L'Aisne avec DSK

26 avril 2008

La gratuité payante.

Bonjour à toutes et à tous.

J'avais promis de revenir sur les idées iconoclastes de Chris Anderson sur la gratuité. Je vais donc y consacrer quelques billets, qui ne reprendront pas exactement ses propos mais s'en inspireront librement, afin d'élargir la problématique au-delà de l'économie purement numérique. D'abord, soyons clair: la gratuité totale n'existe pas. Sinon, ce serait la fin de la monnaie. Personne ne croit et ne veut cela, sauf à souhaiter revenir à l'état primitif. Ce que je veux m'efforcer de démontrer, c'est que nous assistons à une montée en puissance, dans les sociétés modernes, de la gratuité. Que l'argent soit de plus en plus nécessaire ne contrarie pas le phénomène, il l'accélère, il le conditionne!

Je prends un exemple: les promotions dans les magasins. Il y a quelques décennies, au début de la société de consommation, les campagnes de promotion étaient exceptionnelles. Maintenant, dans votre supermarché, il n'y pas un seul jour sans que plusieurs produits soient en promotion. Vous ne les payez donc pas à leur prix habituel. Une part de gratuité s'est introduite dans l'achat. On peut parler, paradoxalement, d'une gratuité payante. Quand vous achetez deux boîtes de conserve au prix d'une, l'une des deux est pour vous gratuite.

Autre exemple: les soldes, qui sont devenues depuis une quinzaine d'années un vrai phénomène de société, avec des comportements quasi hystériques à l'ouverture des magasins. Ce qui confirme l'engouement pour ce qu'il faut bien nommer une "culture" de la gratuité, qui modèle de plus en plus les esprits. "Gratuit" est devenu le mot magique, le déclic, le slogan du monde... commercial. Jadis, c'était la morale (un acte gratuit, un geste désintéressé) qui s'en réservait exclusivement l'usage. Le débat est ouvert sur l'extension des soldes tout au long de l'année. Je crois qu'on finira par y arriver.

Vous me direz peut-être que "tout se paie" dans la "société du fric", et de plus en plus, puisque même pour faire ses besoins, il faut payer, alors que cette activité est naturelle, spontanée et inévitable. Relativisons: la dame pipi d'autrefois attendait son pourboire. Cette rétribution volontaire est tout simplement devenue obligatoire. D'autre part, il était usuel, il n'y a pas si longtemps, pour les hommes (sauf quand on était bourgeois) d'uriner librement et à peine discrétement, y compris en pleine ville. Aujourd'hui, ce comportement est condamné, encore qu'il m'arrive d'y céder. Les raisons sanitaires (propreté, hygiène) et morales (décence, embourgeoisement des attitudes) sont devenues les plus fortes. Si nous payons pour satisfaire une irrépressible envie dont la consommation devrait être gratuite, ce n'est pas parce que le "fric" aurait tout envahi, mais parce notre exigence de qualité, notre aspiration au confort, notre demande psychologique sont plus grandes.

Je vous propose un dernier exemple: l'eau. Voilà une ressource qui devrait être gratuite, puisqu'elle nous vient du ciel (la pluie) ou de la terre (les sources). Elle est naturelle, inépuisable et très facile à se procurer, à la différence du pétrole, de l'acier et de l'immense majorité des produits que nous achetons parce que nous ne pouvons pas les obtenir autrement. Or, comment ce fait-il que nous acceptions de payer l'eau sans trop broncher? Les restaurateurs ont pourtant bien compris que sa gratuité allaient de soi, puisqu'aucun ne nous fait payer l'eau en carafe, ni même n'oblige à prendre une eau minérale, acceptant ainsi un manque à gagner. Il n'y a pas si longtemps, l'eau en bouteille était un petit luxe. Les milieux populaires se ravitaillaient aux fontaines (je l'ai fait pendant des années!) ou bien au robinet de la cuisine. Je ne dis pas que ces comportements ont disparu mais qu'ils ont considérablement diminué (surtout pour l'eau de source disponible au public).

