Défendre la parité.
Bonjour à toutes et à tous.
En cette Journée mondiale des femmes, je veux vous faire part d'une étrange expérience. Parmi les grandes conquêtes féministes, il faut inscrire la loi de 2000 sur la parité, qui instaure l'égalité homme-femme dans toutes les élections (sauf les sénatoriales quand elles sont uninominales). C'est un formidable progrès. L'homme est touché au coeur de ce qui a fait pendant des millénaires sa supériorité: le pouvoir politique. On va beaucoup plus loin, c'est beaucoup plus révolutionnaire que le droit de vote accordé aux femmes en 1945. Et même avec cette loi sur la parité, d'immenses avancées restent à faire, puisque 80% des têtes de liste aux élections municipales sont des hommes. Mais les grandes causes ont besoin de temps. Nous n'en sommes qu'au début de l'émancipation de la femme.
Quelle est alors mon étrange expérience? Eh bien, je constate régulièrement que des femmes, modernes, progressistes, féministes sont critiques envers ... la parité. Je vais encore plus loin: la défaite de Lionel Jospin en 2002, parmi de nombreuses causes (les 35 heures, la CMU, le PACS, etc), a été entraînée aussi par cette loi sur la parité. Que les conservateurs, réactionnaires et traditionalistes soient hostiles, c'est logique. Mais des gens de gauche!? Mardi soir, j'animais à Soissons un café philo à l'initiative du CIDFF (Centre d'informations sur les droits des femmes et des familles), sur le thème de la libération féminine depuis 1968. J'ai bien sûr lancé le débat sur la parité. Et quelle n'a pas été ma surprise! Une salariée du CIDFF était contre la parité et plusieurs jeunes femmes dans l'assistance étaient plutôt réservées. Deux arguments ont été par elles avancés:
1- Il n'est pas normal que la loi force les choses. L'accession des femmes aux responsabilités politiques devrait se faire "naturellement", par l'éducation, la persuasion.
Ma réponse: si on devait attendre de l'évolution des moeurs l'émancipation sociale, culturelle et sexuelle de l'humanité, nous en serions encore à l'âge des cavernes ou à la civilisation esclavagiste. La loi est un moyen, un outil, une arme dont il faut se servir. L'argument avancé revient à rabaisser la politique, à dévaloriser l'Etat, à discréditer la loi. Or, qu'est-ce que faire de la politique sinon rédiger des lois? Dans l'Antiquité, la loi était sacrée. Grâce à elle, l'homme devenait maître de son destin et ordonnait la cité. La loi est au fondement de la Justice. J'aimerais qu'on apprenne aux enfants des écoles à se réjouir et à s'exclamer: vive la loi!
2- Il n'est pas normal qu'une femme accède à un mandat uniquement parce que c'est une femme. Le doute est alors porté sur ses compétences. C'est l'humanité qui devrait compter, pas le sexe.
Ma réponse: cet argument déforme l'esprit et la lettre de la loi sur la parité. Celle-ci n'établit pas un privilège en faveur des femmes mais l'égalité entre les sexes. Elle n'est pas une mesure de discrimination positive comme on peut en trouver dans d'autres domaines. Ce n'est pas parce que la loi oblige à la parité que la moitié composée par les femmes serait incompétente alors que l'autre moitié, les hommes, ne le serait pas! Argument purement sexiste, même sous la forme d'un simple soupçon.
Comment expliquer que des arguments de nature sexiste influencent des féministes? Je vois une explication superficielle et une explication profonde:
a- La loi sur la parité n'est pas la conséquence d'un grand combat féministe, comme a pu l'être le combat pour la contraception et l'avortement. Elle a donc moins de retentissement et de prestige, bien qu'elle ait été adoptée par une majorité de gauche alors que la contraception et l'avortement l'ont été par des majorités de droite.
b- Notre société, c'est une banalité de le constater, est devenue profondément individualiste: tout ce qui relève de la loi, de la politique, du collectif n'est pas très bien vu. En revanche, il y a un attrait pour l'éducation et l'éthique. Dans ces conditions, la parité n'est pas positivement perçue.
Vous connaissez mon intérêt pour les rumeurs, qui sont une façon d'exprimer ce qu'on n'ose pas exprimer. Eh bien, lors de ce café philo de mardi soir, j'entends une personne dire ceci, ultime critique portée contre la loi sur la parité:
"Les partis politiques préfèrent payer que de mettre des femmes sur leurs listes."
La remarque est à la fois fausse et vicieuse:
- Vicieuse parce qu'elle laisse entendre, sans le dire explicitement (c'est ça le fonctionnement d'une rumeur!), que les partis politiques contourneraient la loi avec le fric. Et doublement vicieuse parce que la remarque laisse aussi entendre que la loi serait ... vicieuse puisqu'elle poserait un noble principe, la parité, et donnerait immédiatement le moyen de le bafouer, par l'argent. La loi serait transgressée par ... la loi! Ca me fait penser à certains élèves quand ils me disent: la justice est injuste!
