L'Aisne avec DSK

03 juin 2008

Les ombres de Mai.

Bonjour à toutes et à tous.

Le festival CinéMai 68 s'est terminé la semaine dernière, avec un peu de mal à conserver son public. Comme souvent, j'avais vu trop grand. 4 films dans le mois, sur un sujet qui n'est pas fédérateur et encore aujourd'hui objet à polémique, c'était beaucoup. D'autant que d'autres initiatives étaient proposées en dehors de ces projections. Mais j'ai un principe: Mieux vaut échouer dans les grandes choses que de réussir dans les petites. Je sais, ce principe est contestable, et je vous laisse le contester dans vos commentaires. Mais c'est le propre de tout principe de soulever la discussion. L'essentiel n'est pas là: Mieux vaut avoir un principe que pas du tout.

Revenons sur le dernier film consacré à Mai 68. J'ai choisi "Mourir à 30 ans", de Romain Goupil, parce qu'il nous montre de l'évènement plusieurs choses qui ne sont pas suffisamment mises en avant:

1- Mai 68 ne commence pas le 1er pour se terminer le 31. Il y a un avant et un après, sans doute plus importants que le fameux mois. En racontant l'histoire vraie de Michel Recanatti, jeune militaire révolutionnaire, Goupil montre la continuité du mouvement, le fil de l'histoire. A tel point, surprenant, que pour les trotskistes de la JCR, Jeunesse Communiste Révolutionnaire, Mai passe presque inaperçu, n'est pas chez eux survalorisé. Ce n'est qu'un épisode, le plus visible, le plus spectaculaire, d'un évènement encore plus grandiose mais à venir, tout proche, la révolution. Il n'en est que la "répétition générale".

2- Le film montre combien le PCF, ces années-là, est discrédité en matière révolutionnaire. La CGT, le PCF et leurs manifs "traîne-savates" (c'est le vocable de l'époque) sont décriés, moqués. Aujourd'hui, quand je vois certains trotskistes et certains communistes faire bras dessus, bras dessous, ça me fait marrer: ont-ils oublié leur histoire respective?

3- On transmet parfois de Mai 68 une image un peu mièvre, édulcorée, baba cool, parce qu'il n'y a pas eu de morts, parce que le mouvement n'a pas basculé dans la tragédie, parce que la société ne s'est pas effondrée. Tout évènement produit ses bondieuseries, Mai a les siennes. Même l'érection des barricades et le lancer de pavé ont été transformés en un quasi folklore bon enfant et paradoxalement pacifique, dans tous les cas joyeux.

Cette image est fausse, l'après 68 nous le dit. Il y a eu des morts, des drames, une incroyable violence durant les années qui ont suivi. L'Etat frappait fort, les gauchistes aussi. On peut même aller jusqu'à soutenir qu'un climat de guerre civile a été entretenu, certes localisé dans certains milieux et secteurs de la société française, mais bien réel, jusqu'en 1972. La mort du militant maoïste Pierre Overney est peut-être la vraie fin de Mai 68.

4- Autre date oubliée mais fondamentale, la grande manifestation de la Ligue communiste en juin 1973 contre le meeting d'Occident, qui conduira à la dissolution de plusieurs groupes d'extrême gauche. Regardez ces images impressionnantes, ces centaines de trotskistes casqués et armés de barres de fer, qui veulent en découdre avec la police, casser du fasciste et empêcher la tenue du meeting. Recanatti était l'organisateur, hors pair. Weber le dit: La Ligue avait mis en place une petite armée privée. Ecoutez les discours enflammés de Krivine contre l'Etat bourgeois, sa police, l'appel à le renverser, à constituer une milice ouvrière. On a peine à le croire, parce que c'était un autre monde que le nôtre. Quelques années plus tard, j'étais lycéen et je rêvais sur ce qui me semblait être une fabuleuse épopée.