Qui aujourd'hui, dans une société inspirée par le principe de précaution, irait à une source dans la campagne pour répondre à la consommation familiale d'eau? Peu de monde. Qui accepterait, dans notre société du confort et de la satisfaction immédiate, d'y consacrer du temps et des efforts? Quasiment personne. Les courses du samedi à Auchan et Cora sont des parties de plaisir comparées à la corvée d'eau. Et puis, si nous acceptons de payer l'eau que nous buvons, c'est parce que nous avons aussi plus d'argent qu'autrefois pour le faire. Il y a un usage de l'argent qui est, en quelque sorte, "gratuit", au sens où nous pourrions parfaitement nous en passer, où nous n'avons aucune obligation à consommer, mais nous achetons, nous consommons tout de même, par confort, par plaisir. Dépenser, dans une société de consommation, c'est prouver qu'on est libre. Et ça n'a pas de prix!

Attention: je ne dis pas que j'approuve, je ne fais que constater. De fait, nous allons de plus en plus vers une société de la gratuité, mais d'une gratuité payante, comme j'ai commencé à vous l'expliquer dans ce premier billet, idée que je poursuivrai dans le prochain.


Bonne matinée (gratuite).

10 Comments:

  • Eh bien il m'arrive encore d'aller faire quelque kilomètres en voiture pour aller remplir mes bidons à la source Charlemagne, où l'empereur venait se désaltérer après une longue partie de chasse. Cette eau sortie d'un massif forestier a donc conservé le même goût. En tant que citoyen oeuvrant pour la construction européenne, il était donc logique que j'en fasse de même.
    Bon, je te laisse, je file à carouf faire mes courses. :-)

    By Blogger jpbb, at 12:30 PM  

  • Jpbb, homme d'autrefois (la source Charlemagne) et homme moderne (Carouf).

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 3:01 PM  

  • Pas de passé, pas d'avenir. ;-)

    Il convient donc de l'assumer au présent pour bâtir l'avenir. C'est donc passer du désir au réel.

    By Blogger jpbb, at 3:16 PM  

  • L'économie est une dynamique qui ne se résume pas dans un modèle.
    On peut étudier historiquement son évolution et proposer des voies pour l'avenir.

    Il y a des besoins, des acteurs et des échanges. Le but est de satisfaire les besoins des acteurs en rationalisant au mieux les échanges. La stricte égalité ne peut pas fonctionner, car il faut une motivation pour travailler, et une simple redistribution ferait une société de feignants assistés qui seraient lâchés par les sujets productifs. D'un autre côté, il convient de traiter les besoins sociaux et par le biais de la solidarité d'aider les plus faibles d'entre nous. Dans le monde actuel, on peut passer rapidement de l'un à l'autre. Fondamentalement nous avons besoin de richesses matérielles et intellectuelles. Ces dernières peuvent facilement être mises à disposition sur le Net et tout le monde peut venir lire, critiquer et construire. Là est effectivement la véritable gratuité à mettre en oeuvre, comme cela se passe pour les jeunes enfants et étudiant assimilant tout un savoir de l'école maternelle aux études supérieures.
    Ensuite une fois les esprits formés, il convient de les laisser travailler sur des sujets profitables à l'ensemble de la collectivité. On sait le marché incontournable et le capitalisme nécessaire pour monter les usines. On sait qu'il faut limiter plus fortement que nos adversaires de droite le simple capitalisme financier capable de déséquilibrer le système et même de le mettre à plat, avec comme risque potentiel la famine et la guerre. C'est dire l'importance du sujet.
    Le saut culturel qu'accomplit actuellement le PS est l'acceptation pleine et entière du capitalisme industriel. Chaque citoyen doit pouvoir disposer des moyens financiers nécessaires pour créer une entreprise s'il montre objectivement qu'il peut le faire. Les banques et le capital-risque actuel en France et en Europe n'ont pas la capacité de le faire. Ce sont donc les états européens qui doivent prendre en charge cette problématique à partir d'une structure collective partagée. Cela nous permettra de faire de la croissance, d'avoir de bons salaires, de payer les retraites, de payer la dette, et d'instaurer une égalité réelle de tous face à la richesse quelle que soit son origine sociale. Elle doit être fondée sur le mérite et non pas sur la rente ou l'héritage. Il s'agit de faire fructifier les compétences, de façon à permettre à tous de bien vivre, et d'avoir une société solidaire et apaisée. En tant que sociaux-démocrates réformistes, nous aurons toujours un regard plus humaniste sur la misère que celui de la droite, car la misère, à gauche, nous l'avons tous connue et nous la combattons. C'est elle notre ennemie.

