Privé de vie privée.
Bonjour à toutes et à tous.
Dimanche dernier, je vous parlais de la fin du monde. Ce dimanche, je vais vous parler de la fin de la ... vie privée. L'idée m'était totalement étrangère, j'ai même soutenu, sur ce blog, cet été, que la vie privée, l'intimité, l'individualisme formaient les grandes tendances de notre société, contre l'esprit collectif, l'engagement public, la dimension sociale. Jusqu'à ce que j'entende à la radio,, il y a quelque jours, l'un des penseurs les plus originaux de notre temps, Paul Virilio, affirmer exactement le contraire! La société moderne, l'époque actuelle voient la disparition progressive de la vie privée. Je n'ai pas lu le dernier ouvrage de Virilio ("L'université du désastre"), mais j'ai réfléchi à ce qu'il avance, et je vous propose cinq réflexions:
1- Le développement de la vidéo-surveillance: les caméras s'installent partout, dans les rues, les magasins, les administrations, sur les routes. Notre besoin de sécurité a favorisé cette présence de l'oeil qui veille et surveille désormais un peu partout. Avec le portable qui permet de savoir où vous êtes ("t'es où?", c'est la question fondamentale que nous pose souvent l'individu qui appelle), avec le réseau des satellites, il est devenu impossible de se cacher quelque part (sauf pour Ben Laden!). L'idéal de "traçabilité" ne s'applique pas qu'à la nourriture ou aux objets mais aux humains: la société nous suit à la trace. Ne souriez pas, vous êtes tout le temps filmés! L'obsession du "dépistage" est celle aussi du pistage et du flicage. Big Brother n'est pas loin. Le principe d'une vie privée, c'est de pouvoir aller quelque part sans qu'on vous suive, sans qu'on sache où vous êtes.
2- Le spectacle de la télé-réalité: c'est la fin volontaire, assumée, recherchée de la vie privée, qu'on offre en pâture à des millions de personnes, une vie qui cesse d'être privée, qui est faussement privée. Le repas, le sommeil, même parfois la sexualité, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus privé dans une existence, deviennent publics (l'expansion de la pornographie est aussi à ranger dans ce phénomène d'abolition de la vie privée). Je ne vois plus qu'un seul espace qui demeure privé: les toilettes. Faire ses besoins résiste au roulement compresseur qui détruit la sphère privée. Mais pour combien de temps? Le corps n'est pas la seule victime. Les émissions psychologisantes où l'on vous invite à mettre à nu vos pensées et vos sentiments sont nombreuses et populaires. Se taire, ne pas parler de soi, garder un jardin secret sont devenus un luxe, une rareté, presque une bizarrerie.
3- La "peopolisation" de la vie politique: elle ne date pas d'hier mais elle progresse fortement. J'ai déjà eu l'occasion de le dire: notre société moderne en revient étrangement aux pratiques de l'Ancien Régime, mais étendues à tous. Le citoyen veut tout savoir de la vie des hommes de pouvoir, réduisant ainsi leur espace privé, tout comme les courtisans du roi voulaient connaître le nom de ses maîtresses. La République originelle au contraire séparait rigoureusement vie publique et vie privée, une franche limite qui permettait à l'une et à l'autre d'exister. Aujourd'hui, la frontière est largement tombée, Nicolas Sarkozy se montre en vacances et faisant son jooging. La vie privée est sacrifiée puisqu'elle cesse d'être elle-même lorsqu'elle est mise en pleine lumière, sous les feux et les yeux du public.
4- La puissance des biotechnologies: c'est la dimension scientifique de la fin de la vie privée, après sa dimension technique (mon premier point), sa dimension ludique (mon deuxième point), sa dimension politique (mon troisième point). Les progrès conjoints de la médecine, de la technologie et de la génétique ont rendu possible ce qu'il est permis d'appeler un viol de la vie privée, et qui aboutit à son extinction. Prenez l'affaire des tests ADN en recherche de paternité pour les candidats à l'immigration, c'est tout à fait ça (et validés par le Conseil constitutionnel!). Prenez aussi l'affaire de la prétendue fille cachée d'Yves Montand: on déterre aujourd'hui les morts pour leur arracher un soi-disant secret. Même la tombe, même la mort, l'intimité par excellence, notre néant, ne nous protègent plus des nouveaux inquisiteurs. Ajoutez à ça le rôle grandissant des compagnies d'assurances, auxquelles il est devenu difficile de cacher quoi que ce soit, si l'on veut qu'elles nous protègent. Voilà le pacte que passe chaque individu avec la société moderne: je vous dis tout mais protégez moi.