5- La LCR d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec sa glorieuse et héroïque origine. Besancenot chez Drucker a des allures de jeune sénateur du Parti radical de gauche, pas plus. Etonnez-vous après que des socialistes soient séduits... Il n'y a plus aujourd'hui ni climat ni même organisation véritablement révolutionnaires.

6- Mai 68 a donné l'image d'une révolte étudiante, à cause de la Sorbonne et du Quartier Latin. Mais les lycéens, que Recanatti représentait, étaient très présents, très actifs dans le mouvement, surtout dans les années qui ont suivi. La création des CAL, Comités d'action lycéens, est un élément essentiel pour comprendre ce qui s'est alors passé.

7- Mai 68 a-t-il bien fini? Oui. A-t-il mal fini? Oui aussi. C'est un jeu d'ombres et de lumières dont on n'a retenu que ces dernières, la transformation des mentalités et la réussite sociale de certaines grandes figures de l'époque. Mais combien sont retombés dans l'anonymat, la marginalité et le désespoir? Sans doute des milliers, dont Recanatti. Il y a une postérité tragique de Mai qu'on occulte, qu'on refoule, peut-être parce qu'elle gêne, qu'elle contredit la légende dorée. La révolution qui s'éloigne à jamais a conduit certains, plus nombreux qu'on ne le croit, au suicide. Parmi lesquels Michel Recanatti, 10 ans après, en mai 1978. Sinistre anniversaire.

8- L'homme Recanatti, pour terminer: Je ne suis pas révolutionnaire mais j'apprécie le personnage, sur bien des points. Tout simplement parce que c'était un militant tel qu'il n'en existe plus: souci de perfection, sens de l'organisation, volonté de convaincre, gratuité du geste, mépris des difficultés, enthousiasme, rigueur, et cet élan qui fait qu'on va jusqu'au bout de ce qu'on entreprend. Recanatti devait lui aussi préférer échouer dans les grandes choses que de réussir dans les petites.

Mais au bout du bout, il y a la mort, et cette interrogation sur les motivations profondes, enfouies de tout militant: Pourquoi faire ce que personne ne fait, ce que personne ne vous oblige à faire et qui ne vous rapporte strictement rien, sinon des ennuis, et pour Recanatti la prison? Goupil esquisse les difficultés psychologiques de Michel Recanatti, le traumatisme qu'a provoqué la découverte de son vrai père ou sa difficulté à aimer les femmes. Mais nous ne sommes pas là pour faire de la psychologie: Il n'y a que la politique qui nous intéresse, n'est-ce pas?


Bonne matinée.

16 Comments:

  • Il n'existe qu'un seul révolutionnaire, son nom est:

     JulesValès, l'homme au pardessus jaune.

    Les autres qui s'en réclament ne sont que de pâles imitateurs.

    By Blogger jpbb, at 12:54 PM  

  • Les motivations profondes, sont inhérentes à l'espèce humaine, avancer. Depuis Lucie échappée d'Afrique, en passant par les grottes de Lascau, la lente montée de l'humanité en train de conquérir le cadre de la nature où elle s'ébat, en tentant de survivre.

    Nous sommes actuellement à un moment crucial, car notre développement industriel qui n'a que 150 ans a été entièrement basé sur les énergies fossiles. Et demain la fin du pétrole signifie la fin du transport routier, et plus grave, la fin de l'agriculture. Les tracteurs fonctionnant à l'hydrogène demanderont un certain temps pour envahir les champs. Nous risquons alors une transition qui si elle n'est pas induite politiquement risque fort de finir en guerre civile généralisée. Nous ne reviendrons pas à l'époque de la cueillette, les mers ont été vidées d'une grande partie des poissons, et ce n'est pas en se promenant dans les champs de blé, de maïs et de tournesol à l'abandon que l'on pourra nourrir la collectivité. Gouverner c'est prévoir, et sur ce point le silence de Nicolas Sarkozy est hallucinant.
    Il faut donc réussir dans les grandes choses, les détails et les petites se régulent d'elles-mêmes. Mais c'est en analysant les petites que l'on peut remonter jusqu'aux grandes et tenter d'apporter une solution satisfaisante.

