L'Aisne avec DSK

05 janvier 2008

Rire, bisou et câlin.

On croit que rien ne bouge, mais le monde change, la société évolue, les moeurs se transforment. Il y a des révolutions minuscules qui sont à l'oeuvre, et grosses d'immenses bouleversements. Il faut savoir en repérer les signes, parfois surprenants. Ma ville, Saint-Quentin, est un excellent observatoire: ville moyenne, populaire, urbaine mais influencée par un environnement rural, elle est un bon réceptacle de ce qui se passe dans notre société. Les grandes villes, en premier lieu Paris, sont trop tributaires des modes pour attester de phénomènes profonds de la société. Mais quand Saint-Quentin éternue, c'est que toute la France est enrhumée!

Ces derniers temps, j'ai relevé deux phénomènes en apparence marginaux, superficiels, secondaires, qui sont cependant, à mon avis, de première importance si nous voulons comprendre la société dans laquelle nous vivons. Une association s'est récemment créée, qui promeut et pratique une nouvelle science, une forme de philosophie, un art de vivre, une médecine de l'esprit: la rigolothérapie. Le concept est simple: on se retrouve ensemble pour ... rire. Et ça marche, il y a du monde, et si j'en juge par les photos dans la presse locale, on rigole bien. Le président boute-en-train de l'association fait même partie des 10 personnalités de l'année distinguées par Le Courrier Picard!

Le deuxième phénomène s'est déroulé, pour la deuxième fois, avant Noël, sur la place de l'Hôtel de Ville. Des individus brandissant des pancartes proposent des étreintes (affectives, non pas érotiques!) à qui en veut parmi les passants. On appelle ça le mouvement "free hugs", libres câlins. Un peu plus audacieux est le "happy kissing": des inconnus viennent vous embrasser sur les joues, sur la voie publique, sans que vous n'ayez rien demandé. C'est le mouvement du "bisou amical".

Ces nouveaux comportements, plutôt étonnants, nous viennent des Etats-Unis et d'Angleterre et touchent maintenant la France profonde, donc Saint-Quentin! A première vue, ils sont porteurs de messages très positifs: la joie de vivre, l'optimisme revendiqué, l'affirmation d'un bonheur simple, le respect de la différence, l'égalité de tous (on embrasse tout le monde, jeunes ou vieux, beaux ou moches, riches ou pauvres, etc), l'amour des autres, le refus de l'individualisme. J' y vois quelque chose de très politique, mine de rien, une forme de contestation de la société, et même une inspiration soixante-huitarde. Les associations de lutte contre le sida utilisent le happy kissing ou le free hugs pour manifester ouvertement que le sida n'est pas une peste et que les malades sont des êtres humains comme les autres.

En même temps, même si je trouve ça très bien, je suis un peu perplexe. Il faut toujours juger de quelque chose en fonction de ce qu'on en fait ou en ferait. Les discours, c'est bien joli, mais ce qui compte, c'est ce qu'on fait de sa vie. Un écolo qui roule en 4/4, ce n'est pas un écolo. Un laïque qui envoie ses enfants à l'école privée, ce n'est pas un laïque. Un révolutionnaire qu'on ne voit jamais faire la révolution, ce n'est pas un révolutionnaire. Un socialiste qui passe le plus clair de son temps à critiquer le parti socialiste, ce n'est pas un socialiste. Etc. Dis moi comment tu vis, dis moi ce que tu fais, je te dirai qui tu es, c'est une bonne méthode pour juger la valeur d'un engagement.

Donc, m'inscrirai-je dans un club de rigolothérapie? Jamais de la vie! Se retrouver pour rire, ça ne me ferait pas marrer. Le rire sur commande, ce n'est pas drôle. Mes rires les plus forts, ils me viennent au hasard, et dans les situations les plus sérieuses, parfois les plus graves: une réunion politique peut être d'un comique irrésistible, d'une bouffonnerie totale (de ce point de vue, je n'ai pas à me plaindre ...). Lors d'un enterrement, je me surveille, d'autant que ma compagne est prompte à partir dans des fous rires dangereusement contagieux. Un geste malencontreux du prêtre, une réaction inattendue de l'assistance, un canard dans les grandes orgues, et c'est parti! Allez après expliquer à la famille que le rire est le meilleur antidote contre la mort!

A part ça, je n'aime pas trop rire et je ris assez peu. Voilà pourquoi la rigolothérapie, ce n'est pas mon truc. Il y a tellement de rires idiots, des rires gras! Et pourquoi pas, tant qu'on y est, un club de mélancoliques? C'est un très beau sentiment, très poétique, la mélancolie. Elle mérite d'être développée et défendue autant que le rire, souvent vulgaire.

Quant au free hugs ou happy kissing, très peu pour moi! Un baiser de feu, une étreinte torride dans le secret d'une alcôve, oui, mais ces ridicules câlins, ces bisous infantiles, non! Il faut être atteint d'une sévère régression pour en arriver là, pour vouloir ça. Ce sentimentalisme attardé me semble être l'un des derniers produits du puritanisme américain qui s'abat sur l'Europe. No kissing, no hugs, et pas de rigolothérapie!


Bisous à toutes et à tous.

6 Comments:

  • Permettez moi de vous dire que vous vous enflammez mon cher Emmanuel.

    By Anonymous Anonyme, at 11:14 PM  

  • Mon cher anonyme,

    Permettez moi de vous dire que j'essaie, en règle générale, de garder la tête froide.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:49 PM  

  • en tant que grande pratiquante du rire, des bisous et des câlins, je m'insurge contre la récupération , l'institutionalisation, l'encadrement de ces purs moments de plaisir personnels et gratuits . on peut plus boire, on peut plus fumer, on pourra bientôt plus b...... je dis NON à la rigolothérapie structurée .VAL

    By Anonymous Anonyme, at 12:07 PM  

  • Merci Val pour ce soutien. "On ne pourra plus b...", je suppose que tu veux dire: on ne pourra plus bavarder. Ce qui serait embêtant pour cet endroit de conversation structurée qu'est le café philo!

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:29 PM  

  • non non , je dis bien b...... le jour où je ne pourrais plus bavarder; je prends les armes et le maquis... VAL

    By Anonymous Anonyme, at 12:53 PM  

  • Quelqu'un peut-il m'aider, en ce dernier jour de mes vacances, à deviner et décrypter ce que Val peut bien cacher sous ce b..., qui viserait, si j'ai bien compris, un interdit qu'elle rejette? Mais suis-je bête! B... comme bloguer. Bientôt, on ne pourra plus bloguer. Voilà! Et là, Val, tu as raison et je comprends ta colère: que ferais-je si je ne pouvais plus bloguer!

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 3:45 PM  

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