L'Aisne avec DSK

10 août 2008

Bébé bip-bip.

Bonsoir à toutes et à tous.



En classant mes petits papiers, je suis tombé cet après-midi sur un article paru en juin 2007, dans Philosophie Magazine, sous la plume d'un jeune philosophe, Olivier Razac: "Traquer les bébés". Ce titre m'a intrigué, après mon billet consacré cette semaine aux "oublis" tragiques d'enfants. Et si la solution était dans cet article, consacré, tenez-vous bien, au bracelet électronique pour nouveaux-nés! Vous avez bien lu, il n'y a pas de lapsus: les bébés sont bagués, comme les pigeons, comme les détenus.

Ca se passe à l'hôpital du Raincy-Montfermeil, en Seine-Saint-Denis (voir Le Monde du 12 avril 2007). On peut penser que ce dispositif va se généraliser, de même que pour les prisonniers, le gouvernement préparent une loi qui traitera notamment de cette question. Imaginez un peu: pour les parents oublieux, le remède est tout trouvé, le bracelet électronique qui fera bip-bip pour nous avertir que bébé est resté dans la voiture! L'article d'Olivier Razac m'a inspiré quelques réflexions:



1- La société de la peur. Nous y sommes, depuis quelques années déjà. C'est fou comme les gens ont peur, de tout, de n'importe quoi, peut-être d'eux-mêmes. Pas de la bonne et vraie peur, qui nous prend à l'approche d'un danger, et qui est très utile pour provoquer la réaction adéquate. Non, il s'agit d'une peur irrationnelle, il faudrait peut-être dire la trouille. Cette histoire invraisemblable de bracelet électronique, d'où vient-elle? De la peur de voir l'enfant échangé avec un autre enfant (vous vous souvenez du film "La vie est un long fleuve tranquille"?), enlevé par un étranger, par une femme en mal de maternité ou par une mère déchue de ses droits sur le bébé. Savez-vous combien il y a eu, dans l'hôpital du Raincy-Montfermeil, d'enlèvements de nouveaux-nés? 3 en 5 ans, sur plus de 10 000 accouchements!



2- L'obsession de la sécurité. Elle est si forte qu'on est prêt à lui sacrifier notre liberté. Tout doit être protégé, surveillé, contrôlé. Je m'insurge! De social-démocrate, je me sens devenir anarchiste, à tout le moins libertaire. Ces ridicules gillets horriblement fluos, ces triangles qu'on nous oblige à acheter pour nos automobiles, que signifie ce cirque? C'est pour notre bien, paraît-il. Je suis libéral-libertaire, je ne veux pas que l'Etat, ni personne d'autres, fassent mon bien à ma place! L'Etat doit protéger la collectivité (c'est pourquoi je suis socialiste) mais laisser autonome l'individu (c'est mon côté libéral).

Les bébés avec leur bracelet électronique sont hyper-protégés. A tout moment, le personnel sait exactement qui est où. Je sais quelle sera la prochaine étape de l'obsession sécuritaire: l'obligation pour les cyclistes de porter un casque. Non, pas question, je ne l'ai jamais fait, ce n'est pas à 48 ans que je vais commencer. Savez-vous qu'il existe des doudous et des casques de vélo GPS, pour savoir où se trouve votre enfant? A quand la même chose pour les amants qui vont retrouver leur maîtresse?



3- La mémoire atrophiée. Notre société et les individus qui la composent ont un problème avec cette faculté mentale qu'on appelle la mémoire. C'est pourquoi on a instauré un "devoir de mémoire", c'est-à-dire une obligation du souvenir, précisément parce que celui-ci a cessé d'être un acte naturel, spontané. L'oubli nous guette, et les bébés délaissés dans les véhicules en plein soleil n'en sont que l'expresssion tragique. On ne se souvient plus de rien parce qu'on ne fait plus l'effort de se souvenir. La mémoire est un effort, un travail, elle s'entretient. Or la société du bip libère nos mémoires de cet effort.

Avez-vous remarqué? Le bip est partout. Le GPS nous indique où aller, plus besoin de se remémorer les lieux, les cartes, les plans, les indications. L'agenda électronique nous rappelle nos rendez-vous, plus besoin de les "graver" dans notre mémoire. Celle-ci est une faculté laissée à l'abandon, dans un monde narcissique où le bip est devenu notre domestique, nous faisant croire combien nous sommes des gens importants, surtout aux plus minables parmi nous, un peu comme les grands de ce monde ont des huissiers pour leur rappeler leur emploi du temps. Un monde dans lequel même les bébés feraient bip-bip quand nous les égarons...


Bonne soirée,
bip-bip.