    By Blogger jpbb, at 3:27 PM  

  • Est-ce que je me trompe, mais j'ai l'impression, Jpbb, que tu es entré depuis quelques jours dans une phase d'anti-sarkozysme assez forte?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 3:49 PM  

  • Je constate que Pierre Moscovici avance vers le poste de premier secrétaire, que le PS s'y rallie, que la vision que proposait DSK pendant la pré-campagne est plus que jamais d'actualité, que la fin des énergies fossiles est plus rapide que prévue, et que Nicolas Sarkozy est complètement à côté de la plaque vis-à-vis de cette problématique. Je n'évoque pas l'aspect compassionnel de Ségolène Royal envers les familles des pêcheurs qui ont mis la mer à sac, elle n'est pas aux affaires. Je constate simplement que faire de la politique, ce n'est pas détruire, c'est d'abord bâtir. On ne démolit que si cela est nécessaire.
    Donc Emmanuel tu ne te trompes pas, je mets bien les pieds dans le plat. ;-)

    By Blogger jpbb, at 4:04 PM  

  • Pierre avance vers le poste de Premier secrétaire, certes. Mais ne crains-tu pas qu'il rencontre Martine sur sa route?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 5:03 PM  

  • Tu crois qu'il va la culbutter ? Oh... :-)
    Sur le blog de Moscovici et celui de Michel Destot, je les invite à venir voir ta section à Saint-Quentin, histoire de mettre un peu d'animation et de secouer les vieilles lunes.
    J'adore prendre ce genre d'initiatives. ;-)

    By Blogger jpbb, at 5:30 PM  

  • Les rénovateurs socialistes de l'Aisne recherchent justement un invité pour la rentrée de septembre. J'espère que ton appel sera entendu et que la réponse viendra jusqu'à moi.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:10 PM  

  • jpbb et mousset: 2 vieux machins arriérés réac et pas trés francs, bref, ils voudraient etre reconnus comme politiques mais n'y arrivent pas.
    c'est dingue, non? vu le talent proposé, c'est du gachis.

    By Anonymous Anonyme, at 10:09 PM  

  • Croak...

    By Blogger jpbb, at 10:31 PM  

  • Emmanuel, je n'ai pas eu le plaisir de te rencontrer à Paris dimanche à la réunion des Reconstructeurs, mais comme tu envisages de venir à La Rochelle, ce n'est que partie remise. ;-)

    By Blogger jpbb, at 10:36 PM  

  • Super j'y serai aussi, on pourrait manger à trois!
    Mais au fait jpbb je croyais que tu nous avais dit que tu n'avais pas repris ta carte au PS. Tu as encore changé d'avis finalement?

    By Anonymous Anonyme, at 12:51 PM  

  • A l'avant-dernier anonyme:

    Je ne cherche pas à me faire reconnaître comme politique. Si c'était le cas, je m'y prendrais autrement, habilement. Mais je me moque de toute forme d'habileté. Je défends simplement des convictions que je crois vraies et importantes pour la gauche.

    Suis-je "réac" et "pas franc"? Je ne pense pas, je regrette que vous pensiez ça de moi.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:24 PM  

  • Ben oui mais on le pense et tu fais tout pour qu'on le pense.

    By Anonymous Anonyme, at 9:52 PM  

  • Alors vous pensez très mal. En conséquence, corrigez-moi ça très vite.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:57 PM  

  • Très très mal en fait, il s'imagine qu'on va lui payer le restau. Il veut me couper l'appétit ?

    By Blogger jpbb, at 2:57 PM  

  • C'est moi qui paye j'y tiens.

    By Anonymous Anonyme, at 9:49 PM  

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