L'Aisne avec DSK

07 août 2008

Hautmont l'apocalypse.

Le drame de l'été, celui qu'on retient, celui qui a le plus profondément affecté les Français ces dernières semaines, ce sont les conséquences de la tornade qui s'est abattue sur Hautmont, dans le Nord. Quoi de plus normal, me direz-vous? Non, je ne suis pas certain que tout peuple, à toute époque, soit marqué par les mêmes événements. Ce choc nous apprend quelque chose sur la société contemporaine, l'état de l'opinion. Quoi?

1- L'identification possible. Hautmont, c'est nous, une petite ville comme il en existe des dizaines de milliers, qui font le tissu social de la France, qu'on a tendance à oublier, parce que la ruralité, cette France qualifiée avec dédain de "profonde", est moins bien considérée que le monde urbain des grandes agglomérations, associées à la modernité. Comment oublier que nous sommes dans ce Nord que la France entière a aimé en allant voir par millions "Bienvenue chez les Chtis"? Après les rires, les larmes.

2- Un désastre exceptionnel. 3 morts, 18 blessés, 700 logements endommagés et détruits, un septuagénaire qui met fin à ses jours devant l'ampleur des dégâts. Si le mot de drame a un sens, c'est bien dans ces conditions-là. "Les gens sont perdus, c'est impressionnant", constate une secouriste de la Croix-Rouge. Les victimes utilisent des mots qui dépassent l'entendement: "apocalypse", "fin du monde", "scènes de guerre". A regarder les images, une réaction nous vient immédiatement: une ville bombardée!

3- La peur de la nature. Le monde moderne, avec ses progrès technologiques, a cru conjurer cette peur primaire, que l'humanité a subi pendant des millénaires. Nous avons vaincu et domestiqué les bêtes, seuls quelques ours soulèvent des passions inquiètes, mais les éléments, le climat nous échappent et ont encore le pouvoir de nous écraser. Cette défaite nous est insupportable, nous qui dominons une petite partie de l'univers et sommes cependant broyés par une simple tornade particulièrement violente.

Hier, j'ai appelé le parc Jean-Jacques Rousseau dans l'Oise, pour une éventuelle visite aujourd'hui. La dame à l'accueil m'en a dissuadé. Devant son ordinateur, elle savait que l'alerte orange avait été lancée sur toute une tranche du territoire. Ce matin, j'ai appris l'offensive, en me levant, sous l'orage, la pluie, le vent. La bataille faisait rage de mon cher Berry jusqu'à ma chère Picardie. A Méry-Es-Bois, dans le nord du Cher, où enfant j'allais en retraite religieuse, la nature a tué, dans un camping, une jeune fille. La nature, la mort, un couple que nous avions oubliée, que nous redécouvrons stupéfaits, incrédules, à l'occasion du drame d'Hautmont.

4- La misère humaine. Comme si les méfaits de la nature ne suffisaient pas, Hautmont doit se protéger des êtres humains. Des CRS contrôlent les quartiers pour éviter... les pillages. La menace des voleurs, le retour des misérables au sens le plus péjoratif, des familles qui transportent leurs meubles, leurs affaires: sommes-nous en France ou dans un quartier pauvre d'Amérique, la bourgade d'un pays sous-développé? C'est cela qui marque, qui frappe, qui choque, qu'on n'accepte pas.

5- La pingrerie de la France d'en haut. Il n'y a pas aujourd'hui de mouvement profond de l'opinion sans remise en cause des dirigeants, des élus, des responsables, des "élites", par les "simples citoyens". Juste ou injuste, vrai ou faux, ce n'est pas ce que je recherche, mais d'analyser les clichés qui font que l'opinion s'émeut, qu'elle s'identifie, qu'elle adhère. A Hautmont, l'Etat a pris ses précautions, la ministre de l'Intérieur est venue sur place, a satisfait au devoir de compassion. Pas de polémique, pour une fois, sur la lenteur ou l'insuffisance des secours. Mais les critiques sont perceptibles, affleurent tout de même: pourquoi n'avoir pas fait appel à l'armée (puisque nous sommes en guerre...)? Surtout, l'aide financière fait grimacer par son insuffisance: 300000 euros en urgence, 150 euros par adulte et 75 euros par enfant. Le gouvernement a pris conscience que l'événement pouvait se retourner contre lui: d'autres ministres se rendront sur place, la procédure en reconnaissance de catastrophe naturelle est enclenchée. Pas question de laisser penser que la France d'en haut aurait le coeur sec.

6- La générosité de la France d'en bas. L'opinion se mobilise, veut aider, s'informe, envoie des dons, les personnalités, Gilbert Montagnier, Dany Boon, le directeur du Tour de France et bien d'autres, s'engagent, le monde associatif se mobilise, c'est sans doute la meilleure preuve que ce drame est vraiment celui de l'été 2008. Bons citoyens contre mauvais représentants, le clivage est forcé, mais il est là, en filigrane, comme souvent depuis une quinzaine d'années dans ce genre de situation. Même si cette fois, prévenu par l'expérience, l'Etat ne le laissera sans doute pas s'installer.


Bonne fin d'après-midi.