Le pire du net.

Bonsoir à toutes et à tous.

Ma critique ce matin de Dailymotion et des vidéos qu'on y fait circuler n'a visiblement pas plu à tout le monde, si j'en crois vos commentaires. Je vais aggraver ce soir mon cas en poursuivant les reproches que je fais à cette culture internet qui peut engendrer le meilleur comme le pire. Ce n'est pas parce qu'un phénomène est à la mode qu'il faut nécessairement s'y soumettre. Tous ces gens qui se photographient et qui se filment avec leurs portables, pour un rien, pour n'importe quoi: franchement, entre nous, vous ne trouvez pas ça ridicule?

Ridicule aussi ce site, Note2be.com, qui propose aux élèves de noter leurs professeurs. L'Aisne Nouvelle m'a appelé il y a quelques jours pour me demander ce que j'en pensais. J'ai répondu que c'était le monde à l'envers! Ce sont les profs qui notent les élèves, pas les élèves qui notent les profs. Mais n'est-ce pas toute notre société qui marche à l'envers? Est-ce si dramatique? m'a posé le journaliste. Non, il y a plus dramatique dans la vie. Mais c'est simplement dérisoire. Ca n'a pas de sens. Quelle valeur accorder à ces notes? Aucune.

Un enseignant peut être impopulaire et très efficace pédagogiquement, un autre peut être apprécié mais laxiste, démagogue, incompétent. Or je ne connais que la valeur pédagogique pour juger un enseignant. Tout cela, c'est ce que je dénonçais ce matin: un jeu, rien qu'un jeu, pour le "fun". On offre aux élèves l'occasion de s'amuser en inversant les rôles. Marrant, non, pour un élève, de pouvoir noter son prof? Mais aussi complétement "nul", pour parler le langage d'aujourd'hui. Je réitère les critiques que j'adresse à Dailymotion, puisque nous sommes dans le même univers du net: tout cela est parfaitement ludique, vide de sens et profondément narcissique. C'est la société dans laquelle nous vivons!

Je dénonçais aussi ce matin les pseudo-révolutionnaires qui se coulent dans le moule et reproduisent servilement ce que notre monde produit de pire. Même remarque pour Note2be.com. Le slogan du site, c'est: "Prends le pouvoir, note ton prof." Ca fait incontestablement soixante-huitard, ça a un petit goût révolutionnaire, mais tout cela ne résiste pas à la réflexion. Croyez-vous vraiment qu'un élève aura pris le pouvoir une fois qu'il aura noté son prof? Bien sûr que non. C'est une illusion qu'on fait miroiter à la jeunesse. Et que signifie pour un élève de "prendre le pouvoir"? Pas grand-chose. Je dis tout cela sans amertume, mon nom n'apparaît pas sur le site, et si mes élèves m'avaient noté, je crois qu'ils m'auraient bien noté. Donc, rien de perso dans ma prise de position.

Rien de rétrograde non plus. Je suis très critique envers l'école du passé, je conteste la posture magistrale du maître qui ne reconnaît pas la parole de l'élève. Celui-ci a le droit de s'exprimer, éventuellement de contester, cela ne me choque pas, et j'autorise mes élèves à le faire, et cela me stimule quand ils le font, rarement. Mais le collégien qui profite d'un site pour régler ses comptes avec un enseignant ou au contraire lui manifester son obséquiosité, non, ce n'est pas acceptable.

Ce qui m'exaspère aujourd'hui, c'est cette manie de vouloir tout noter, tout quantifier. Après les profs, on parle des médecins. Et pourquoi pas les charcutiers ou les plombiers? Dans le monde de l'internet, le ridicule ne tue pas, sinon il y aurait des charniers. Dans Philosophie Magazine de ce mois, un article de Pierre-Henri Tavoillot a retenu mon attention. Son titre: "Evaluation, piège à cons?" et je vous livre trois extraits que je vous invite à méditer:

- "La culture de l'évaluation représente la tentative, peut-être désespérée, d'établir des hiérarchies qui soient compatibles avec l'esprit démocratique: des hiérarchies fondées (...) sur les qualités et les efforts de chacun."

- "A la limite, on passe plus de temps à évaluer l'action qu'à agir."

- "L'auto-évaluation, dans notre univers démocratique, est la seule qui soit au fond vraiment légitime."

Au fait, vous me donnez quelle note pour ce blog?


Bonne soirée.