In memoriam Pierre Lambert.

Bonsoir à toutes et à tous.

Coïncidence: au moment où je dénonce l'influence des lambertistes sur les socialistes saint-quentinois, j'apprends la mort de Pierre Lambert. Anecdote: un copain à moi est né le 7 juin, moi le 8 et Lambert le 9, ce qui nous amusait beaucoup. A part ça, un grand de l'extrême gauche française vient de nous quitter, et je veux vous en parler. L'homme fascinait, à l'intérieur comme à l'extérieur de son organisation. Parfois, il faisait un peu peur. Mais quand je l'ai vu pour la première fois, candidat aux présidentielles en 1988, je n'en revenais pas: quoi, le terrible, le mystérieux, le charismatique Pierre Lambert, ce petit homme très ordinaire qui a recueilli 0,3% des voix!

Mais chez Lambert, ce n'est pas l'homme qui est intéressant, c'est le lambertisme, cette version étrange, très particulière, du trotskysme. J'en retiens plusieurs aspects, avec lesquels bien sûr je suis en désaccord fondamental:

1- L'hostilité à l'Europe, qui conduit presque les lambertistes à exonérer le capitalisme national de toute responsabilité. Le grand fauteur de crise, ce seraient les institutions européennes.

2- Au plan national, la lutte contre l'intercommunalité et la défense des petites communes, qui m'a toujours semblé étrange pour un parti se voulant révolutionnaire, duquel on s'attend à des mots d'ordre un peu plus radicaux et ambitieux.

3- Le rapprochement avec des organisations là encore très éloignées de la tradition révolutionnaire pure et dure telle qu'était censé l'incarner Lambert: FO, la franc-maçonnerie, etc., sans parler de l'entrisme au PS, dont le camarade Jospin était la figure la plus célèbre!

4- Une défense louable des acquis sociaux, dont l'intransigeance tournait à une sorte de corporatisme professionnel et de conservatisme social. Les enseignants lambertistes pourraient même passer, en matière de pédagogie, pour des réactionnaires, hostiles à l'apport libertaire de Mai 68.

Finalement, ce qui est étrange dans le lambertisme, c'est que ce courant incontestablement révolutionnaire ne ressemble pas à un courant révolutionnaire. Pour saluer la mémoire de Lambert, que puis-je garder qui me conduirait à m'incliner?

- D'abord la rigueur doctrinale du lambertisme: je rêve d'une social-démocratie qui se hisserait à la hauteur de cette exigence, même si elle verse souvent dans le dogmatisme.

- Ensuite l'intransigeance politique: j'aimerais des socialistes aussi peu corruptibles, aussi rarement opportunistes. Il y a une forme d'ascèse dans le lambertisme que je ne suis pas loin d'admirer.

- Enfin le militantisme combatif, presque physique, des lambertistes, qui fait qu'on a irrésistiblement envie de se confronter à eux. A côté, un socialiste, trop souvent, c'est un être politiquement invertébré.

Une dernière chose: dans le courant strauss-kahnien, les anciens lambertistes sont en nombre non négligeable, Jean-Christophe Cambadélis étant le plus connu. Il y a là une curiosité politique qui mériterait réflexion, un apport tardif au courant réformiste qu'il serait intéressant que les historiens et les politologues analysent.


Bonne nuit.