L'amour en vacances.
Avez-vous remarqué? En été, les magazines papier ou télé nous submergent d'articles, enquêtes, reportages, sondages de toute sorte sur l'amour en vacances. Jacques Julliard a eu une idée originale dans Le Nouvel Observateur: au lieu de traiter de l'amour, il a choisi... la haine. Encore plus original: au lieu de parler des Français en général, il s'est intéressé... aux socialistes en particulier. Ses premiers mots, qui donnent le ton et résument sa tribune: "Chers socialistes, vous ne vous aimez pas." J'ai retenu cette phrase:
"Comment des êtres humains normaux peuvent-ils respirer et accepter volontairement de vivre dans des atmosphères aussi empoisonnées? C'est pour moi un mystère."
D'abord, je confirme: les socialistes ne s'aiment pas. Je le confirme par expérience, "sur le terrain", comme on dit aujourd'hui. Et je suis d'accord avec Jacques Julliard lorsqu'il demande, à la fin de sa réflexion, "entre militants socialistes un minimum d'amitié, d'estime, de solidarité". A part ça, je ne suis pas d'accord avec l'éditorialiste du Nouvel Obs. Pour plusieurs raisons:
En tant qu'historien, Julliard devrait comprendre, et rappeler, que la politique est une activité qui génère la haine, beaucoup plus que ne le font le ping-pong ou la pêche à la ligne. Pourquoi? Parce cette activité met en jeu des convictions intimes, d'ordre idéologique, dont la finalité est la conquête ou la conservation du pouvoir. La haine s'y développe donc aisément. L'histoire de l'humanité nous montre sans surprise que le pouvoir et la haine sont liés. Shakespeare, parmi d'autres, le décrit très bien. N'y aurait-il que Jacques Julliard et notre société moderne pour s'en étonner et s'en offusquer?
D'autre part, qui dit haine dit aussi amour. La psychologie la plus élémentaire nous apprend ça. Il y a même des formes de haine qui sont des manifestations contrariées de l'amour! J'ai connu, en politique, des militants adhérés aveuglément, quasi amoureusement à certains leaders, au niveau national comme au niveau local. Et je peux là aussi en témoigner: cet amour n'est pas meilleur que la haine, car l'un est aussi irrationnel que l'autre.
Et puis, chez les socialistes, la haine, ce n'est pas nouveau! Je me souviens d'un ouvrage de quelqu'un que Julliard connaît bien, Schneider, paru au début des années 90, "La haine tranquille", qui racontait les déchirements du PS entre mitterrandistes et rocardiens. Vous me direz sans doute: oui, mais à l'époque, il y avait un fond d'idéologie dans ces affrontements. Admettons, mais en quoi cela justifie-t-il la haine, qui reste la même, et aussi forte, avec ou sans idéologie?
Personnellement, être haï ne me gêne nullement. J'en éprouve même parfois, ne le répétez pas, une petite pointe de plaisir, une forme ténue de jouissance. C'est plutôt un bon signe d'existence politique, même si évidemment on ne peut pas s'en satisfaire, en rester là. La haine est une réalité dont il faut savoir faire abstraction quand on milite, point. Eh puis, les Français attendent-ils des socialistes qu'ils s'aiment? Sûrement pas! Ils nous demandent d'être unis et de leur présenter un projet qui tienne la route, réponde à leurs aspirations et offre une alternative à la politique de droite. On n'est pas obligé de s'aimer pour ça! Il suffit de se respecter.
Quand on adhère à un parti politique, quel qu'il soit, il ne faut pas y chercher l'amour. Il y a des lieux pour ça: les clubs de rencontres, les discothèques, les soirées entre amis, certains quartiers pour l'amour physique et vénal. Mais pas un parti politique, où il faut entrer pour ne faire que de la politique, ce qui est déjà énorme. Et une fois que vous avez adhéré, préparez-vous à y rencontrer la haine, éventuellement à la subir si vous avez choisi de suivre votre propre chemin et pas quelqu'un.
Pierre Moscovici, dans le billet du 1er août sur son blog, réagit également à l'article de Jacques Julliard: "La politique est aussi un combat, une lutte, une passion qui ne peut se réduire à l'adhésion inconditionnelle, aveugle, à une personnalité providentielle ou s'épanouir dans la mièvrerie". Car l'amour, c'est ça aussi. La haine, de ce point de vue, a parfois l'avantage de la lucidité, de la maîtrise (comme quoi il faut distinguer haine et colère), c'est un moteur pour l'action politique. Ne dit-on pas que la vengeance (une sorte de haine rationalisée) est un plat qui se mange froid? L'amour en vacances, peut-être, mais pas en politique!
Mais peu importe: en ce qui me concerne, à la différence de Jacques Julliard, je suis indulgent envers la haine, je m'y fais, je l'accepte (mais je ne la pratique pas, je me réserve pour le mépris), et je suis prudent, sceptique et même méfiant envers l'amour. En revanche, je suis sans pitié à l'égard de la bêtise, autrement plus redoutable que la haine, infiniment plus présente et puissante, et absolument impardonnable.
Bonne fin d'après-midi,
je vous aime.
"Comment des êtres humains normaux peuvent-ils respirer et accepter volontairement de vivre dans des atmosphères aussi empoisonnées? C'est pour moi un mystère."
