anonyme, at 1:41 PM  

  • Il y a des tas de raisons pour lesquelles on peut faire de la politique, on peut s'aimer, aimer les autres, et s'arranger pour faire évoluer le système vers un bien-être généralisé. C'est une motivation tout à fait honorable et on n'a nul besoin de la cacher.

    By Blogger jpbb, at 1:56 PM  

  • Jodie Foster, dans "Le Silence des agneaux", faisait un très joli agent du FBI. Mais je m'égare un peu ... Et pourquoi pas? Après tout, c'est les vacances ...

    JPB a une vision plutôt évangélique de la politique, très éloignée d'Edgar Hoover. Révérend Père Becker?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 3:48 PM  

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