L'Aisne avec DSK

19 décembre 2007

Un homme est mort.

Bonjour à toutes et à tous.

Je vais vous parler de quelqu'un que vous ne connaissez pas, ou alors, vous êtes très fort en politique. Il s'appelait Serge Vinçon. Il s'appelait, parce qu'il est mort dimanche matin, à l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris. C'est mon frère Olivier qui m'a annoncé la nouvelle. Qui était Serge Vinçon? Un vice-président, UMP, du Sénat, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. Pourquoi vous parler de lui? Parce que je l'ai connu quand j'avais vingt ans et qu'après j'ai suivi, de Paris puis de la Picardie, son itinéraire politique. Je veux vous en parler parce qu'un homme qui meurt et qu'on a connu, ça fait toujours quelque chose, même quand on n'est pas de son bord politique. Je veux aussi vous en parler parce sa vie m'invite à réfléchir sur ce qu'est une destinée politique.

Serge Vinçon est né comme moi dans un milieu ouvrier, comme moi dans ce Berry un peu ingrat, un peu à l'écart du reste de la France, dans ce centre géographique mais délaissé de notre pays. Il a été, au début des années 70, prof de collège, à une époque où l'on construisait beaucoup de collèges et où on ne trouvait pas assez d'enseignants pour y aller. Vinçon aurait pu être de gauche. Ma grand-mère le voyait vendre du pain dans la boulangerie du quartier. Il animait aussi des colos. Mais au moment où j'étais fasciné par la figure de Mitterrand, lui était fasciné par celle de de Gaulle. Un fils d'ouvrier, prof de collège, qui adhère à l'UDR? L'occasion était trop belle pour les ténors départementaux du parti gaulliste, qui très vite ont fait "monter" le jeune Vinçon à Paris. Voilà comment se forge un destin politique: par les circonstances.

Mais aussi par une rencontre. Il n'y a pas de réussite en politique si quelqu'un de puissant ne vous met pas le pied à l'étrier. Serge Vinçon a rencontré le maire de Saint-Amand Montrond, notre ville (natale pour moi, lui est né à Bourges). Son nom: Maurice Papon, à l'époque ministre du Budget. Ce Papon était bien vu, un monsieur qui vient de Paris et qui est ministre, ça plaît aux berrichons. Un cousin à moi, venu de Paris lui aussi, nous racontait de drôles d'histoires sur le Papon, des matraquages meurtriers au métro Charonne au début des années 60. Mais nous étions dans les années 70, et à Saint-Amand Montrond, où l'on se méfie de ce que racontent les parigots. Vinçon a été promu par Papon, qui a repéré le jeune et dynamique militant, qui tranchait sur les notables et les cadres bourgeois de l'UDR. Sans Papon, que serait devenu Vinçon? Peut-être rien ...

Et puis, il y a eu, à la fin des années 70, les révélations sur le passé collaborationniste de Papon, que Vinçon n'a jamais désavoué. Pourtant, pour un fervent gaulliste, ça la fichait un peu mal. Mais réussir en politique, n'est-ce pas transiger avec ses convictions? En 1981, Serge Vinçon, simple conseiller municipal, devient le leader du RPR en se présentant aux législatives, avec comme suppléant ... Maurice Papon. Fidèle jusqu'au bout. Il ne cessera pas d'être le chef de la droite locale jusqu'à son dernier souffle, jusqu'à dimanche dernier. Vinçon, je l'ai croisé quelquefois, j'ai un peu discuté avec lui, mais jamais plus loin. Pour moi, c'était l'adversaire politique. Et pourtant, je n'ai jamais pu m'empêcher d'avoir une petite admiration pour lui. J'ai toujours un faible pour ceux qui réussissent ce qu'ils entreprennent, surtout lorsque l'entreprise est difficile. Vinçon a été balayé par la "vague rose", mais en 1983, il devient maire de Saint-Amand, amorçant une ascension sans interruption, se faisant réélire sans difficulté, devenant conseiller général, puis président du conseil général du Cher, puis sénateur, puis vice-président du Sénat, puis président de la commission des affaires étrangères et de la défense, dernière fonction qui le conduit à travers le monde.

Hormis l'origine sociale et géographique, l'ambition assumée, portée le plus loin possible, et réussie, ce qui me rapprochait de Vinçon, c'est une espèce de solidarité entre militants, même de camps différents. Car Vinçon était avant tout un militant politique, toujours présent, toujours actif. Rien ne pouvait l'arrêter ... sauf la mort, dimanche au Val-de-Grâce. Même la maladie cérébrale, l'an dernier, ne l'avait pas vraiment freiné, il préparait sa liste pour les municipales. J'ai eu un jour cette phrase idiote mais pleine de sens: en politique, on se croit éternel. Je suis persuadé que Serge Vinçon a fait de la politique jusqu'à dimanche dernier, du moins dans sa tête. C'est ce qui me fascine en politique: cette certitude qu'on ira jusqu'à bout, que rien ne peut vous stopper, cette force qui ne vient pas du génie (Vinçon écrivait des poèmes pas très bons) mais de la pure volonté. Un vrai politique, personne ne peut le faire renoncer.

