Les pour-contre.
Bonjour à toutes et à tous.
En parcourant ma pile de coupures de presse soigneusement découpées, pliées et rangées, je tombe ce matin sur un article pas si vieux, L'Union du 24 juillet, qui m'avait stupéfait et que j'avais donc conservée, en attendant de vous en parler. Je le fais aujourd'hui.
Le "chapeau" de l'article avait retenu mon attention, vous allez comprendre pourquoi. Le voilà: "Un couple "écolo" s'oppose à un projet de neuf éoliennes (...) Pourtant, ils ne sont pas contre l'énergie éolienne..." Bizarre, bizarre, des pour-contre, en quelque sorte. L'Aisne est un département venteux, la Manche n'est pas loin, les éoliennes se multiplient et enrichissent la région, mais les opposants sont très virulents. Ce ne sont jamais des écolos, puisque ceux-ci prônent au contraire le développement de cette énergie douce. Et puis, être pour-contre, c'est impossible, c'est même débile, même quand on ignore tout du principe de non contradiction tel que l'a exposé Aristote. Creusons:
Les Mugler (c'est le nom du couple écolo) sont des parisiens qui ont une résidence secondaire dans le village de Saint-Rémy-Blanzy. Lui, Olivier, est commerçant dans le bio. Tous les deux sont des militants actifs, et le journaliste qui les a rencontrés le souligne: "Le couple n'est absolument pas contre l'éolien." Qu'est-ce qui fait alors qu'ils sont contre, mais en restant pour?! Simple: l'installation de 9 éoliennes à 1500 mètres de leur jardin. Et pourquoi? Qu'est-ce qui les dérange? Deux choses:
1- Pour Olivier, c'est la "pollution visuelle". Bizarre, bizarre: la pollution est une dégradation de l'environnement, généralement par des moyens chimiques, qui entraîne des nuisances. Le mot ne s'applique absolument pas à la situation présente. Disons plus clairement que les Mugler ne trouvent pas très jolies les éoliennes, ce qui est leur droit esthétique le plus strict. Mais de là à parler de "pollution", il y a un abus de langage, qui plus est parler de "pollution visuelle", une expression contradictoire puisque la pollution est un phénomène actif, qui ne se limite pas à quelque chose de "visuel". Ou alors il faudrait que les yeux par eux-mêmes souffrent, ce qui n'est pas le cas. Seul le bon goût esthétique des époux Mugler est affecté. A moins de faire subir au terme de "pollution" une extension outrée, une distorsion métaphorique qui lui font perdre son sens premier, comme les "pollutions nocturnes" désignant les éjaculations inopinées des adolescents.
2- Pour Pascale, "on quitte Paris et on arrive dans un site qui s'industrialise". Là encore, à la façon de la pollution, un mot très référencé dans le vocabulaire écologiste est utilisé hors de propos. L'industrie désigne une activité économique qui produit des biens matériels par la transformation de matières premières. Le vent est-il une matière première, l'électricité est-elle un bien matériel? Pourquoi pas, mais on sent bien que les mots sont exagérément tirés de leur usage ordinaire. Le sens commun mettra une usine ou une mine dans le domaine de l'industrie, pas un parc d'éoliennes, qui évoque plutôt la société post-industrielle.
Bref, Olivier et Pascale s'efforcent de donner une cohérence (les écolos sont logiquement hostiles à la pollution et critiques envers l'industrie) à leur incohérence (pour l'éolien, mais pas chez eux). Vous me direz peut-être que vouloir quelque chose sauf au bout de son jardin, c'est aussi une forme de cohérence. Non, pas quand on est militant écologiste. Car supposons que tout le monde raisonne ainsi, refuse la fameuse "pollution visuelle", partout où il y a des yeux, partout les éoliennes seront refusées. Quand on vient de Laon et qu'on apprécie le panorama de Saint-Quentin, on découvre que notre basilique se découpe sur fond d'éoliennes. Ne serait-on pas justifié à dénoncer la "pollution visuelle", "l'industrialisation" du paysage? La cohérence consiste à vouloir pour les autres ce qu'on veut pour soi, cohérence, justice et égalité. Sinon on est dans le grand n'importe quoi.
Olivier et Pascale ont-ils conscience de leur incohérence? Se contredisent-ils par ignorance? Absolument pas, et c'est sans doute le plus révélateur dans leur mentalité. Lisez ce qu'en dit le journaliste: "Ils en rigolent eux-mêmes". "C'est ironique, non? lance, amusée, Pascale Mugler." Depuis que les hommes existent, ils se sont contredits, parce que la cohérence est une exigence à laquelle il n'est pas toujours aisé de satisfaire. Mais cette incohérence était dissimulée, niée ou honteusement assumée. Avec Olivier et Pascale, bien dans l'esprit de notre époque, la contradiction devient joyeuse, l'incohérence ne provoque aucune gêne mais au contraire rigolade, ironie et amusement, pour reprendre les termes du journal. C'est une vraie évolution, et même une révolution, une inversion dans l'état d'esprit de l'opinion publique, la défaite d'Aristote.
