Un monde de vieux.
Bonsoir à toutes et à tous.
Je vous parlais hier soir des questions que posait désormais une société dans laquelle les retraités tiendraient de plus en plus une place importante, comme jamais nulle société par le passé ne l'a connue. Et je tombe aujourd'hui, dans Charlie-Hebdo, sur un article signé Oncle Bernard qui apporte de l'eau à mon moulin. Il est dit que "l'inégalité (...) est beaucoup plus criante chez les retraités: les 10% les plus riches gagnent cinq fois plus que les 10% les plus pauvres. Explication: les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus fortes que les inégalités de salaire". C'est arrivé en fin de vie que les écarts se creusent, que la vérité de l'injustice des conditions se révèle.
Je vous parlais hier des petites retraites: "650000 personnes touchent le minimum vieillesse, inférieur au seuil de pauvreté". Ce minimum, c'est 621 euros par mois et par personne. On en parle peu, parce qu'on pense, à juste titre, que la situation des personnes âgées s'est considérablement améliorée à partir des années 70. Rappelez-vous de la chanson de Pierre Perret, dans les années 60:
"On l'appelle cuisse de mouche, fleur de banlieue,
Sa taille est plus mince que la retraite des vieux".
Les chansons traduisent souvent des réalités sociales. Aujourd'hui, comme il y a des "travailleurs pauvres", il y a des vieux pauvres. Comment en est-on arrivé là, alors qu'un progrès continue semblait, dans les années 70 et 80, promettre une retraite heureuse à tous les vieux? Réponse d'Oncle Bernard:
"Le poids des retraites dans le PIB ne bouge pratiquement plus depuis quinze ans (...) La faute à Balladur (...) Depuis 1993, les pensions sont calculées sur les 25 meilleures années de salaire et non plus sur les 10 meilleures années (les pensions des fonctionnaires sont toujours indexées sur les 6 derniers mois). De plus, le revenu des vieux est indexé, non sur la hausse générale des salaires, mais sur l'indice des prix. Du coup, les gains de productivité, qui permettent la hausse du salaire réel des actifs, ne profitent plus du tout aux retraités".
A quoi va s'ajouter l'arrivée des franchises médicales, qui va encore amputer le pouvoir d'achat des retraités. A partir de ces considérations économiques et financières, il me vient des remarques plus générales de ce que sera ce monde de vieux dans lequel nous allons tous entrer, si la vie nous le permet, un monde qu'il faudra aménager et qui pose quelques défis à la gauche:
1- Nous étions habitués à défendre l'homme inscrit dans le processus de production, le travailleur, dont nous dénonçions l'exploitation ou, quand il perdait son emploi ou ne l'obtenait pas, l'exclusion. Il va falloir maintenant envisager l'homme, le retraité, hors du système de production, non véritablement exploité mais exclu parmi les exclus.
2- La cause des vieux (comme on a pu parler en 1968 de la "cause des jeunes" et, bien avant, de la "cause des peuples") n'est portée par aucune idéologie, aucun parti, aucune organisation spécifiques. Ils ne forment pas une classe au sens marxiste, et pourtant ils constituent un monde à part, et de plus en plus. Comment assurer désormais leur représentation, autrement que par un "conseil des sages" dans une municipalité?
3- Les vieux sont certes des consommateurs, qui à ce titre intéressent notre société de consommation. Mais ce ne sont pas des consommateurs comme les autres. On ne retient que ceux qui partent en voyage ou offrent des cadeaux à leurs petits enfants. Mais c'est surtout dans le maintien de leur santé, l'entretien de leur corps que va une grande partie de leur consommation. Avec des coûts énormes, une organisation sociale et sanitaire particulière.