5- La multiplication des blogs: vous en avez un exemple sous les yeux, en lisant ce que j'écris chaque jour depuis plus d'un an. C'est une sorte de journal intime, je vous raconte ce que je fais et ce que je pense, en toute sincérité, à mes risques et périls, vous connaissez tout de mes états d'âme politiques. Si vous souhaitez me nuire, profitez en, ne vous gênez pas, il y a de quoi faire, entre mes incertitudes, mes interrogations, mes réactions sans doute injustes, mes sentiments trop spontanées, mes prévisions parfois risquées, mes réflexions inévitablement incomplètes, mes anecdotes personnelles, etc. J'aime bien qu'on m'attaque, ça me donne le plaisir de riposter, et parfois, je suis gâté. Mais cette forme d'exhibitionnisme a ses limites: tout dire est impossible, le strip tease est concevable sur un blog purement personnel, pas sur un blog politique. Ceux qui savent me lire comprennent que je ne dis pas tout (ce que me faisait remarquer hier Thierry à Guise). Sinon, ce ne serait plus un blog mais une bombe atomique qui pulvériserait tout sous l'onde de choc! Mais je ne m'interdis pas d'envoyer quelques missiles très ciblés sur celles et ceux qui le méritent et qui l'ont bien cherché ...
Bon dimanche, en famille, chez vous, dans ce qu'il vous reste de vie privée.
Dimanche dernier, je vous parlais de la fin du monde. Ce dimanche, je vais vous parler de la fin de la ... vie privée. L'idée m'était totalement étrangère, j'ai même soutenu, sur ce blog, cet été, que la vie privée, l'intimité, l'individualisme formaient les grandes tendances de notre société, contre l'esprit collectif, l'engagement public, la dimension sociale. Jusqu'à ce que j'entende à la radio,, il y a quelque jours, l'un des penseurs les plus originaux de notre temps, Paul Virilio, affirmer exactement le contraire! La société moderne, l'époque actuelle voient la disparition progressive de la vie privée. Je n'ai pas lu le dernier ouvrage de Virilio ("L'université du désastre"), mais j'ai réfléchi à ce qu'il avance, et je vous propose cinq réflexions:
1- Le développement de la vidéo-surveillance: les caméras s'installent partout, dans les rues, les magasins, les administrations, sur les routes. Notre besoin de sécurité a favorisé cette présence de l'oeil qui veille et surveille désormais un peu partout. Avec le portable qui permet de savoir où vous êtes ("t'es où?", c'est la question fondamentale que nous pose souvent l'individu qui appelle), avec le réseau des satellites, il est devenu impossible de se cacher quelque part (sauf pour Ben Laden!). L'idéal de "traçabilité" ne s'applique pas qu'à la nourriture ou aux objets mais aux humains: la société nous suit à la trace. Ne souriez pas, vous êtes tout le temps filmés! L'obsession du "dépistage" est celle aussi du pistage et du flicage. Big Brother n'est pas loin. Le principe d'une vie privée, c'est de pouvoir aller quelque part sans qu'on vous suive, sans qu'on sache où vous êtes.
2- Le spectacle de la télé-réalité: c'est la fin volontaire, assumée, recherchée de la vie privée, qu'on offre en pâture à des millions de personnes, une vie qui cesse d'être privée, qui est faussement privée. Le repas, le sommeil, même parfois la sexualité, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus privé dans une existence, deviennent publics (l'expansion de la pornographie est aussi à ranger dans ce phénomène d'abolition de la vie privée). Je ne vois plus qu'un seul espace qui demeure privé: les toilettes. Faire ses besoins résiste au roulement compresseur qui détruit la sphère privée. Mais pour combien de temps? Le corps n'est pas la seule victime. Les émissions psychologisantes où l'on vous invite à mettre à nu vos pensées et vos sentiments sont nombreuses et populaires. Se taire, ne pas parler de soi, garder un jardin secret sont devenus un luxe, une rareté, presque une bizarrerie.
3- La "peopolisation" de la vie politique: elle ne date pas d'hier mais elle progresse fortement. J'ai déjà eu l'occasion de le dire: notre société moderne en revient étrangement aux pratiques de l'Ancien Régime, mais étendues à tous. Le citoyen veut tout savoir de la vie des hommes de pouvoir, réduisant ainsi leur espace privé, tout comme les courtisans du roi voulaient connaître le nom de ses maîtresses. La République originelle au contraire séparait rigoureusement vie publique et vie privée, une franche limite qui permettait à l'une et à l'autre d'exister. Aujourd'hui, la frontière est largement tombée, Nicolas Sarkozy se montre en vacances et faisant son jooging. La vie privée est sacrifiée puisqu'elle cesse d'être elle-même lorsqu'elle est mise en pleine lumière, sous les feux et les yeux du public.
4- La puissance des biotechnologies: c'est la dimension scientifique de la fin de la vie privée, après sa dimension technique (mon premier point), sa dimension ludique (mon deuxième point), sa dimension politique (mon troisième point). Les progrès conjoints de la médecine, de la technologie et de la génétique ont rendu possible ce qu'il est permis d'appeler un viol de la vie privée, et qui aboutit à son extinction. Prenez l'affaire des tests ADN en recherche de paternité pour les candidats à l'immigration, c'est tout à fait ça (et validés par le Conseil constitutionnel!). Prenez aussi l'affaire de la prétendue fille cachée d'Yves Montand: on déterre aujourd'hui les morts pour leur arracher un soi-disant secret. Même la tombe, même la mort, l'intimité par excellence, notre néant, ne nous protègent plus des nouveaux inquisiteurs. Ajoutez à ça le rôle grandissant des compagnies d'assurances, auxquelles il est devenu difficile de cacher quoi que ce soit, si l'on veut qu'elles nous protègent. Voilà le pacte que passe chaque individu avec la société moderne: je vous dis tout mais protégez moi.