D'abord, je confirme: les socialistes ne s'aiment pas. Je le confirme par expérience, "sur le terrain", comme on dit aujourd'hui. Et je suis d'accord avec Jacques Julliard lorsqu'il demande, à la fin de sa réflexion, "entre militants socialistes un minimum d'amitié, d'estime, de solidarité". A part ça, je ne suis pas d'accord avec l'éditorialiste du Nouvel Obs. Pour plusieurs raisons:
En tant qu'historien, Julliard devrait comprendre, et rappeler, que la politique est une activité qui génère la haine, beaucoup plus que ne le font le ping-pong ou la pêche à la ligne. Pourquoi? Parce cette activité met en jeu des convictions intimes, d'ordre idéologique, dont la finalité est la conquête ou la conservation du pouvoir. La haine s'y développe donc aisément. L'histoire de l'humanité nous montre sans surprise que le pouvoir et la haine sont liés. Shakespeare, parmi d'autres, le décrit très bien. N'y aurait-il que Jacques Julliard et notre société moderne pour s'en étonner et s'en offusquer?
D'autre part, qui dit haine dit aussi amour. La psychologie la plus élémentaire nous apprend ça. Il y a même des formes de haine qui sont des manifestations contrariées de l'amour! J'ai connu, en politique, des militants adhérés aveuglément, quasi amoureusement à certains leaders, au niveau national comme au niveau local. Et je peux là aussi en témoigner: cet amour n'est pas meilleur que la haine, car l'un est aussi irrationnel que l'autre.
Et puis, chez les socialistes, la haine, ce n'est pas nouveau! Je me souviens d'un ouvrage de quelqu'un que Julliard connaît bien, Schneider, paru au début des années 90, "La haine tranquille", qui racontait les déchirements du PS entre mitterrandistes et rocardiens. Vous me direz sans doute: oui, mais à l'époque, il y avait un fond d'idéologie dans ces affrontements. Admettons, mais en quoi cela justifie-t-il la haine, qui reste la même, et aussi forte, avec ou sans idéologie?
Personnellement, être haï ne me gêne nullement. J'en éprouve même parfois, ne le répétez pas, une petite pointe de plaisir, une forme ténue de jouissance. C'est plutôt un bon signe d'existence politique, même si évidemment on ne peut pas s'en satisfaire, en rester là. La haine est une réalité dont il faut savoir faire abstraction quand on milite, point. Eh puis, les Français attendent-ils des socialistes qu'ils s'aiment? Sûrement pas! Ils nous demandent d'être unis et de leur présenter un projet qui tienne la route, réponde à leurs aspirations et offre une alternative à la politique de droite. On n'est pas obligé de s'aimer pour ça! Il suffit de se respecter.
Quand on adhère à un parti politique, quel qu'il soit, il ne faut pas y chercher l'amour. Il y a des lieux pour ça: les clubs de rencontres, les discothèques, les soirées entre amis, certains quartiers pour l'amour physique et vénal. Mais pas un parti politique, où il faut entrer pour ne faire que de la politique, ce qui est déjà énorme. Et une fois que vous avez adhéré, préparez-vous à y rencontrer la haine, éventuellement à la subir si vous avez choisi de suivre votre propre chemin et pas quelqu'un.
Pierre Moscovici, dans le billet du 1er août sur son blog, réagit également à l'article de Jacques Julliard: "La politique est aussi un combat, une lutte, une passion qui ne peut se réduire à l'adhésion inconditionnelle, aveugle, à une personnalité providentielle ou s'épanouir dans la mièvrerie". Car l'amour, c'est ça aussi. La haine, de ce point de vue, a parfois l'avantage de la lucidité, de la maîtrise (comme quoi il faut distinguer haine et colère), c'est un moteur pour l'action politique. Ne dit-on pas que la vengeance (une sorte de haine rationalisée) est un plat qui se mange froid? L'amour en vacances, peut-être, mais pas en politique!
Mais peu importe: en ce qui me concerne, à la différence de Jacques Julliard, je suis indulgent envers la haine, je m'y fais, je l'accepte (mais je ne la pratique pas, je me réserve pour le mépris), et je suis prudent, sceptique et même méfiant envers l'amour. En revanche, je suis sans pitié à l'égard de la bêtise, autrement plus redoutable que la haine, infiniment plus présente et puissante, et absolument impardonnable.
Bonne fin d'après-midi,
je vous aime.
2 Comments:
Je serais plus indulgent avec la bêtise, car constitutive de l'humanité même. Nous ne sommes pas parfaits, nous avons nos moments de faiblesse, tous, nous progressons, certains plus vite que d'autres collés à une vision dépassée. Et cahin-caha, avec le renouvellement des générations, nous progressons. Les vieilles badernes d'hier ont disparu, et nous pouvons porter un jugement sur elles, puis pointer du doigt leur faiblesse et leurs insuffisances. Demain, d'autres pointeront sans doute les nôtres...
Finalement, il faut rester modeste, et se dire que le bêta d'à côté, avec un peu de malchance, cela pourrait être nous.
By jpbb, at 9:55 PM
Pour ma part, j'évite la haine, haïr fatigue, et j'essaie benoîtement de trouver ma voie sans écraser quiconque. Je pense que la camaraderie, l'amitié fait partie du bagage politique quand on tente d'améliorer la situation de tous. Les politiques qui se contentent de tirer la couverture à eux ne trouvent de ma part qu'un léger mépris et une mise à distance. Mais si le but réunit, la chaleur humaine est par définition en plus de l'exaltation d'un bout de vie partagé. C'est sortir de la solitude, et relier dans une longue chaîne toute l'humanité, lui permettant effectivement à terme de s'aimer, mais le but du voyage, c'est essentiellement le voyage lui-même, ce qui nous meut. C'est pouvoir contempler le parcours.
By jpbb, at 10:04 PM
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