L'Europe et ses peurs.
L'Europe, encore et toujours. C'est peut-être notre dernière grande aventure, l'ultime occasion pour les vieilles nations du continent de jouer un rôle dans l'Histoire. Mais nos élites le veulent-elles? Et nos peuples en ont-ils envie? Il faudrait pour cela aimer l'aventure, au bon sens de ce terme: prendre des risques, accepter de ne pas tout savoir de l'avenir, faire preuve de courage. Droite ou gauche, qui éprouve ce désir dans les sociétés modernes?
Souvenez-vous la dernière présidentielle, Sarko-Ségo: d'un côté le besoin de sécurité, de l'autre la démocratie participative, le besoin d'être écouté. Les deux, pourtant très différents, se rejoignaient, complétaient un même profil, celui d'une France qui aspire à devenir un immense canton suisse, où tout est propre, tranquille, "sécurisé" (côté Sarko) et où les citoyens n'en font qu'à leur tête (côté Ségo), un peuple préoccupé par des histoires de coucous, voilà comment parfois je sens la France d'aujourd'hui. La France? Mais aussi l'Irlande, mais aussi la Hollande, et l'ensemble de ces pays dont le confort a tué l'esprit d'aventure, et qui n'osent plus s'engager dans l'aventure européenne. Des pays qui n'ont qu'un dernier rêve: devenir une nouvelle et vaste Suisse.
Au départ de l'aventure européenne, il y a plus de 60 ans, quand la fatigue n'avait pas atteint les esprits, qui avait-il? La peur. L'Europe s'est construite, à l'origine, sur la peur de la guerre, la peur du retour de l'horreur. Et puis, pendant 40 ans, c'est la peur du communisme qui a motivé la construction européenne, à travers un paradoxe aujourd'hui levé: une moitié de l'Europe, l'Ouest, se protégeait de l'autre moitié, l'Est. De ces peurs naissaient des valeurs, car on ne bâtit rien sur des angoisses stériles: la paix pour conjurer la guerre, la démocratie pour contrer le communisme. Ces peurs étaient d'autant plus puissantes que pour beaucoup, le communisme, c'était la guerre. Ces valeurs étaient d'autant plus fortes que la démocratie assurait le triomphe de la paix.
Les peuples d'Europe ont vécu une bonne quarante d'années là-dessus, jusqu'autour de 1990, où le continent a basculé, où une page de son histoire a été tournée. La guerre, les générations passant, la paix s'installant, n'a plus été qu'un vague souvenir incapable de faire peur à qui que ce soit, un épouvantail pour enfants. Le communisme, en s'effondrant, a dissipé totalement la peur qu'il provoquait, et dont on a oublié aujourd'hui l'intensité fantasmatique (les chars soviétiques sur les Champs-Elysées, menaçait un ministre de l'Intérieur à la fin des années 70!). La démocratie s'est si bien répandue, si bien adaptée à l'Europe qu'on ne fait plus attention à elle. On ne désire pas ce qu'on a. Oubliées les dictatures en Europe, Espagne, Portugal, Grèce et "démocraties populaires".
Bref, l'Europe était forte, les peuples y croyaient, quand la peur était là. C'est désolant mais c'est ainsi. L'Europe est-elle donc finie? Non, car la peur n'a pas totalement disparu. Le pourrait-elle d'ailleurs, n'est-elle pas un sentiment humain? Mais la peur a changé d'orientation. De quoi les peuples d'Europe ont-ils peur? Du monde, de ce vaste monde qui envahit tout, alors que pendant des siècles, c'est l'Europe qui l'envahissait, le colonisait. Ce renversement de perspective a de quoi faire peur. On appelle ça "mondialisation". La France fait-elle le poids face à la croissance du monde? Evidemment non. Comment peut-elle l'affronter, s'y adapter? Evidemment à travers la construction européenne. Pour justifier l'Europe, pour ramener les citoyens vers elle, il faut leur parler du monde, de ses menaces, de ses peurs.
Mais faire peur est-il la seule issue? Bien sûr que non. Je n'aime pas la peur mais je suis bien obligé de constater son efficacité. Peut-on y échapper, peut-on fonder une action politique sur autre chose que la peur? Je crois que oui. Prenez la droite française: pendant 70 ans, autour de quoi s'est-elle structurée? La peur du communisme. L'anticommunisme était chez elle un moteur essentiel, une seconde nature qui alimentaient son développement, sa survie. Le PCF fait à peine 2%, l'ennemi interne a quasiment disparu, l'anticommunisme n'est plus qu'un souvenir comique. Et pourtant la droite est toujours là, elle s'est adaptée, ce vide ne l'a pas empêchée de gagner.
La gauche doit aussi en tirer des leçons. Son ennemi à elle, c'était le capitalisme, et l'anticapitalisme a joué à gauche ce que l'anticommunisme a joué à droite. Certes le capitalisme, à la différence du communisme, est toujours là, certes l'extrême gauche continue à cultiver la peur "antilibérale". Mais la gauche pourrait aussi, comme la droite, songer à ne plus s'inventer d'ennemis, à faire de la politique autrement qu'en se faisant peur. Idem pour l'Europe: la peur du monde bien sûr existe, mais on ne construit rien exclusivement sur la peur. Il faut autre chose, un autre sentiment: l'espoir. L'aventure européenne doit retrouver et se fabriquer les chemins de l'espoir.
Bonne fin d'après-midi.