A propos d'Aristote, celui-ci articulait son principe de non contradiction à un autre concept, qui donne tout son sens au premier: la vérité. Car si vous ne recherchez ou ne respectez pas une vérité, vous n'avez plus aucune obligation à la cohérence, à la non contradiction, vous pouvez vous permettre de dire n'importe quoi, une chose et son contraire par exemple. Or, chez Olivier et Pascale, où est la vérité? Dans la "pollution visuelle", dans l'industrialisation du site, contre quoi ils s'insurgeraient? Nous avons vu que ces mots étaient inappropriés. Je me permets alors une hypothèse: et si la vérité était ailleurs?
Je dis bien: une hypothèse, car la vérité, étant un objectif difficile, oblige à la modestie et à la prudence. L'hypothèse est la suivante: les Mugler, "pas encore 50 ans" précise l'article, ont une maison qu'ils revendront probablement dans une vingtaine d'années, quand ils seront à la retraite, commenceront à vieillir et songeront à un appartement en ville ou une résidence dans le sud. Mais que vaudra leur maison avec ces éoliennes tout près? Sans doute beaucoup moins que sa valeur de départ. Ne serait pas ce prévisible manque à gagner qui provoquerait, légitimement, leur colère? A aucun moment, le journaliste, Laurent Tourneux, n'envisage ce qui reste une hypothèse. Il fallait bien que je m'enhardisse à la faire.
Qu'est-ce qui m'a mis la puce à l'oreille? Cette remarque d'un des membres du couple, nouvelle justification pour rendre compte de son incompréhensible hostilité envers une décision qui devrait normalement les réjouir: "Généralement, ce type de projet industriel est soutenu par de grosses entreprises qui ne voient que leurs intérêts financiers. C'est ça aussi qui me gêne." L'intérêt financier? Oui, sûrement, les entreprises y pensent, et c'est normal. Mais je me suis dis: et les particuliers, n'y pensent-ils pas aussi? Ce qui expliquerait ce qui au départ était inexplicable, ce surprenant pour-contre d'Olivier et de Pascale.
Bonne fin de matinée.
En parcourant ma pile de coupures de presse soigneusement découpées, pliées et rangées, je tombe ce matin sur un article pas si vieux, L'Union du 24 juillet, qui m'avait stupéfait et que j'avais donc conservée, en attendant de vous en parler. Je le fais aujourd'hui.
Le "chapeau" de l'article avait retenu mon attention, vous allez comprendre pourquoi. Le voilà: "Un couple "écolo" s'oppose à un projet de neuf éoliennes (...) Pourtant, ils ne sont pas contre l'énergie éolienne..." Bizarre, bizarre, des pour-contre, en quelque sorte. L'Aisne est un département venteux, la Manche n'est pas loin, les éoliennes se multiplient et enrichissent la région, mais les opposants sont très virulents. Ce ne sont jamais des écolos, puisque ceux-ci prônent au contraire le développement de cette énergie douce. Et puis, être pour-contre, c'est impossible, c'est même débile, même quand on ignore tout du principe de non contradiction tel que l'a exposé Aristote. Creusons:
Les Mugler (c'est le nom du couple écolo) sont des parisiens qui ont une résidence secondaire dans le village de Saint-Rémy-Blanzy. Lui, Olivier, est commerçant dans le bio. Tous les deux sont des militants actifs, et le journaliste qui les a rencontrés le souligne: "Le couple n'est absolument pas contre l'éolien." Qu'est-ce qui fait alors qu'ils sont contre, mais en restant pour?! Simple: l'installation de 9 éoliennes à 1500 mètres de leur jardin. Et pourquoi? Qu'est-ce qui les dérange? Deux choses:
1- Pour Olivier, c'est la "pollution visuelle". Bizarre, bizarre: la pollution est une dégradation de l'environnement, généralement par des moyens chimiques, qui entraîne des nuisances. Le mot ne s'applique absolument pas à la situation présente. Disons plus clairement que les Mugler ne trouvent pas très jolies les éoliennes, ce qui est leur droit esthétique le plus strict. Mais de là à parler de "pollution", il y a un abus de langage, qui plus est parler de "pollution visuelle", une expression contradictoire puisque la pollution est un phénomène actif, qui ne se limite pas à quelque chose de "visuel". Ou alors il faudrait que les yeux par eux-mêmes souffrent, ce qui n'est pas le cas. Seul le bon goût esthétique des époux Mugler est affecté. A moins de faire subir au terme de "pollution" une extension outrée, une distorsion métaphorique qui lui font perdre son sens premier, comme les "pollutions nocturnes" désignant les éjaculations inopinées des adolescents.
