L'Aisne avec DSK

28 mai 2008

Fin Mai.

Bonsoir à toutes et à tous.

Dimanche soir, France 3 a proposé un remarquable docu-fiction, "L'arbre de Mai", tiré des souvenirs et de l'ouvrage d'Edouard Balladur. Pourtant, je n'aime pas trop les docu-fictions, mélange artificiel et roublard de vérité et de romanesque, et je ne pense pas qu'Edouard Balladur soit le meilleur témoin pour nous parler de Mai 68. Erreur: c'était très réussi, intéressant, joué par un faux balladur plus vrai que nature (mais Pompidou n'était pas très ressemblant!).Surtout, j'en ai retenu sur Mai quelques leçons que nous avons tendance à occulter.

D'abord, nous avons oublié la fin du mois pour ne retenir que le reste, les barricades, les manifs joyeuses. Après trois semaines de grève générale, la France était paralysée, l'essence commençait à manquer, les détritus non ramassés s'entassaient au coin des rues. Le soulèvement ludique faisait progressivement place au désordre inquiétant. On sous-estime aujourd'hui ce qui s'est passé alors, et qu'il faut bien appeler par son nom: la décomposition de l'Etat. Ce mouvement que certains réduisent à une grosse révolte étudiante a entraîné ce que la société française a rarement connu dans le siècle, pas même en 1940: la déliquescence des structures administratives et politiques.

Balladur, qui était aux premières loges bien que dans les coulisses, confirme que l'autorité ne se faisait plus obéir. La société, dans les derniers jours de Mai, a failli basculer dans l'anarchie. Cette danse au dessus de l'abîme a été oubliée parce que la situation a été finalement redressée, certains diraient sauvées. Mais la France d'alors a véritablement connu une période, à la fin du mois, incontestablement révolutionnaire, et non pas seulement, comme dans les trois premières semaines, insurrectionnelle.

Il y a une date qui mériterait d'être réévaluée: le 29 mai. Ce jour-là, la CGT et le PCF, seuls, ont décidé de manifester, d'occuper la rue. Et ils vont massivement y parvenir, sans les gauchistes, sans les réformistes. Deux jour avant, à Charléty, la possibilité d'une solution réformiste à la crise n'a pas vu le jour. L'extrême gauche n'offre non plus aucune issue politique crédible. Il ne reste que le PCF, premier parti de France, puissant, organisé, et son syndicat, la CGT, qui est bien obligé de coller aux aspirations des travailleurs, après le camouflet de Grenelle. Et là, de Gaulle, la droite, une partie de la bourgeoisie prennent peur. Là, si les communistes l'avaient voulu, le pouvoir était à portée de main. Le 29 mai, le PCF pavoise, tient la rue, fait une démonstration de force... mais pas la révolution.

De son côté, de Gaulle a compris: le 29 mai, c'est le retour de la politique, c'est-à-dire des rapports de forces et des enjeux de pouvoir, ce qui est beaucoup plus sérieux et dangereux que des barricades et des lancements de pavés. Le PCF pousse son avantage, de Gaulle aussi: l'Etat se décompose? Eh bien il s'en va à Baden-Baden, parce que la force, pour la droite, c'est l'armée, et il faut s'assurer de son soutien quand plus rien d'autres ne tient. Après en avoir reçu l'assurance, de Gaulle revient et fait ce qu'il a toujours fait, à Londres ou à Alger: de la politique. Son intervention à la radio est très politisée et très musclée. Il dramatise, évoque le risque de dictature, appelle les Français à manifester (eh oui, lui aussi s'y met!). Résultat: un million de gaullistes, d'anti-68 sur les Champs-Elysées. Pour la droite, c'est gagné, pour la gauche, c'est fini.