Souvenez-vous la dernière présidentielle, Sarko-Ségo: d'un côté le besoin de sécurité, de l'autre la démocratie participative, le besoin d'être écouté. Les deux, pourtant très différents, se rejoignaient, complétaient un même profil, celui d'une France qui aspire à devenir un immense canton suisse, où tout est propre, tranquille, "sécurisé" (côté Sarko) et où les citoyens n'en font qu'à leur tête (côté Ségo), un peuple préoccupé par des histoires de coucous, voilà comment parfois je sens la France d'aujourd'hui. La France? Mais aussi l'Irlande, mais aussi la Hollande, et l'ensemble de ces pays dont le confort a tué l'esprit d'aventure, et qui n'osent plus s'engager dans l'aventure européenne. Des pays qui n'ont qu'un dernier rêve: devenir une nouvelle et vaste Suisse.
Au départ de l'aventure européenne, il y a plus de 60 ans, quand la fatigue n'avait pas atteint les esprits, qui avait-il? La peur. L'Europe s'est construite, à l'origine, sur la peur de la guerre, la peur du retour de l'horreur. Et puis, pendant 40 ans, c'est la peur du communisme qui a motivé la construction européenne, à travers un paradoxe aujourd'hui levé: une moitié de l'Europe, l'Ouest, se protégeait de l'autre moitié, l'Est. De ces peurs naissaient des valeurs, car on ne bâtit rien sur des angoisses stériles: la paix pour conjurer la guerre, la démocratie pour contrer le communisme. Ces peurs étaient d'autant plus puissantes que pour beaucoup, le communisme, c'était la guerre. Ces valeurs étaient d'autant plus fortes que la démocratie assurait le triomphe de la paix.
Les peuples d'Europe ont vécu une bonne quarante d'années là-dessus, jusqu'autour de 1990, où le continent a basculé, où une page de son histoire a été tournée. La guerre, les générations passant, la paix s'installant, n'a plus été qu'un vague souvenir incapable de faire peur à qui que ce soit, un épouvantail pour enfants. Le communisme, en s'effondrant, a dissipé totalement la peur qu'il provoquait, et dont on a oublié aujourd'hui l'intensité fantasmatique (les chars soviétiques sur les Champs-Elysées, menaçait un ministre de l'Intérieur à la fin des années 70!). La démocratie s'est si bien répandue, si bien adaptée à l'Europe qu'on ne fait plus attention à elle. On ne désire pas ce qu'on a. Oubliées les dictatures en Europe, Espagne, Portugal, Grèce et "démocraties populaires".
Bref, l'Europe était forte, les peuples y croyaient, quand la peur était là. C'est désolant mais c'est ainsi. L'Europe est-elle donc finie? Non, car la peur n'a pas totalement disparu. Le pourrait-elle d'ailleurs, n'est-elle pas un sentiment humain? Mais la peur a changé d'orientation. De quoi les peuples d'Europe ont-ils peur? Du monde, de ce vaste monde qui envahit tout, alors que pendant des siècles, c'est l'Europe qui l'envahissait, le colonisait. Ce renversement de perspective a de quoi faire peur. On appelle ça "mondialisation". La France fait-elle le poids face à la croissance du monde? Evidemment non. Comment peut-elle l'affronter, s'y adapter? Evidemment à travers la construction européenne. Pour justifier l'Europe, pour ramener les citoyens vers elle, il faut leur parler du monde, de ses menaces, de ses peurs.
Mais faire peur est-il la seule issue? Bien sûr que non. Je n'aime pas la peur mais je suis bien obligé de constater son efficacité. Peut-on y échapper, peut-on fonder une action politique sur autre chose que la peur? Je crois que oui. Prenez la droite française: pendant 70 ans, autour de quoi s'est-elle structurée? La peur du communisme. L'anticommunisme était chez elle un moteur essentiel, une seconde nature qui alimentaient son développement, sa survie. Le PCF fait à peine 2%, l'ennemi interne a quasiment disparu, l'anticommunisme n'est plus qu'un souvenir comique. Et pourtant la droite est toujours là, elle s'est adaptée, ce vide ne l'a pas empêchée de gagner.
La gauche doit aussi en tirer des leçons. Son ennemi à elle, c'était le capitalisme, et l'anticapitalisme a joué à gauche ce que l'anticommunisme a joué à droite. Certes le capitalisme, à la différence du communisme, est toujours là, certes l'extrême gauche continue à cultiver la peur "antilibérale". Mais la gauche pourrait aussi, comme la droite, songer à ne plus s'inventer d'ennemis, à faire de la politique autrement qu'en se faisant peur. Idem pour l'Europe: la peur du monde bien sûr existe, mais on ne construit rien exclusivement sur la peur. Il faut autre chose, un autre sentiment: l'espoir. L'aventure européenne doit retrouver et se fabriquer les chemins de l'espoir.
Bonne fin d'après-midi.
3 Comments:
C'est un bon texte. ;-)
By jpbb, at 6:59 PM
Texte auquel il manque l'essentiel: l'économie.
Voir l'Europe et sa construction à travers la peur de la guerre et du communisme est extremement réducteur. L'Europe c'est aussi et avant tout la communauté économique du charbon et de l'acier au départ...jusqu'à l'euro etc...
By Anonyme, at 8:56 PM
Vous avez raison, mais mon objectif était d'évoquer la dimension politique de l'Europe, qui existe et qui est trop souvent oubliée. Mais l'économie est essentielle, c'est vrai.
By Emmanuel Mousset, at 9:14 PM
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