- Fausse parce que la loi n'autorise pas son propre contournement par un subterfuge financier. Si une liste municipale, régionale ou européenne n'applique pas le principe de parité, cette liste ne peut absolument pas se présenter, même en versant une somme compensatoire. Celle-ci relève donc de la pure et simple rumeur, c'est-à-dire de l'invention. Mais toute rumeur, pour être efficace, a besoin de manipuler une toute petite part de vérité pour faire passer son gros mensonge.
Ce qui est par conséquent vrai, c'est qu'aux élections législatives, un parti qui ne présente pas 50% de femmes sur tout le territoire se voit appliquer une sanction financière. Non pas parce que la loi autoriserait, pour ce scrutin, à "payer" plutôt qu'à appliquer strictement la parité, mais pour une raison purement pratique et technique: dans un scrutin de liste, il est simple d'appliquer automatiquement la parité (voilà pourquoi tous les scrutins de liste, y compris aux sénatoriales, sont paritaires, sans dérogation possible). En revanche, pour un scrutin uninominal, c'est beaucoup plus difficile, puisque par définition il n'y a qu'un seul nom.
C'est pourquoi le législateur, dans sa grande sagesse et sa grande détermination, pénalise par une amende les partis politiques qui n'ont pas fait aux législatives l'effort de la parité, parce que c'est le seul moyen dont il dispose. La loi n'est pas vicieuse, elle est réaliste, les partis ne sont pas corrompus, ils font ce qu'ils peuvent, ont du mal à trouver des candidats et encore plus des candidates, mais n'oublions pas que la parité, ce sont eux, les partis, qui l'ont voulue.
C'était ma contribution à la Journée mondiale des femmes. A vous maintenant, par vos commentaires.
Bonne matinée.
En cette Journée mondiale des femmes, je veux vous faire part d'une étrange expérience. Parmi les grandes conquêtes féministes, il faut inscrire la loi de 2000 sur la parité, qui instaure l'égalité homme-femme dans toutes les élections (sauf les sénatoriales quand elles sont uninominales). C'est un formidable progrès. L'homme est touché au coeur de ce qui a fait pendant des millénaires sa supériorité: le pouvoir politique. On va beaucoup plus loin, c'est beaucoup plus révolutionnaire que le droit de vote accordé aux femmes en 1945. Et même avec cette loi sur la parité, d'immenses avancées restent à faire, puisque 80% des têtes de liste aux élections municipales sont des hommes. Mais les grandes causes ont besoin de temps. Nous n'en sommes qu'au début de l'émancipation de la femme.
Quelle est alors mon étrange expérience? Eh bien, je constate régulièrement que des femmes, modernes, progressistes, féministes sont critiques envers ... la parité. Je vais encore plus loin: la défaite de Lionel Jospin en 2002, parmi de nombreuses causes (les 35 heures, la CMU, le PACS, etc), a été entraînée aussi par cette loi sur la parité. Que les conservateurs, réactionnaires et traditionalistes soient hostiles, c'est logique. Mais des gens de gauche!? Mardi soir, j'animais à Soissons un café philo à l'initiative du CIDFF (Centre d'informations sur les droits des femmes et des familles), sur le thème de la libération féminine depuis 1968. J'ai bien sûr lancé le débat sur la parité. Et quelle n'a pas été ma surprise! Une salariée du CIDFF était contre la parité et plusieurs jeunes femmes dans l'assistance étaient plutôt réservées. Deux arguments ont été par elles avancés:
1- Il n'est pas normal que la loi force les choses. L'accession des femmes aux responsabilités politiques devrait se faire "naturellement", par l'éducation, la persuasion.
Ma réponse: si on devait attendre de l'évolution des moeurs l'émancipation sociale, culturelle et sexuelle de l'humanité, nous en serions encore à l'âge des cavernes ou à la civilisation esclavagiste. La loi est un moyen, un outil, une arme dont il faut se servir. L'argument avancé revient à rabaisser la politique, à dévaloriser l'Etat, à discréditer la loi. Or, qu'est-ce que faire de la politique sinon rédiger des lois? Dans l'Antiquité, la loi était sacrée. Grâce à elle, l'homme devenait maître de son destin et ordonnait la cité. La loi est au fondement de la Justice. J'aimerais qu'on apprenne aux enfants des écoles à se réjouir et à s'exclamer: vive la loi!
2- Il n'est pas normal qu'une femme accède à un mandat uniquement parce que c'est une femme. Le doute est alors porté sur ses compétences. C'est l'humanité qui devrait compter, pas le sexe.