    By Blogger jpbb, at 5:11 PM  

  • Moi ce qui m'amuse le plus, ce sont les tetes de gondoles
    2 pour le prix de 3
    assez souvent, on constate que le lot est plus cher que si on avait acheté 3 unités.

    d'ailleurs il y a un site qui permet d'acheter tous les biens d'équipement moderne à petits prix
    1 ou 2 euros par jour
    avec un taux d'intéret assez raisonnable
    l'astuce si la mensualité est petite c'est qu'on la paie longtemps, tres longtemps
    au final le prix d'achat est le double ou le triple de celui du marché et de la concurrence.

    parfois la promotion ou le gratuit est plus onéreux que l'absence de promotions.

    pour les soldes quand les espaces de ventes avaient encore des stocks parce qu'ils faisaient rentrer 2 à 4 fois dans l'année la marchandise cela pouvait se comprendre
    quand on constate aujourd'hui que les enseignes se font livrer toutes les semaines ou presque et que tout ce qui est à vendre ou presque est en rayon,
    on peut sincèrement s'interroger sur la pertinence des soldes.
    je serais plutot pour un systeme à l'anglo saxonne avec des corners de fin de gamme quitte à avoir 2 à 3 semaines de soldes au moment des inventaires en cas de sur-stock.

    Il m'est arrivé quelques fois de constater que certains vêtements en soldes avec 70% de réduction était plus chers que quand il n'était pas en soldes.

    La méfiance doit etre rigueur
    qu'il s'agisse de politique ou de commercer.
    On ne rase jamais gratis,
    il y a toujours une facture à payer
    et plus la facture est présentée tard, moins on a le choix de la payer et plus elle est élevée.

    By Blogger Unknown, at 5:38 PM  

  • Le développement du crédit, inhérent lui aussi à la société moderne, est à distinguer bien sûr de la gratuité. Il donne l'impression il est vrai d'achats moins lourds puisqu'étalés dans la durée.

    J'ai entendu parler d'un site où l'on indique les bonnes affaires, les petits prix, les économies de toute sorte. Indice supplémentaire dans cette recherche de la "gratuité", au sens de cette gratuité relative (et pas absolue) dont je parle.

    La bonne question me semble celle-ci: la gratuité ne serait-elle pas, comme le crédit, la dernière ruse du capitalisme pour nous faire payer plus en laissant entendre que nous allons payer moins?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:32 PM  

  • Depuis quand le capitalisme est-il rusé ? S'il l'était réellement, on ne pourrait pas envisager de le rouler dans la farine et de le faire travailler à notre profit.

    Par définition les sociaux démocrates réformistes sont infiniment plus rusés que le premier capitaliste venu.

    T'es rassuré ? ;-)

    By Blogger jpbb, at 9:59 PM  

  • A petitoursstupide : "2 pour le prix de 3" ?!
    Autant acheter 3 pour le prix de 3, ça vaut plus le coup, et c'est nettement plus logique ! ;)

    By Anonymous Anonyme, at 10:29 PM  

  • Il suffit à certains de croire qu'ils vont faire une bonne affaire pour se laisser refiler un produit avarié.

    Et il n'y a pas qu'en économie que cela fonctionne, en politique aussi.

    By Blogger Unknown, at 10:33 PM  

  • Des produits avariés en politique? Je ne vois pas à qui vous faites allusion. Des viandes qui auraient traîné trop longtemps ou des conserves dont la date-limite serait dépassée?

    Quant à l'économie, je pense à la fois que le capitalisme est rusé et que le consommateur est malin. Qui va l'emporter? C'est l'Histoire qui le dira.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:03 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home