De cet évènement, je tire un enseignement: en politique, il faut faire de la politique, poser les problèmes en termes de pouvoir. C'est pourquoi le mouvement de Mai n'est pas fondamentalement politique mais plutôt culturel. Ce n'est qu'à la fin, et pour achever le mouvement, que la politique apparaît. Autre leçon de ce docu-fiction: Balladur, qui ne m'a jamais marqué ni impressionné, est un homme plus fin que je ne l'imaginais. Il comprend 1968, refuse avec Pompidou la manière forte, se distingue sur ce point de de Gaulle. Aujourd'hui, il ne se dit pas hostile à Mai, il lui reconnaît une certaine "fraîcheur". Nous sommes loin du jugement de celui qui l'a un temps suivi, Nicolas Sarkozy. J'avais oublié que Balladur, c'était la droite intelligente.


Bonne nuit.

8 Comments:

  • un jour j'espere que vous pourrez réfléchir et anticiper,
    plutot que de toujours tout découvrir quand il est trop tard.

    c'est rare de vous voir faire un compliment au président.
    Si Balladur c'est la droite intelligente
    alors Chirac ne l'était pas.
    Donc, le président en choisissant Balladur en son temps n'a pas trahi mais fait le choix de l'intelligence.
    Dans 20a, à ce rythme là, vous trouverez du génie à Sarkozy

    c terrible pour EM ces conclusions là,
    ça remet en cause énormément de positions qu'il a pu tenir.
    Car attendre qu'il prenne sa retraite pour découvrir de la finesse à Balladur,
    cela a de quoi laisser reveur sur vos compétences d'analystes politiques.

    By Blogger grandourscharmant, at 11:47 PM  

  • Vous me mettez au défi de faire un compliment au Président. Chiche!

    Nicolas Sarkozy, lors de son voyage en Pologne, a dénoncé "le fantasme du plombier polonais", qui s'était développé en France en 2005. Il s'est réjoui de l'ouverture de notre marché du travail aux pays anciennement communistes, à partir du 1er juillet. Moi aussi. Compliment.

    Content, l'ours?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:42 PM  

  • Choisit ton camp camarade !

    hier, on m'envoie en liste noire,
    aujourd'hui, on prétend me faire plaisir alors que je n'ai rien demandé.

    C'est flatteur pour mon égo, ça pourrait m'amener à me considérer incontournable.

    Soyons sérieux, il y a bien trop de sentimentalisme dans tout ça,
    il faut savoir se détacher des passions humaines.

    Quand le pouvoir est à porté de main et qu'on ne le prend pas, c'est qu'on n'en veut pas.
    D'où la difficulté d'etre président, bcp prétendent vouloir exercer le pouvoir alors qu'ils n'en ont aucune envie.
    Car le pouvoir, ce n'est pas que la liberté,ce sont aussi des contraintes.

    By Blogger grandourscharmant, at 3:00 PM  

  • Il ne suffit pas de "vouloir" le pouvoir (on peut facilement vouloir n'importe quoi), il faut surtout "pouvoir" y accéder. Vouloir sans pouvoir, c'est rien, ou n'importe quoi. La question que doit se poser le politique n'est pas: Est-ce que je veux? Mais: Est-ce que je peux? Et il ne faut pas vouloir ce qu'on ne peut pas avoir.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:31 PM  

  • finalement mai 68 aura été le moment
    où l'arrivée du ps au pouvoir est devenue envisageable

    Mai 2008 aura marqué la fin du ps

    quel bloc choisirez vous quand le parti implosera
    l'aile droite qui rejoindra le centre
    les loyalistes au ps
    l'aile gauche qui rejoindra besancenot.

    ce qui est bien c'est qu'avec l'exemple du fn, on sait que les cadres d'un parti ne font pas forcément le parti

    By Blogger grandourscharmant, at 12:42 PM  

  • La fin du PS? Vous rêvez en plein jour... Le coup du PS qui va imploser, on le fait depuis la création du PS. Mais si cela devait arriver, je choisirais le camp des loyalistes, puisque cela a toujours été mon camp.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:39 PM  

  • Je ne reve pas
    je constate juste que ceux qui en reve sont de plus en plus nombreux
    surtout dans les rangs du ps.

    vous etes toujours aussi émotif ?

    By Blogger grandourscharmant, at 12:42 AM  

  • Emotif, oui, cette semaine, lorsque j'ai découvert les premières photos de Mars envoyées par Phoenix. A part ça, non.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:26 PM  

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