L'Aisne avec DSK

10 août 2008

Monsieur anti-35 h.

Bonjour à toutes et à tous.

Ce premier billet dominical va être consacré à... Xavier Bertrand. Encore, me direz-vous. Encore, oui. Les lecteurs psychologues y verront une obsession, les lecteurs politiques le prendront comme un devoir d'opposition. Je vous laisse choisir votre catégorie. Une autre donnée intervient, morale celle-là, un principe de vie qui m'est cher: il faut toujours s'en prendre à beaucoup plus puissant que soi, sinon on est minable. Notez qu'à Saint-Quentin, je suis gâté...

Xavier Bertrand donc, pas la personne, qui évidemment ne m'intéresse pas, mais ce qu'il représente et les décisions qu'il prend, en l'occurrence la loi qui portera à coup sûr son nom, la loi qui met fin aux 35 heures. Remarquez combien d'ailleurs cette loi confirme ce que je disais hier du personnage et de sa méthode: avec l'air de ne pas y toucher, il détruit tout. Traduction: les 35 heures restent la durée légale de travail mais sont vidées de leur substance, transformée en ectoplasme.

La loi a été validée cette semaine par le Conseil constitutionnel, après les recours déposés par le Parti socialiste. Une victoire pour Xavier Bertrand? Pas complètement, parce que les sages de la République ont censuré deux points de cette loi, qui sont loin d'être mineurs. Cette décision prouve au moins que cette loi est fort discutable, qu'elle heurte violemment l'idée qu'on peut se faire de la "République sociale", qu'on soit d'ailleurs de gauche ou de droite, puisque le Conseil constitutionnel, présidé par Jean-Louis Debré, n'est pas un repaire de syndicalistes ou de gauchistes.

L'article 18 de la loi Bertrand, dans son 1er paragraphe, livrait à la négociation d'entreprise l'établissement des repos compensateurs lorsque les contingents d'heures supplémentaires sont dépassés. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition était en quelque sorte trop "libéral", que ces repos devaient être encadrés par le législateur et non pas laissés entièrement à la libre décision de l'entreprise.

Le même article, dans son 4ème paragraphe, supprimait les clauses relatives aux heures supplémentaires dans les conventions collectives existantes, conduisant là aussi à une table rase "libérale", qui obligeait les entreprises à revoir systématiquement leurs conventions. Là encore, le Conseil constitutionnel a voulu mettre un frein républicain à l'accélérateur libéral qu'est Bertrand. Cette disposition n'étant pas suffisamment motivé par un argument d'intérêt général, il a été décidé que les renégociations de conventions collectives n'auraient rien d'automatiques, ce sont les entreprises qui en décideront. Ce qui concerne tout de même la moitié des 200 conventions collectives qui s'adressent à 12 millions de salariés.

Un article paru dans Le Figaro de vendredi semble confirmer la "sagesse" du Conseil constitutionnel. Sous le titre "35 h: Les entreprises pas pressées de renégocier", il est expliqué que les patrons hésitent avant de remettre en cause des conventions collectives qu'il a fallu du temps à élaborer, d'autant que la loi Bertrand ne promet pas nécessairement des gains évidents. On le sait, les chefs d'entreprise mieux que personne: la loi Bertrand est une machine de guerre idéologique contre la réduction du temps de travail. Certes, les patrons se retrouvent dans la droite et contre les 35h, mais moins par idéologie que par intérêt, et aucunement par goût du pouvoir, puisque le pouvoir, ils l'ont déjà, chez eux, dans leur entreprise.

Ce que veulent les patrons, c'est une démarche pragmatique à l'égard des 35 h, telle qu'elle avait été définie avec les grands syndicats en avril dernier (pardon pour mon syndicat, l'UNSA, qui n'était pas sur cette position, mais aussi pour d'autres raisons, ayant trait à la représentation syndicale). Sarkozy et Bertrand ont rejeté cet accord, qui assouplissait pourtant le régime des 35 h (avec un gros effort de la CGT pour l'accepter...). Mais non, Bertrand n'est pas un pragmatique (il soutient trop le contraire pour ne pas être suspect), c'est un idéologue furieux qui a besoin de cacher qu'il l'est: il n'a pas choisir d'assouplir les 35h (sinon il aurait accepté l'accord patronat-CGT-CFDT), il veut les casser.

Non pas bien sûr d'un trait de plume abrogeant la loi relative aux 35h et rétablissant par exemple la durée légale de travail à 39h, ce serait trop franc, trop direct, trop risqué, mais en laissant à l'entreprise la possibilité de dépecer les 35h (dans le langage contemporain, qui abuse d'euphémismes, on appelle ça "détricoter", le terme est charmant, il rappelle l'activité paisible de la femme au foyer). Xavier Bertrand vous broie la main en vous souriant de toutes ses dents, voilà l'homme, voilà la méthode, et voilà pour les 35h le résultat.


Bonne matinée.

3 Comments:

  • Détricoter, c'est défaire ce qui a été fait. C'est en l'occurrence détruire le lien social basé sur le travail. C'est vouloir remplacer par le vide ce qui avait assuré la stabilité de la vie sociale en France.

    La cotte de mailles, c'est la protection contre les coups des combattants. C'est l'ordre et la stabilité que permet la force. Détruire les liens du travail, la solidarité, le civisme, c'est au final affaiblir la nation française. C'est le second péché capital de Nicolas Sarkozy. Après avoir rendu des euros à des personnes qui n'en avaient pas l'usage, au lieu de relancer la création d'entreprise en créant un fond de capital-risque permettant de nous insérer dans la mondialisation, il détruit en la détricotant, la base sur laquelle repose toute l'économie. Du jamais vu.

    By Anonymous Anonyme, at 9:26 PM  

  • L'erreur de Nicolas Sarkozy, c'est qu'au lieu de tricoter un nouvel habit, nous mettant à l'abri des conséquences de la mondialisation, il détricote l'ancien nous laissant à poil alors que l'hiver s'annonce, croyant que de nouveaux habits vont arriver par magie sans faire ce qu'il faut pour les créer.

    By Blogger jpbb, at 9:32 PM  

  • Le tricot, activité paisible, rassurante, utile, protectrice. "Détricoter": néologisme révélateur, destruction tranquille de nos acquis sociaux. Xavier Bertrand est le détricoteur par excellence.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:03 PM  

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