Plus jamais vieux?
Bonsoir à toutes et à tous.
Dans Philo Mag de juin 2007, p.49, Paul Yonnet, un sociologue que je lis depuis une vingtaine d'années, réfléchit à la seule révolution qui peut-être mérite ce nom, la seule en tout cas qui soit historique, qui bouleverse totalement notre société: la révolution des âges. La preuve, qu'est-ce qui mobilise la population depuis une décennie, lorsqu'il s'agit de descendre dans la rue, de manifester? Le système des retraites. Essayez de lancer une grève sur la revalorisation des salaires, sur la lutte contre le chômage: vous aurez peu de monde, alors que ces sujets sont fondamentaux (je mets de côté la mobilisation contre le CPE, essentiellement générationnelle). Pour défendre leurs retraites, les gens sont prêts à bouger.
C'est un signe. Il y a 30 ans, ça m'aurait fait marrer: il n'y avait, pour moi, que la droite pépère qui se préoccupait de ses retraites. Le combat devait porter sur les revendications de la vie actuelle, la transformation de la société, pas pour un futur où l'on ne sait même pas si on sera encore en vie. En 1968, il aurait été inimaginable de se battre pour le système des retraites! Aujourd'hui, les comportements les plus virulents se focalisent sur ce thème, comme s'il révélait une angoisse toute particulière, et bien compréhensible, la vieillesse étant devenue, à la différence d'autrefois, une période à part entière de l'existence, où beaucoup craignent d'y perdre leur niveau de vie et de voir les inégalités considérablement se creuser. C'est de cela dont nous parle Yonnet, cette révolution des âges se résumant en 4 points:
1- En moins de deux siècles, la durée de la vie s'est allongée de 20-25 ans. Depuis le néolithique, la moitié des enfants mouraient avant 10 ans, le reste atteignant en général 45-55 ans maximum, quelques vieillards survivant et faisant l'admiration de tous. Voilà quel a été le schéma global pendant des millénaires, totalement renversé aujourd'hui.
2- Les "vieux" sont devenus une catégorie à part entière, nombreuse, puissante, influente, sans rapport avec les vieux de jadis. D'ailleurs, ils récusent ce pourtant beau terme de "vieux", ils se font ridiculement appeler "seniors". Yonnet définit assez joliment les seniors comme "un nouvel âge", "la présence de la jeunesse dans la vieillesse". Oui, le senior, c'est un vieux qui ne veut pas l'être: il aime, il agit, il voyage, il dépense, tout comme un jeune, plus qu'un jeune. Le plus bel âge de la vie? Ce n'est plus 20 ans, c'est 65 ans!
3- Cette révolution a une conséquence majeure: la mort a disparu du paysage social. Jadis, on voyait les enfants mourir en nombre, et les vieux disparaissaient très vite. La mort était un phénomène familier. Aujourd'hui, plus personne ne meurt! Sauf sur la route, quand une maladie vous frappe ou que vous êtes très âgés. La mort devient donc exceptionnelle. Tant mieux, me direz-vous? Non, car cette situation historiquement inédite pose un problème, que Yonnet pointe fort bien: "L'humanité de l'homme est apparue avec la conscience de la mort (...) vraisemblablement chez l'homme de Néanderthal". Le problème est le suivant: "L'homme moderne vit sans la mort, un peu comme vivent les animaux ou comme vivaient les pré-humains, dans une sorte d'inconscience euphorique, une sorte d'insouciance." Avec l'éloignement de la mort, nous prenons le risque de perdre notre humanité.
4- Cette révolution des âges, dont on pouvait penser qu'elle était égalitaire, a introduit une nouvelle inégalité: les hommes meurent en moyenne 7 ans plus tôt que les femmes, un écart qui n'existait pas autrefois et qui est "l'un de phénomènes sociodémographiques majeurs de ce XXème siècle", selon Paul Yonnet. Mais le drame est partagé: celui des hommes de quitter plus tôt cette Terre que leurs compagnes, celui des femmes de terminer leur vie dans les affres de la solitude. Comme quoi tout n'est pas rose dans le monde merveilleux des seniors.