5- La multiplication des blogs: vous en avez un exemple sous les yeux, en lisant ce que j'écris chaque jour depuis plus d'un an. C'est une sorte de journal intime, je vous raconte ce que je fais et ce que je pense, en toute sincérité, à mes risques et périls, vous connaissez tout de mes états d'âme politiques. Si vous souhaitez me nuire, profitez en, ne vous gênez pas, il y a de quoi faire, entre mes incertitudes, mes interrogations, mes réactions sans doute injustes, mes sentiments trop spontanées, mes prévisions parfois risquées, mes réflexions inévitablement incomplètes, mes anecdotes personnelles, etc. J'aime bien qu'on m'attaque, ça me donne le plaisir de riposter, et parfois, je suis gâté. Mais cette forme d'exhibitionnisme a ses limites: tout dire est impossible, le strip tease est concevable sur un blog purement personnel, pas sur un blog politique. Ceux qui savent me lire comprennent que je ne dis pas tout (ce que me faisait remarquer hier Thierry à Guise). Sinon, ce ne serait plus un blog mais une bombe atomique qui pulvériserait tout sous l'onde de choc! Mais je ne m'interdis pas d'envoyer quelques missiles très ciblés sur celles et ceux qui le méritent et qui l'ont bien cherché ...
Bon dimanche, en famille, chez vous, dans ce qu'il vous reste de vie privée.
6 Comments:
Tout à fait, faut savoir se défendre dans la vie. ;-)
By jpbb, at 1:56 PM
C'est toi, grâce à ce blog, qui m'a donné envie de lire "les traîtres et les crétins" de Philippe Val.
Tu as peut-être oublié qu'il y valorise la vie privée, comme "le lieu où s'expérimente la liberté individuelle". La vie privé, c'est bien "de gauche" !
Puis Val rappelle une des déclarations de Sarkozy : "Le domaine de la vie privée n'a pas de sens. C'est le domaine de la vie tout court".
Puis Val assène le coup de grâce : "Dans une démocratie, le pouvoir doit être transparent et la vie privée, opaque. L'inversion des qualificatifs, ça s'appelle la dictature".
By Thierry D., at 2:23 PM
J'avais en effet oublié. Et cette référence à Val renforce ma démonstration: la société actuelle érode, menace la vie privée, qu'il nous faut donc défendre en tant que socialistes. C'est un peu nouveau à gauche, où l'on défendait plutôt la dimension publique de l'existence, à trtavers l'engagement politique, au détriment de la vie privée (quoique le slogan "changer la vie", dans les années 70, désignait aussi et surtout la vie privée). Maintenant, il nous faut voir les choses autrement, prendre la vie privée par son côté progressiste.
Citation pour citation, en voilà une autre, sur le même sujet, de BHL dans son dernier ouvrage, à propos de son "ami" Sarkozy:
"Tout dire; ne rien garder; un sujet qui laisserait tout sortir, réellement tout, ce qui lui transite par le cerveau (...) le seul être que je connaisse qui soit, à ce point, dénué de for intérieur." (Ce grand cadavre à la renverse, page 16).
Voilà Sarkozy: une psychologie transparente, sans refoulement, qui cause comme il pense, qui ne retient rien, n'hésite jamais, sans distance vis à vis de lui même, une personnalité quasi infantile, qui réagit au quart de tour, ose tout.
By Emmanuel Mousset, at 3:14 PM
Un dernier mot, concernant tes "missiles ciblés".
Je me dis, avec une puérilité assumée, que s'il y a des gens que tes écrits gênent, alors qu'ils renoncent à faire des choses gênantes !
Ceux qui réclament le strict "devoir de réserve" des bloggers, n'ont peut-être pas "les cuisses propres"...
By Thierry D., at 6:26 PM
Le "devoir de réserve" est une notion qui n'a de sens que dans certaines activités professionnelles. Pour le reste, ceux qui veulent limiter la liberté d'expression sur le net sont ceux qui ont peur de la liberté ou qui ont des choses à se reprocher. Même au PS, il existe encore des petits staliniens en culotte courte ou des apparatchiks qui fuient le débat et rêvent de s'imposer (et donc de faire taire les autres) par des mesures de rétorsion administratives.
By Emmanuel Mousset, at 8:40 PM
effectivement la vie privée devient de moins en moins privée.
entre télé realité , surveillance , camera, web cam et compagnie ...
Sacré blog monsieur mousset!
Ravie de voir que vous etes toujours (si ce n'est plus) investis dans la vie st quentinoise et dans la vie quotidienne.
Au soir des éléctions je pense bien a vous !
Malheureusement une fois de plus c'est la droite qui l'emporte!
On f'ra mieux la prochaine fois!!
A bientot.
Justine (une ancienne élève)
By Anonyme, at 8:43 PM
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