L'Aisne avec DSK

10 février 2008

Non, André.

Bonsoir à toutes et à tous.

Un prof de philo aime bien ses anciens profs de philo. Je lis avec toujours beaucoup de profit André Comte-Sponville, que j'apprécie pour sa clarté d'expression. Il n'a pas manqué à cette qualité dans Le Figaro du 5 février. Mais je ne suis pas toujours d'accord avec ses points de vue, même si lui et moi appartenons à la même famille politique, la social-démocratie.

Sur la "politique de civilisation", il fait une remarque de bonne intelligence, que personne n'a faite: la formule est contradictoire, elle relève presque du non sens. La civilisation est ce qui fait l'unanimité, la politique est ce qui divise (et c'est le moteur de la démocratie). "Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal appartiennent à la même civilisation. Comme, d'évidence, ils ne représentent pas la même politique (...). L'idée d'une "politique de civilisation" me laisse donc perplexe (...). On n'a pas envie d'être contre, mais on ne voit pas très bien sur quelle politique cela débouche."

Définition intelligente aussi, mais classique, de la laïcité: "Un Etat est laïque quand il est indépendant de toute Eglise et quand il garantit la liberté de croyance et d'incroyance." Mais après, je ne suis plus d'accord:

"C'est justement parce que la France est un Etat laïque que le président a le droit de croire en Dieu et de le dire (...). Ne confondons pas la laïcité des institutions avec une prétendue et impossible laïcité des individus."

Non, André: le président, en tant que président, n'a pas le droit de faire du prosélytisme en faveur de la religion, comme il l'a fait à Latran et Riyad en défendant l'utilité, la nécessité et même la supériorité de la religion. Son devoir, c'est la neutralité, parce qu'il représente, dans l'exercice de sa fonction, la France et les Français de toute sensibilité. Ce n'est qu'en tant qu'individu parmi d'autres qu'il "a le droit de croire en Dieu et de le dire". Et ce n'est même pas, je me permets de le faire remarquer à André, l'opinion de Sarkozy, qui ne dit pas croire personnellement en Dieu (ce serait un drôle de paroissien!) mais attribue à la religion une fonction sociale, ce qui est le point de vue constant de la droite la plus traditionnelle et la plus réactionnaire. On ne peut pas opposer absolument "laïcité des institutions" et "laïcité des individus", puisque les institutions sont assumées par des individus qui doivent épouser la lettre et l'esprit de leur fonction.

André Comte-Sponville affirme que "le vrai péril qui menace notre civilisation, c'est bien plus le nihilisme que le manquement au laïcisme". A propos de Sarkozy, il dit "l'approuver quand il lutte contre ce nihilisme contemporain qui mine nos sociétés".

Une fois de plus, je ne suis pas. La dénonciation du nihilisme, c'est la rengaine morale de la droite depuis le XIXème siècle: les valeurs se perdent, les gens ne croient plus en rien, etc. Quand on pousse un peu, on en arrive à la décadence de la société et au regret du bon vieux temps. Tout ça, ce sont des fadaises réactionnaires, qui imprégnent même parfois des personnes de gauche qui normalement devraient être progressistes, c'est-à-dire croire au progrès, à l'avenir, pas au passé. Il n'y a pas plus de nihilisme aujourd'hui que sous Jules César ou au Moyen Age. Beaucoup d'hommes et de femmes croient en plein de choses auxquelles on a toujours cru: l'amitié, l'amour, l'honnêteté, la vérité, le respect, le bien, etc. Et pas besoin nécessairement de la religion pour ça!

Je retrouve un accord avec Comte-Sponville dans la fin de son entretien, qui étrangement contredit son propos sur le nihilisme de notre époque: "La jeunesse, aujourd'hui, est menacée surtout par l'angélisme, cet afflux de bons sentiments qui n'ont pas prise sur la réalité. C'est la lucidité, bien plus que les valeurs, qui fait défaut à notre époque. Ce n'est pas la morale qui est en crise, c'est la politique."

La morale n'est jamais en crise, parce qu'elle est inscrite dans la conscience humaine. La politique, en revanche, n'est pas une évidence; elle est toujours à reconstruire.


Bonne soirée.