Bonne soirée.
Dans Philo Mag de juin 2007, p.49, Paul Yonnet, un sociologue que je lis depuis une vingtaine d'années, réfléchit à la seule révolution qui peut-être mérite ce nom, la seule en tout cas qui soit historique, qui bouleverse totalement notre société: la révolution des âges. La preuve, qu'est-ce qui mobilise la population depuis une décennie, lorsqu'il s'agit de descendre dans la rue, de manifester? Le système des retraites. Essayez de lancer une grève sur la revalorisation des salaires, sur la lutte contre le chômage: vous aurez peu de monde, alors que ces sujets sont fondamentaux (je mets de côté la mobilisation contre le CPE, essentiellement générationnelle). Pour défendre leurs retraites, les gens sont prêts à bouger.
C'est un signe. Il y a 30 ans, ça m'aurait fait marrer: il n'y avait, pour moi, que la droite pépère qui se préoccupait de ses retraites. Le combat devait porter sur les revendications de la vie actuelle, la transformation de la société, pas pour un futur où l'on ne sait même pas si on sera encore en vie. En 1968, il aurait été inimaginable de se battre pour le système des retraites! Aujourd'hui, les comportements les plus virulents se focalisent sur ce thème, comme s'il révélait une angoisse toute particulière, et bien compréhensible, la vieillesse étant devenue, à la différence d'autrefois, une période à part entière de l'existence, où beaucoup craignent d'y perdre leur niveau de vie et de voir les inégalités considérablement se creuser. C'est de cela dont nous parle Yonnet, cette révolution des âges se résumant en 4 points:
1- En moins de deux siècles, la durée de la vie s'est allongée de 20-25 ans. Depuis le néolithique, la moitié des enfants mouraient avant 10 ans, le reste atteignant en général 45-55 ans maximum, quelques vieillards survivant et faisant l'admiration de tous. Voilà quel a été le schéma global pendant des millénaires, totalement renversé aujourd'hui.
2- Les "vieux" sont devenus une catégorie à part entière, nombreuse, puissante, influente, sans rapport avec les vieux de jadis. D'ailleurs, ils récusent ce pourtant beau terme de "vieux", ils se font ridiculement appeler "seniors". Yonnet définit assez joliment les seniors comme "un nouvel âge", "la présence de la jeunesse dans la vieillesse". Oui, le senior, c'est un vieux qui ne veut pas l'être: il aime, il agit, il voyage, il dépense, tout comme un jeune, plus qu'un jeune. Le plus bel âge de la vie? Ce n'est plus 20 ans, c'est 65 ans!
3- Cette révolution a une conséquence majeure: la mort a disparu du paysage social. Jadis, on voyait les enfants mourir en nombre, et les vieux disparaissaient très vite. La mort était un phénomène familier. Aujourd'hui, plus personne ne meurt! Sauf sur la route, quand une maladie vous frappe ou que vous êtes très âgés. La mort devient donc exceptionnelle. Tant mieux, me direz-vous? Non, car cette situation historiquement inédite pose un problème, que Yonnet pointe fort bien: "L'humanité de l'homme est apparue avec la conscience de la mort (...) vraisemblablement chez l'homme de Néanderthal". Le problème est le suivant: "L'homme moderne vit sans la mort, un peu comme vivent les animaux ou comme vivaient les pré-humains, dans une sorte d'inconscience euphorique, une sorte d'insouciance." Avec l'éloignement de la mort, nous prenons le risque de perdre notre humanité.
4- Cette révolution des âges, dont on pouvait penser qu'elle était égalitaire, a introduit une nouvelle inégalité: les hommes meurent en moyenne 7 ans plus tôt que les femmes, un écart qui n'existait pas autrefois et qui est "l'un de phénomènes sociodémographiques majeurs de ce XXème siècle", selon Paul Yonnet. Mais le drame est partagé: celui des hommes de quitter plus tôt cette Terre que leurs compagnes, celui des femmes de terminer leur vie dans les affres de la solitude. Comme quoi tout n'est pas rose dans le monde merveilleux des seniors.
Bonne soirée.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home