4- Cette société de consommation, pour tirer un maximum de bénéfices, cultive à travers ses produits, sa publicité, son idéologie, la beauté, le plaisir, la santé, la jeunesse et l'avenir. Devant des vieux de plus en plus nombreux, devant la laideur, la souffrance, la maladie et la mort, c'est-à-dire le contraire de ce qu'elle prône et de ce qui la fait vivre, comment ne peut-elle pas réagir autrement que de façon négative? Elle ne va pas procéder comme autrefois par l'exploitation ou par l'exclusion, mais plutôt par le refoulement et la négation. Et cette opération commence avec le langage: les vieux n'existent plus, les vieillards n'en parlons même pas, la vieillesse c'est que dans la tête, il n'y a plus qu'un vague "troisième âge" ou de fringuants "seniors".
Quand François Mitterrand se demandait, dans "Ma part de vérité", comment définir le socialisme, il passait en revue plusieurs termes entre lesquels il hésitait, la justice, l'égalité, la science, le progrès, la solidarité, la liberté, pour finalement retenir la vérité. Eh bien, les socialistes d'aujourd'hui doivent dire la vérité sur les personnes âgées, comme les socialistes d'hier ont dit la vérité sur les immigrés et les socialistes d'avant hier la vérité sur les prolétaires. C'est aussi Trotsky ou Lénine, je ne sais plus, qui ne sont pourtant pas mes maîtres à penser, qui disait: "Seule la vérité est révolutionnaire". En tout cas, la vérité est porteuse de justice.
Bonne nuit.
Je vous parlais hier soir des questions que posait désormais une société dans laquelle les retraités tiendraient de plus en plus une place importante, comme jamais nulle société par le passé ne l'a connue. Et je tombe aujourd'hui, dans Charlie-Hebdo, sur un article signé Oncle Bernard qui apporte de l'eau à mon moulin. Il est dit que "l'inégalité (...) est beaucoup plus criante chez les retraités: les 10% les plus riches gagnent cinq fois plus que les 10% les plus pauvres. Explication: les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus fortes que les inégalités de salaire". C'est arrivé en fin de vie que les écarts se creusent, que la vérité de l'injustice des conditions se révèle.
Je vous parlais hier des petites retraites: "650000 personnes touchent le minimum vieillesse, inférieur au seuil de pauvreté". Ce minimum, c'est 621 euros par mois et par personne. On en parle peu, parce qu'on pense, à juste titre, que la situation des personnes âgées s'est considérablement améliorée à partir des années 70. Rappelez-vous de la chanson de Pierre Perret, dans les années 60:
"On l'appelle cuisse de mouche, fleur de banlieue,
Sa taille est plus mince que la retraite des vieux".
Les chansons traduisent souvent des réalités sociales. Aujourd'hui, comme il y a des "travailleurs pauvres", il y a des vieux pauvres. Comment en est-on arrivé là, alors qu'un progrès continue semblait, dans les années 70 et 80, promettre une retraite heureuse à tous les vieux? Réponse d'Oncle Bernard:
"Le poids des retraites dans le PIB ne bouge pratiquement plus depuis quinze ans (...) La faute à Balladur (...) Depuis 1993, les pensions sont calculées sur les 25 meilleures années de salaire et non plus sur les 10 meilleures années (les pensions des fonctionnaires sont toujours indexées sur les 6 derniers mois). De plus, le revenu des vieux est indexé, non sur la hausse générale des salaires, mais sur l'indice des prix. Du coup, les gains de productivité, qui permettent la hausse du salaire réel des actifs, ne profitent plus du tout aux retraités".
A quoi va s'ajouter l'arrivée des franchises médicales, qui va encore amputer le pouvoir d'achat des retraités. A partir de ces considérations économiques et financières, il me vient des remarques plus générales de ce que sera ce monde de vieux dans lequel nous allons tous entrer, si la vie nous le permet, un monde qu'il faudra aménager et qui pose quelques défis à la gauche:
1- Nous étions habitués à défendre l'homme inscrit dans le processus de production, le travailleur, dont nous dénonçions l'exploitation ou, quand il perdait son emploi ou ne l'obtenait pas, l'exclusion. Il va falloir maintenant envisager l'homme, le retraité, hors du système de production, non véritablement exploité mais exclu parmi les exclus.