2- Pour Pascale, "on quitte Paris et on arrive dans un site qui s'industrialise". Là encore, à la façon de la pollution, un mot très référencé dans le vocabulaire écologiste est utilisé hors de propos. L'industrie désigne une activité économique qui produit des biens matériels par la transformation de matières premières. Le vent est-il une matière première, l'électricité est-elle un bien matériel? Pourquoi pas, mais on sent bien que les mots sont exagérément tirés de leur usage ordinaire. Le sens commun mettra une usine ou une mine dans le domaine de l'industrie, pas un parc d'éoliennes, qui évoque plutôt la société post-industrielle.
Bref, Olivier et Pascale s'efforcent de donner une cohérence (les écolos sont logiquement hostiles à la pollution et critiques envers l'industrie) à leur incohérence (pour l'éolien, mais pas chez eux). Vous me direz peut-être que vouloir quelque chose sauf au bout de son jardin, c'est aussi une forme de cohérence. Non, pas quand on est militant écologiste. Car supposons que tout le monde raisonne ainsi, refuse la fameuse "pollution visuelle", partout où il y a des yeux, partout les éoliennes seront refusées. Quand on vient de Laon et qu'on apprécie le panorama de Saint-Quentin, on découvre que notre basilique se découpe sur fond d'éoliennes. Ne serait-on pas justifié à dénoncer la "pollution visuelle", "l'industrialisation" du paysage? La cohérence consiste à vouloir pour les autres ce qu'on veut pour soi, cohérence, justice et égalité. Sinon on est dans le grand n'importe quoi.
Olivier et Pascale ont-ils conscience de leur incohérence? Se contredisent-ils par ignorance? Absolument pas, et c'est sans doute le plus révélateur dans leur mentalité. Lisez ce qu'en dit le journaliste: "Ils en rigolent eux-mêmes". "C'est ironique, non? lance, amusée, Pascale Mugler." Depuis que les hommes existent, ils se sont contredits, parce que la cohérence est une exigence à laquelle il n'est pas toujours aisé de satisfaire. Mais cette incohérence était dissimulée, niée ou honteusement assumée. Avec Olivier et Pascale, bien dans l'esprit de notre époque, la contradiction devient joyeuse, l'incohérence ne provoque aucune gêne mais au contraire rigolade, ironie et amusement, pour reprendre les termes du journal. C'est une vraie évolution, et même une révolution, une inversion dans l'état d'esprit de l'opinion publique, la défaite d'Aristote.
A propos d'Aristote, celui-ci articulait son principe de non contradiction à un autre concept, qui donne tout son sens au premier: la vérité. Car si vous ne recherchez ou ne respectez pas une vérité, vous n'avez plus aucune obligation à la cohérence, à la non contradiction, vous pouvez vous permettre de dire n'importe quoi, une chose et son contraire par exemple. Or, chez Olivier et Pascale, où est la vérité? Dans la "pollution visuelle", dans l'industrialisation du site, contre quoi ils s'insurgeraient? Nous avons vu que ces mots étaient inappropriés. Je me permets alors une hypothèse: et si la vérité était ailleurs?
Je dis bien: une hypothèse, car la vérité, étant un objectif difficile, oblige à la modestie et à la prudence. L'hypothèse est la suivante: les Mugler, "pas encore 50 ans" précise l'article, ont une maison qu'ils revendront probablement dans une vingtaine d'années, quand ils seront à la retraite, commenceront à vieillir et songeront à un appartement en ville ou une résidence dans le sud. Mais que vaudra leur maison avec ces éoliennes tout près? Sans doute beaucoup moins que sa valeur de départ. Ne serait pas ce prévisible manque à gagner qui provoquerait, légitimement, leur colère? A aucun moment, le journaliste, Laurent Tourneux, n'envisage ce qui reste une hypothèse. Il fallait bien que je m'enhardisse à la faire.
Qu'est-ce qui m'a mis la puce à l'oreille? Cette remarque d'un des membres du couple, nouvelle justification pour rendre compte de son incompréhensible hostilité envers une décision qui devrait normalement les réjouir: "Généralement, ce type de projet industriel est soutenu par de grosses entreprises qui ne voient que leurs intérêts financiers. C'est ça aussi qui me gêne." L'intérêt financier? Oui, sûrement, les entreprises y pensent, et c'est normal. Mais je me suis dis: et les particuliers, n'y pensent-ils pas aussi? Ce qui expliquerait ce qui au départ était inexplicable, ce surprenant pour-contre d'Olivier et de Pascale.
Bonne fin de matinée.
1 Comments:
pour une fois, on ne brasse pas du vent.
Intérets collectifs contre intérets particuliers.
Mais apres quand on est vraiment écolo, on ne multiplie pas les résidences, on ne multiplie pas les déplacements inutiles.
Attention aux étiquettes, c'est facile de vouloir faire croire qu'on est ce qu'on n'est pas.
Il ne suffit pas de prétendre pour etre.
By grandourscharmant, at 3:08 PM
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