Je me souviens d'une réunion politique de la gauche à l'époque où Solidarnosc s'agitait en Pologne. Il était venu, avait pris la parole, n'avait peur de rien. Voilà aussi ce qui me fascine: le vrai politique ne craint personne. La dernière fois que je l'ai aperçu, c'était en 2000, il avait réussi à faire de Saint-Amand, 11000 habitants, une ville-étape du Tour de France. Dans cette ville, il ne s'est pas contenté de réparer des trottoirs ou d'inaugurer des foires aux bestiaux, il a voulu marquer son temps, en faisant bâtir la Cité de l'Or, pyramide dédiée à la bijouterie, l'un des pôles économiques de Saint-Amand. On s'est bien sûr moqué de lui, les ambitieux faisant toujours rager ceux qui sont incapable d'ambitions. Il n'empêche que Vinçon, à sa façon, a su développer la ville.

Il voulait être secrétaire d'Etat, peut-être ministre. C'était possible, il n'avait que 58 ans. Il s'attendait à tout, sauf à ça, mourir si tôt, alors que son adversaire socialiste aux municipales a ... 71 ans. La mort, je vous en ai déjà parlé sur ce blog. Il est sage de penser à elle, elle remet chaque chose à sa place. Lundi, le chef de l'Etat en personne a rendu hommage à Serge Vinçon, et les saint-amandois, longtemps, parleront de "Serge", le fils d'ouvrier devenu vice-président du Sénat, gérant leur ville et accomplissant des missions à travers le monde. Une vie est-elle faite pour ça, pour épouser ce genre de destinée que la mort vient brutalement interrompre? Je ne sais pas trop, mais je crois quand même que oui. Une belle vie, une drôle de mort, quelque chose de grand et de dérisoire, quelque chose de bien.

Je vous ai trop parlé de quelqu'un que vous ne connaissiez pas, que j'aurai sans doute vite oublié, mais qui, le temps d'un billet, m'a permis de réfléchir au destin, au sens d'une vie politique et à la mort. Ce n'est pas rien, ce n'est pas inutile. Un homme est mort, je voulais vous en dire quelques mots, c'est tout.


Bon après-midi.

8 Comments:

  • C'est un beau billet. Quel que soit ses convictions politiques, on est d'abord des humains.

    By Blogger jpb, at 3:52 PM  

  • oui bien ce billet je suis se st amand aujourd hui triste jounée pour nous

    By Anonymous Anonyme, at 8:08 AM  

  • connais bien serge vinçon c'est vrai que son ambitions c'etait la politique ! c'etait un homme trés attentionné a sa ville voila aujourd 'hui
    beaucoup de personnes sont tristes (snif)

    By Anonymous Anonyme, at 8:13 AM  

  • Salut à mes compatriotes berrichons et saint-amandois!

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:34 AM  

  • Cher camarade.tes très belles phrases sur la mort et la profondeur des convictions politiques me touchent beaucoup car j'ai un profond respect pour l'engagement,même s'il ne va pas dans le sens du mien. Je n'aime pas les tièdes, ceux qui attendent de voir de quel côté le vent va tourner. Je péfère un adversaire déterminé et convaincu à un partisan sans enthousiasme. C'est pourquoi, même si j'ai combattu depuis 19 ans la politique défendue par Serge Vinçon, même si je pense que son passage à la tête de cette ville n'a pu, en dépit d'une évidente bonne volonté de bien faire, enrayer le déclin économique et social, j'ai toujours eu un certain respect pour l'homme de conviction qu'il était.
    J'aurai 71 ans en mars 2008 . Comme chantait un certain Brassens " Moi seul connut le déshonneur de ne pas ête mort au champ d'honneur" . Si le nouveau champ d'honneur est celui du combat politique, et bien oui, la politique ne m'a pas encore tué, et je repars au combat.Si d'autres, dans ma sensibilité politique, avaient accepté d'y aller, je leur aurais volontiers cédé la place. "Pour un héritage sans testament", (René Char)il n'y avait pas la foule chez le notaire .
    Grâce aux encouragements de la veine de ceux que tu viens de nous envoyer, la tâche nous sera certainement rendue plus facile dans l'ambiance de chasse aux sorcières que connaît actuellement notre ville .
    Je t'adresse, mon cher camarade, l'assurance de mes sentiments socialistes .
    Le candidat de 71 ans , Jean-Pierre Charbonnier.

    By Anonymous Anonyme, at 10:27 AM  

  • bel hommage à notre sénateru maire au delà des différences politiques c'était un homme de terrain, un homme au carisme extraordinaire qui connaissait sa ville et ses habitants il va nous manquer
    le carisme, l'amour de son prochain c'est une belle expérience de la vie.
    jmm

    By Anonymous Anonyme, at 11:55 AM  

  • J'ai beaucoup de mal à imaginer la ville de St Amand sans Serge Vinçon...
    Il nous manque déjà !
    Personne ne pourra faire autant qu'il a fait pour sa ville avec un tel dévouement.
    C'est un homme irremplaçable.
    Françoise

    By Anonymous Anonyme, at 1:58 PM  

  • Cher camarade,

    Je viens de découvrir seulement aujourd'hui (mardi 8 janvier!)ton commentaire. Je ne pensais pas que mon blog était lu dans mon Berry natal! Bon courage à tous les socialistes saint-amandois, et puisque la période y invite, tous mes voeux de succès pour mars prochain.

    Amitiés socialistes

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:12 PM  

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