2- La cause des vieux (comme on a pu parler en 1968 de la "cause des jeunes" et, bien avant, de la "cause des peuples") n'est portée par aucune idéologie, aucun parti, aucune organisation spécifiques. Ils ne forment pas une classe au sens marxiste, et pourtant ils constituent un monde à part, et de plus en plus. Comment assurer désormais leur représentation, autrement que par un "conseil des sages" dans une municipalité?
3- Les vieux sont certes des consommateurs, qui à ce titre intéressent notre société de consommation. Mais ce ne sont pas des consommateurs comme les autres. On ne retient que ceux qui partent en voyage ou offrent des cadeaux à leurs petits enfants. Mais c'est surtout dans le maintien de leur santé, l'entretien de leur corps que va une grande partie de leur consommation. Avec des coûts énormes, une organisation sociale et sanitaire particulière.
4- Cette société de consommation, pour tirer un maximum de bénéfices, cultive à travers ses produits, sa publicité, son idéologie, la beauté, le plaisir, la santé, la jeunesse et l'avenir. Devant des vieux de plus en plus nombreux, devant la laideur, la souffrance, la maladie et la mort, c'est-à-dire le contraire de ce qu'elle prône et de ce qui la fait vivre, comment ne peut-elle pas réagir autrement que de façon négative? Elle ne va pas procéder comme autrefois par l'exploitation ou par l'exclusion, mais plutôt par le refoulement et la négation. Et cette opération commence avec le langage: les vieux n'existent plus, les vieillards n'en parlons même pas, la vieillesse c'est que dans la tête, il n'y a plus qu'un vague "troisième âge" ou de fringuants "seniors".
Quand François Mitterrand se demandait, dans "Ma part de vérité", comment définir le socialisme, il passait en revue plusieurs termes entre lesquels il hésitait, la justice, l'égalité, la science, le progrès, la solidarité, la liberté, pour finalement retenir la vérité. Eh bien, les socialistes d'aujourd'hui doivent dire la vérité sur les personnes âgées, comme les socialistes d'hier ont dit la vérité sur les immigrés et les socialistes d'avant hier la vérité sur les prolétaires. C'est aussi Trotsky ou Lénine, je ne sais plus, qui ne sont pourtant pas mes maîtres à penser, qui disait: "Seule la vérité est révolutionnaire". En tout cas, la vérité est porteuse de justice.
Bonne nuit.
2 Comments:
Je n'aime pas le terme de vieux, car il s'accorde trop facilement avec usé. Ce terme porte en lui une dépréciation. L'avantage d'avoir un peu vécu, c'est que l'on court moins le risque d'errer, et donc de proposer non pas la voie de la sagesse, mais une part de vérité due au travail de réflexion mené au cours d'une vie.
Si l'un des deux Trotsky ou Lénine disait: "Seule la vérité est révolutionnaire", c'est que l'autre le fourbe mentait. En réalité, tout révolutionnaire tente de faire croire qu'il représente la vérité, pour mieux parvenir à ses fins. On juge un arbre à ses fruits, et le coup de piolet dans la tête de Trotsky en guise de remerciement pour se dernier d'avoir conduit la guerre et son cortège de morts pour les lendemains qui chantent les condamnent tout les deux.
Pour en revenir à nos seniors, on ne produit pas assez collectivement de richesse, et une part trop importante finit dans les fonds de pension américains pour rembourser les intérêts de la dette. DSK disait que la dette est l'ennemie, et donc que la seule façon de s'enrichir est de la payer. Pour se faire il faut de nouvelles entreprises basées sur l'innovation qui fassent de la croissance et créent de nouveaux emplois bien payés. Tout le reste n'est que littérature.
Avec l'âge, on re-devient fragile...
By jpbb, at 12:10 PM
Troisième âge, personnes âgées, vieux, seniors... Et si on disait: les anciens. Mais moi, quand je serai vieux, je serai assez fier qu'on m'appelle "le vieux". Il y a aussi du respect dans ce mot. C'est beau d'être vieux, non? Ce qui n'est pas beau, c'est de renier la vieillesse. Et c'est ce que fait trop souvent notre société.
By Emmanuel Mousset, at 6:41 PM
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