Le drame de l'été.

Chaque été, alors que la plupart d'entre nous sont en vacances, détendus, insouciants, heureux, alors que le gouvernement, les parlementaires et la politique sont mis entre parenthèses, la vie continue, le monde tourne, l'actualité nous rattrape. C'est la catégorie "drame de l'été", qui nous marque d'autant plus fort que nous sommes disponibles et un peu gênés d'être heureux alors que le malheur se rappelle à nous. Mais n'importe quel événement ne s'élève pas nécessairement au titre de "drame de l'été". C'est un fait dont l'impact doit être important, populaire, avec une dimension dramatique et médiatique, s'étalant généralement sur plusieurs jours, porteur d'un sens qui touche la population. C'est quelque chose qui restera dans les mémoires. Je vous donne trois exemples dont personnellement je me souviens, très différents les uns des autres:

1- Août 1996: plusieurs familles de sans-papiers envahissent l'église Saint-Bernard à Paris. C'est le début quasiment historique de ceux qu'on appelle encore aujourd'hui les "sans-papiers", c'est-à-dire les immigrés dans l'illégalité. Le gouvernement reste inflexible, la situation se prolonge, se dégrade, l'issue est incertaine et problématique. Des malheureux s'invitent chaque soir sur nos écrans de télévision. Le dénouement sera spectaculaire, avec une image-choc: les CRS défonçant à coups de hache la porte de l'église pour évacuer les occupants. L'image d'un lieu sacré ainsi profané, l'irruption de la violence alors que les Français se prélassent sur les plages auront un profond impact auprès de l'opinion.

2- Août 2000: un sous-marin nucléaire russe, le Koursk, sombre dans la Baltique, 118 marins sont prisonniers à l'intérieur, le pouvoir politique au départ refuse orgueilleusement l'aide occidentale, la menace d'une catastrophe atomique inquiète, un tragique suspense s'installe quant à savoir si l'équipage sera sauvé à temps, Poutine échoue, tout le monde dit qu'il est fini. Les ingrédients du drame de l'été étaient présents dans ce spectaculaire événement: un Etat puissant discrédité, des innocents sacrifiés, le monde en péril (largement imaginaire), une attente insoutenable, une issue tragique.

3- Août 2003: la canicule en France. L'événement inattendu par excellence, les pouvoirs publics dépassés et accusés, plus de 19000 morts, la vieillesse sacrifiée, l'indifférence et la solitude révélées, l'impuissante spectaculaire du meilleur système sanitaire au monde étalée au grand jour, la responsabilité de chacun à l'épreuve, la mauvaise conscience distillée, la crise au niveau de l'Etat. C'est typiquement un drame de l'été, quasiment son prototype.

Nous ne sommes que le 7 août, des événements peuvent encore se produire, mais quel serait celui, pour le moment, qui pourrait prétendre à être le drame de l'été? Que retiendrons-nous de ces vacances 2008, du moins à l'heure qu'il est? Plusieurs possibilités s'offrent à nous:

a- La découverte d'hydrocarbures liquides sur Titan et de vapeur d'eau sur Mars? C'est le grand événement scientifique, mais auquel il manque la dimension dramatique pour qu'il frappe les esprits. En vérité, cet événement est passé inaperçu.

b- La libération d'Ingrid Betancourt? On en a énormément parlé au début des vacances, le dénouement heureux faisait suite à des années de malheur qui ont retenu l'attention de l'opinion, l'impact a été mondial, l'opération a produit une rumeur qui a introduit une part de mystère. Mais après une folle semaine, l'onde de choc est vite retombée, la rumeur n'a pas pris, tout a été très vite oublié. Surtout, Ingrid Betancourt n'a pas joué le rôle de victime, de martyr qu'on attendait d'elle, sa force, sa joie, sa piété ont déconcerté et finalement déplu à une opinion fâchée de ne pas pouvoir s'identifier à une femme hors-normes.

c- L'affaire Siné? Non, ce n'est le drame de l'été que pour Siné et ses partisans. Cette polémique estivale, certes violente, touchant des points fort sensibles, n'a ému et mobilisé que le monde politico-intellectuel.

d- La disparition de Soljenitsyne? Non plus. L'homme est certes une figure légendaire, une icône mondiale, une partie de sa vie a croisé l'une des grandes tragédies modernes, le communisme, il a oeuvré considérablement à son effondrement, son rôle a donc été historique, mais les Français observent tout ça de loin, ne se sentent pas vraiment concernés.

e- La polémique politique autour des JO? Pour qu'il y ait drame, il faut une "dramatisation" de l'événement. Personne ne sait ce qui se passera en Chine, le dalaï lama est certes un personne perçu positivement par l'opinion publique mondiale, mais il faudrait un coup d'éclat qu'on n'imagine pas pour que les Jeux Olympiques deviennent le fait dramatique de l'été qu'on n'oublie pas.

f- Le meurtre du petit Valentin? C'est sans doute le fait divers qui se rapproche le plus d'un "drame de l'été". Un enfant, l'innocent idéal, est la victime absolue, sauvagement assassiné, par manifestement un couple de marginaux illuminés. Mais l'affaire a été rapidement élucidée, aucun mystère ne subsiste, aucune polémique n'a prise sur l'événement, certes dramatique mais dont la "dramatisation" n'a pas été suffisamment spectaculaire pour devenir le drame de l'été. De nombres critères lui manquent pour mériter cette appelation.

Mais alors quel événement, pour l'instant, peut être qualifié de "drame de l'été"? J'ai mon idée, je vous laisse chercher et je vous retrouve pour en parler en fin d'après-midi.


Bon après-midi.