L'Aisne avec DSK

26 octobre 2008

Des millions de Charline.

Bonjour à toutes et à tous.

Il y a une rubrique dans le Courrier Picard que j'aime bien, que je lis à chaque fois: "C'est vous... qui le dites!" Le principe est simple, comme l'indique le chapeau: "Chaque jour, nous vous donnons la parole pour exprimer votre point de vue sur l'actualité et la vie locale". C'est la technique journalistique du micro-trottoir, très en phase avec notre société, qui se méfie des institutions, des représentations et valorise la base, les simples citoyens, les "gens". C'est la France d'en bas, censé détenir la vérité, le bon sens, contre la France d'en haut, menteuse, intéressé. Je pousse un peu, mais il y a de ça.

Il n'empêche que j'adore cette rubrique, parce qu'elle nous apprend beaucoup sur l'état de l'opinion. En politique, c'est important de connaître l'esprit public. "C'est vous... qui le dites!" vaut tous les sondages à prétention scientifique. Il faudrait découper dans chaque numéro du Courrier Picard les propos tenus et nous aurions un kaléidoscope passionnant de l'opinion saint-quentinoise, qui ne doit pas être très différente de toute opinion dans les villes de même dimension et de la France entière.

Le 25 octobre, c'est Charline Renaud, 24 ans, agent d'accueil, habitant à Vendeuil, qui s'exprime. Je vous livre la totalité de son intervention, car elle me semble significative de quelque chose dont j'aimerais vous parler:

"Je suis assez peureuse, alors le soir, à Saint-Quentin comme dans mon village, je ne m'aventurerai pas toute seule. On voit tellement de faits divers dans les médias que même s'il ne m'est jamais rien arrivé à Saint-Quentin, je fais toujours attention. Par ailleurs, je ne m'intéresse pas beaucoup à l'actualité. J'ai quelques échos des gens que je rencontre dans mon travail et beaucoup sont en colère après l'Etat".

Pourquoi le message de Charline a retenu mon attention? Parce que je l'entends, peu ou prou, très souvent autour de moi, parce que je le crois très représentatif de l'état d'esprit de millions de Français, que je décompose ainsi:

1- La peur. Oui, une bonne partie de la France a peur. De quoi? De tout, d'un rien, de n'importe quoi. Et la crise financière ne va pas arranger ça.

2- L'irrationnel. Il y a une bonne peur, justifiée, celle qui répond à un danger réel. Mais chez Charline, rien de tel: il ne lui est jamais rien arrivé, elle a peur quand même.

3- Les médias. La source de sa peur, c'est ce qu'elle voit sur l'écran de télévision, les images, des "faits divers" loin de son quotidien, de sa réalité à elle.

4- L'apolitisme. Bien qu'influencée par la télévision, Charline n'est pas influencée par n'importe quoi à la télévision puisqu'elle ne s'intéresse pas vraiment à l'actualité, alors qu'elle pourrait capter aussi ses images-là. Ce n'est manifestement pas son choix.

5- L'anti-Etat. Le canal d'information de Charline, ce sont les gens comme elle, son entourage, sous la forme de "quelques échos", probablement de rumeurs. Qui disent quoi? Qui s'en prennent à l'Etat! Pourquoi? Parce que l'Etat, c'est le très haut, le plus haut de la France d'en haut, que la France d'en bas ne peut que contester.

Si j'avais à rencontrer Charline et les millions de Charline de France et de Navarre, je leur dirais ceci:

a- Il ne faut pas avoir peur, la vie n'est pas faite pour ça. La peur est mauvaise conseillère. Et puis, l'humanité a connu pire que ce que nous traversons aujourd'hui. Il faut se laisser aller à l'optimisme. Ce n'est pas difficile! Je livrerais bien sûr à Charline un petit message politique (on ne se refait pas!): la peur est de droite, l'espoir est de gauche. Avec la peur, on ne fait rien, on ne construit rien.

b- La télé, c'est très bien, il faut la regarder. Mais la réalité, l'expérience, le vécu, le quotidien, c'est encore mieux. Et puis, tant qu'à regarder les images, autant jeter un regard sur l'actualité de la France et du monde, rien qu'un peu. Les faits divers, ce n'est pas toute la vie, toute la société.

c- Pourquoi s'en prendre à l'Etat? C'est notre bien à tous, il représente l'intérêt général, il permet de communiquer (la Poste), de se déplacer (la SNCF), de se former (l'école publique), de se soigner (les hôpitaux). Critiquez le gouvernement de droite si vous êtes de gauche, critiquez le gouvernement de gauche si vous êtes de droite, mais ne vous en prenez pas à l'Etat.


Bon dimanche,
Charline que je ne connais pas.