Sarkozy l'idéologue.

Bonsoir à toutes et à tous.

Sarkozy, c'est le triomphe de l'idéologie. Jamais nous n'avons été si éloigné du pragmatisme, du réalisme. Pourtant, il existe toute une tradition de droite qui se reconnait dans la prudence gestionnaire, qui rencontre aussi ses limites. Mais l'idéologie, parce qu'elle s'éloigne du réel, est dangereuse, illusoire, inutile et souvent décevante. La nouveauté de la situation, c'est que le reproche d'idéologie était généralement adressé, à tort ou à raison, à la gauche. C'est maintenant la droite de Sarkozy qui le subit. Je vous donne trois exemples spectaculaires pour étayer ma thèse:

1- La loi sur l'immigration et son amendement sur les tests ADN: voilà une disposition parfaitement dérisoire, ne concernant que quelques dizaines de familles, inutilement polémique, moralement très discutable, politiquement diviseuse, bref un impact fort mais une efficacité nulle. Pourtant, et malgré les protestations, le gouvernement a maintenu cette mesure, parce qu'elle a une fonction idéologique précise: donner à l'électorat d'extrême droite le signe qui peut satisfaire sa xénophobie.

2- La loi sur les heures supplémentaires: elle embête le patronat par sa complexité et son peu de résultats prévisibles, elle ne peut pas satisfaire les salariés qui n'en profiteront pas systématiquement et durablement. Ce n'est pas ainsi que le pouvoir d'achat va véritablement augmenter. Alors, quel est le but recherché? Il est idéologique. La loi sur les heures sup, c'est l'anti-35 heures. Or, nous le savons, cette réduction du temps de travail a été la bête noire de la droite depuis son apparition, il y a 10 ans. Elle a été utilisée pour justifier faussement nos difficultés économiques. Mais la droite, curieusement, n'a pas voulu abroger ce qu'elle considérait pourtant comme la cause de tous nos malheurs. Etrange, non? C'est qu'elle savait que la situation ne s'en trouverait pas améliorée et, surtout, que les salariés protesteraient. Il a donc fallu, pour la droite de Sarkozy, s'en prendre aux 35 heures sans ... y toucher: c'est la raison d'être, simplement idéologique, de la loi sur les heures sup.

3- La suppression des régimes spéciaux de retraite: j'ai parlé à propos de cette mesure de "revanche sociale" dans un précédent billet. En effet, elle ne règle absolument pas le vrai problème, la réforme et le financement du régime général. Se focaliser sur des caisses qui concernent à peine 5% de personnes, c'est là encore dérisoire, d'une utilité contestable, d'une répercution très secondaire. Mais la victoire idéologique, pour Sarkozy, est très forte. Il satisfait une très ancienne et récurrente revendication de la droite. S'il avait été gaulliste au lieu de libéral populiste (car telle est son idéologie), il aurait pensé à la France, à son avenir, aux générations futures, au lieu de penser à son camp, à la droite, à son idéologie.

A propos des régimes spéciaux, je dois vous signaler un petit fait qui est surtout une grosse gaffe de Sarkozy, mais que personne ou presque n'a relevé (j'ai été informé par un courriel d'Arrêt sur images et j'ai lu l'information dans Le Canard Enchaîné). Vous vous souvenez que le président est allé rencontrer vendredi les cheminots, pour faire son malin, montrer qu'il en a, et on allait voir de ce qu'on allait voir... Chirac avait sa formule pour qualifier ce genre de comportement politique: plus c'est gros, mieux ça passe. Sauf que là, ça n'est pas passé, ça a même carrément déraillé (c'est le cas de le dire!).

Il y a eu les rodomontades habituelles, la fermeté de circonstances, les allures de faux dur qu'affectionne le président, et puis cette énormité: ce que je veux, c'est les 40 ans pour tous, mais à part ça, les gars, tranquillisez-vous, le montant de vos retraites ne va pas baisser (bref, je change tout mais je ne change rien!). Etonnement des cheminots à qui on ne la fait pas, qui eux vivent dans le concret et pas dans l'idéologie, et qui se mettent à citer très concrètement leur perte financière (facile à calculer) avec la réforme Sarkozy.

Et savez-vous ce que notre fanfaron a répondu? Ne vous inquiétez pas les gars, la réforme ne vous concernera pas, mais c'est pour les autres, ceux qui seront recrutés après vous (au passage, Sarkozy n'imagine pas un seul instant que la solidarité puisse exister, qu'on ne se bat pas seulement pour sa pomme mais aussi pour les copains à venir). Je vous cite littéralement les propos du chef de l'Etat (y compris son langage approximatif que BHL a si bien reproduit dans son dernier livre):

"Je prends un engagement devant vous. Je ne céderai pas sur les 37 années à 40 ans [sic]. En revanche, je m'engage, regardez-moi, je m'engage à ce que personne ne perde de sa retraite en cotisant plus. Les bonifications, les décotes, moi je pense que tout ceci ne peut s'appliquer que pour ceux qui ne sont pas déjà rentrés à la SNCF ..."

Stupeur des syndicalistes et des salariés: jamais on ne leur avait promis cela. Et pour cause: jamais cette mesure n'a été envisagée, elle ne figure pas dans le texte d'orientation proposé par le ministre du Travail. Coup de bluff ou grosse gaffe de Sarkozy, toujours est-il que l'engagement "les yeux dans les yeux" n'aura tenu que quelques heures. Et dire que Sarkozy se croit plus malin que tout le monde et surtout que ses pauvres ministres, le Premier en tête!


Bonne soirée.