Ma réponse: cet argument déforme l'esprit et la lettre de la loi sur la parité. Celle-ci n'établit pas un privilège en faveur des femmes mais l'égalité entre les sexes. Elle n'est pas une mesure de discrimination positive comme on peut en trouver dans d'autres domaines. Ce n'est pas parce que la loi oblige à la parité que la moitié composée par les femmes serait incompétente alors que l'autre moitié, les hommes, ne le serait pas! Argument purement sexiste, même sous la forme d'un simple soupçon.
Comment expliquer que des arguments de nature sexiste influencent des féministes? Je vois une explication superficielle et une explication profonde:
a- La loi sur la parité n'est pas la conséquence d'un grand combat féministe, comme a pu l'être le combat pour la contraception et l'avortement. Elle a donc moins de retentissement et de prestige, bien qu'elle ait été adoptée par une majorité de gauche alors que la contraception et l'avortement l'ont été par des majorités de droite.
b- Notre société, c'est une banalité de le constater, est devenue profondément individualiste: tout ce qui relève de la loi, de la politique, du collectif n'est pas très bien vu. En revanche, il y a un attrait pour l'éducation et l'éthique. Dans ces conditions, la parité n'est pas positivement perçue.
Vous connaissez mon intérêt pour les rumeurs, qui sont une façon d'exprimer ce qu'on n'ose pas exprimer. Eh bien, lors de ce café philo de mardi soir, j'entends une personne dire ceci, ultime critique portée contre la loi sur la parité:
"Les partis politiques préfèrent payer que de mettre des femmes sur leurs listes."
La remarque est à la fois fausse et vicieuse:
- Vicieuse parce qu'elle laisse entendre, sans le dire explicitement (c'est ça le fonctionnement d'une rumeur!), que les partis politiques contourneraient la loi avec le fric. Et doublement vicieuse parce que la remarque laisse aussi entendre que la loi serait ... vicieuse puisqu'elle poserait un noble principe, la parité, et donnerait immédiatement le moyen de le bafouer, par l'argent. La loi serait transgressée par ... la loi! Ca me fait penser à certains élèves quand ils me disent: la justice est injuste!
- Fausse parce que la loi n'autorise pas son propre contournement par un subterfuge financier. Si une liste municipale, régionale ou européenne n'applique pas le principe de parité, cette liste ne peut absolument pas se présenter, même en versant une somme compensatoire. Celle-ci relève donc de la pure et simple rumeur, c'est-à-dire de l'invention. Mais toute rumeur, pour être efficace, a besoin de manipuler une toute petite part de vérité pour faire passer son gros mensonge.
Ce qui est par conséquent vrai, c'est qu'aux élections législatives, un parti qui ne présente pas 50% de femmes sur tout le territoire se voit appliquer une sanction financière. Non pas parce que la loi autoriserait, pour ce scrutin, à "payer" plutôt qu'à appliquer strictement la parité, mais pour une raison purement pratique et technique: dans un scrutin de liste, il est simple d'appliquer automatiquement la parité (voilà pourquoi tous les scrutins de liste, y compris aux sénatoriales, sont paritaires, sans dérogation possible). En revanche, pour un scrutin uninominal, c'est beaucoup plus difficile, puisque par définition il n'y a qu'un seul nom.
C'est pourquoi le législateur, dans sa grande sagesse et sa grande détermination, pénalise par une amende les partis politiques qui n'ont pas fait aux législatives l'effort de la parité, parce que c'est le seul moyen dont il dispose. La loi n'est pas vicieuse, elle est réaliste, les partis ne sont pas corrompus, ils font ce qu'ils peuvent, ont du mal à trouver des candidats et encore plus des candidates, mais n'oublions pas que la parité, ce sont eux, les partis, qui l'ont voulue.
C'était ma contribution à la Journée mondiale des femmes. A vous maintenant, par vos commentaires.
Bonne matinée.
5 Comments:
Vive la culture et l'éducation, seules capables de faire avancer les idées puis les situations, et comme par hasard, ce sont des mots dont le genre est féminin. ;-)
By jpbb, at 12:08 PM
à l'occasion de cette journée,Je souhaite, une trés bonne fin de carrière politique, à Anne Ferreira.
By Anonyme, at 2:37 PM
Et à C Berlemont, défenseur de l'cole publique Saint ....
By Anonyme, at 8:10 PM
Bonjour!
C'est un peu hors sujet par rapport à l'article, mais j'aimerais que vous me parliez des élections du canton Saint Quentin sud. Il y a plusieurs candidats de gauche. Pensez-vous que la gauche peut l'emporter dans ce canton?
Merci!
By Anonyme, at 8:58 PM
Conformément à la loi et à la tradition, je ne fais aucun commentaire ou billet électoral ce samedi et dimanche. Mais vous pouvez vous reporter à des billets précédents, dans lesquels j'évoque, à plusieurs reprises, la question que vous posez.
By Emmanuel Mousset, at 9:58 AM
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